La NASA-pizza décolle

13 Juin 2013 - 2422 vue(s)

Tout  a été dit sur la pizza mais elle n’a pas dit son dernier mot. Ce plat que les Italiens ont apporté aux Etatsuniens qui l’ont passablement transgressé et mondialisé, le voici qu’il ouvre un nouveau chapitre de son histoire. Et ce n’est pas un petit pizzaïolo aussi modeste que délicieux dans son art de la pizza qui l’écrit, mais… la NASA.

On rêve et on tremble lorsque les  technophiles  font des plans sur la comète de l’alimentation. N’avaient-ils pas annoncé qu’on se nourrirait de pilules et de gélules – qui ne sont, cependant, pas tout à fait absente des supermarchés nord-américains. Mais ce fut une prédiction qui ne valait rien dans le reste du monde. De l’Europe à la Chine, la plupart des gélules sont restées chez les pharmaciens. Mais au moment où les imprimantes  3D sont en train de reconfigurer des pans entiers de notre économie, la NASA entre dans le mouvement avec une copieuse  subvention de près de 100 000 euros promise à l’entreprise qui va mettre au point la machine capable d’«imprimer » en 3D des pizzas. Des pizzas cuisinées pour être mangées.

Le téléscopage entre les mots « imprimante » et « pizza » est peu plaisant. Mais est-il du même ordre qu’entre plats et gélules ? Possible mais pas sûr. Il est juste certain que la période qui s’ouvre va tant chambouler nos manières de vivre  qu’il va falloir s’habituer à de nouveaux sens des mots. L’« encre » de ces cartouches peut être composée d’éléments nutritifs en forme de poudre, c’est-à-dire de glucides et de protéines. Il faudra trouver un nom à la nouvelle machine accueillant la pâte placée sur une plaque chauffante pour une cuisson au cours de laquelle, justement, une « cartouche » applique la sauce tomate et les protéines animales et végétales.

Certes, cette NASA-pizza est destinée aux astronautes. Mais comme le café lyophilisé destiné aux soldats envoyés à la guerre nous dépanne aujourd’hui, elle pourra dépanner ceux qui ne peuvent pas attendre l’ouverture des restaurants et des magasins d’alimentation.  Et peut-être un jour s’imposer à ceux qui ne décolleront pas plus de leurs écrans que le comte de Sandwich ne décrochait de sa table de jeu.

La pizza « imprimée » va s’imposer, car la pizza est généreuse. Elle aime être là partout où on en a besoin. Elle est le plat le plus consommé dans nos pays industriels et elle le mérite bien. Car la pizza résiste à tous les affronts qu’on lui fait ici ou là lorsqu’on la défigure avec des produits qui n’en sont pas dignes. Lorsqu’elle a pris de l’embonpoint aux Etats-Unis qui l’ont nappé de fromage fondu et chargé de lardons et autres ingrédients, elle n’a pas perdu de son attractivité. Car aux origines de ce plat, il y a sa capacité à tenter l’impossible pour tout ce qu’on veut lui confier. Sans aller jusqu’à la pizza aux frites qu’on a pu voir (sans la manger) au Canada, elle est bonne pâte à accepter d’être le réceptacle des fantasmes et des envies les plus folles. Son cercle en forme d’assiette la désigne plus que la tartine à tous les métissages du monde, à toutes les pratiques individuelles ou collectives de consommation.

Ce que la NASA-pizza nous raconte, ce sont aussi les passions qui à tous âges et en toutes conditions nous accrochent à quelques plats qui font notre bonheur. Ils sont peu nombreux dans ce panthéon-là : sushis, tartines, pâtes, tortillas, frites sont les best sellers d’un goût pour des nourritures ouvertes aux aventures des sauces et des accompagnements infinis, aux process de fabrication toujours renouvelés par les technologies, comme notre  bon vieux fourneau a détrôné la cheminée au cours du XIXe siècle. La pizza accompagne notre goût de modernité. On ne s’en lassera jamais car je suis prêt à parier que tout mangeur y lit, sans le savoir, comme une métaphore du monde. Sur lequel la NASA tient à mettre son grain de sel. Une élection qui vaut toutes les médailles du monde.

 

 

Gilles Fumey est professeur de géographie culturelle de l’alimentation à l’université Paris-Sorbonne. Ses deux derniers livres : Les radis d’Ouzbékistan, tour du monde des habitudes alimentaires (Bourin) et Géopolitique de l’alimentation (Ed. Sciences humaines)

 

 

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