Et si manger et voyager devenaient un jour compatibles !

3 Septembre 2014 - 2838 vue(s)

Les grandes manœuvres capitalistiques  dans la restauration commerciale traduisent une situation difficile pour les entreprises. Pour les mangeurs, elle n’en est pas moins facile : l’épreuve, nous l’avons tous vécue cet été.  Dans les trains mais, pire encore, dans les avions. Ce qu’on appelle repas ou collations sont devenus les crève-cœurs des voyages. On ne nie pas les efforts des entreprises dans les propositions qui sont faites : plus grande variété,  proposition de plats chauds, arrivée des fruits frais, conditionnements mieux pensés, services améliorés. Mais pour beaucoup d’entre nous, on est toujours très loin du compte.

Dans les TGV, c’est bien simple. On vient chercher un café, on se retrouve devant un distributeur de produits à croquer pour ados. Le bar où l’on posait son coude pour faire connaissance avec une bar maid esseulée ou un jeune stagiaire s’est transformé en muraille de Chine commerciale. Dans les Intercités, le chariot brinquebalant rescapé des Trente glorieuses n’a que du café soluble médiocre en boutique, du concentré d’oranges brésiliennes reconstituées en jus vitaminé et de spongieuses madeleines à extraire d’un emballage résistant à tout sauf aux dents. Dans les avions, nous limitant par égard aux lecteurs à ce qui est servi dans les classes économiques, l’offre est tout aussi calamiteuse : sachets de graines soufflées enrobées d’un vernis salé très en vogue sur les compagnies américaines, barquettes de riz gluant avec beef noyé dans une sauce que délaisserait votre Médor préféré sur les compagnies asiatiques. Culpabilisés par les ayatollahs du développement durable pour participer à la gabegie environnementale, les mangeurs que nous sommes lors d’un dernier long-courrier ont compté combien de voisins avaient englouti la Forêt noire annoncée sur le menu et ressemblant, de visu, à du sopalin au café noir. Sur les dix de notre échantillon ? Aucun. Pourquoi persévérer dans le gâchis ?

Manger et voyager ont toujours été plus ou moins antinomiques en dehors de l’Orient Express où le défilé des paysages et le croisement des mondains tenait lieu d’appât. Peut-on manger en voyageant ? Après tout, les compagnies aériennes low cost ont presque banni les repas. L’industrie ne peut-elle pas penser des plats qui résistent à la déprime du mangeur prisonnier de la cabine où il se trouve confiné ? En un siècle, on a peu progressé.

Un bon snacking pourrait être une alternative. Un snacking intelligent, goûteux comme ont pu en concevoir les locaux dans toutes les provinces de l’Europe et du monde avant que l’industrie entre en scène. Rien qu’en France, dans la gamme des fougasses du Midi, des faluches du Nord, du pain brié du Calvados, du pain chapeau du Finistère, de la fouée de Touraine et d’Anjou,  de la méture du Béarn et du tordu du Gers, de la michette de Provence, du subrôt d’Alsace, du pain cordon de la Bourgogne (1), des charcuteries, des fromages, de pâtisseries sèches, n’y aurait-il pas de quoi réussir ce que des grandes entreprises industrielles ont développé dans le secteur du pain ? On dira que les mangeurs veulent des gâteaux. Mais la France est l’une des championnes du monde de pâtisserie ! Elle a mille produits  dont certains comme les macarons ont passé le cap industriel sans dégâts. Personne n’a reproché à la Vache qui rit de devoir se plier à des processus de fabrication industrielle pour chasser la neurasthénie française. 

Si on veut vraiment offrir à manger à ceux qui veulent regarder un film dans un train filant à 300 km/h, il faut peut-être chercher à la source du snacking ce que certains ont réussi avec des plats historiques comme les soupes, des plats bourgeois comme les gâteaux, les plats régionaux comme les crêpes, des plats de résistance comme le riz au lait, des plats minceurs comme les salades de fruit (qu’on voit apparaître dans les offres commerciales).

On dira que l’industrie n’a pas ce logiciel-là. Mais ce qu’elle dit avoir « inventé », ces milliers de produits comme les yaourts, les gâteaux, les en-cas, etc. puise abondamment dans l’histoire de notre alimentation. Après tout, la baguette qui est arrivée dans les fast foods de culture américaine est une victoire du local sur un concept pensé mondial il y a vingt ans. On dira que les entreprises ne sont que rarement sur les deux segments, rapide ou « commercial » comme s’ils étaient antinomiques. Les exemples abondent de produits « mixtes » allant de l’un à l’autre, dont l’itinéraire est tracé par des iconoclastes qui ne craignent jamais de renverser la table. Que n’avait-on dit des bars à soupe qui étaient une lubie de bobos…

Manger en voyageant, pourquoi pas ? Mais que l’offre en gare et dans les aéroports s’améliore encore, en proposant des pique-niques complets, chauds ou froids, qui pousseront les entreprises du secteur dans leurs retranchements. La restauration connaît un gros temps aujourd’hui, le moment idéal pour sortir du chapeau des alternatives et des inventions de nos rêves les plus fous.

 

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  • Le Monde, 31 août 2014

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Gilles Fumey est professeur de géographie de l’alimentation à Paris-Sorbonne et chercheur au CNRS. Publie cet automne l’Atlas global avec P. Boucheron et C. Grataloup, Les Arènes.  

 

 

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