Lyon, capitale érotique de la gastronomie

30 Janvier 2013 - 2333 vue(s)

A peine remis de leur défaite à la candidature pour la Cité de la gastronomie, les Lyonnais ont accueilli le Sirha, vaste foire thématique sur tout ce qui touche la restauration de près ou de loin. La mine gourmande, le maire Gérard Collomb était à son aise pour couvrir d’or les effusions des toqués de blanc dans le chef d’œuvre pâtissier de son Hôtel de ville. L’invité d’honneur était un grand homme modeste, le regard malin, au bras de son fils, car octogénaire mais sacré « meilleur cuisinier du XXe siècle » : Paul Bocuse. Icône vivante de la gastronomie locale et mondiale, ayant laissé son nom à une école, des halles, des concours, des médailles et des rêves d’étoiles, « Monsieur Paul » légitimait par sa seule présence l’attachement qu’un peuple peut porter à son art de manger.

Le miracle est que tout cela n’est pas loin du snacking dont on a vu dans le labyrinthe d’Eurexpo combien il est lié à cette recherche de l’excellence. Car ce qui fonde le snacking est un vaste marché très concurrentiel où les places sont chères et les mangeurs capricieux. Le snacking est une profonde compréhension de notre époque lancée dans une course à toute vitesse contre le temps qui passe. L’abondance – rassurante, mais fragile – donne des ailes aux imaginatifs, de l’avantage aux plus rapides et aux plus soigneux. Mais l’offre est si mouvante que le risque de passer à côté du marché n’est pas nul parce que cette offre est proliférante et, finalement, pas toujours lisible. A peine un concept est-il né qu’il est copié, déformé, multiplié et, souvent assez vite, déclassé.

Au Sirha, la beauté, la créativité et la générosité des plats séduit. Elle stimule les jeunes bêtes à concours qui veulent sortir du lot, pressées d’en découdre avec l’anonymat pour montrer leurs talents. A ce titre, notre pays ne rompt pas avec la méritocratie qui imprègne notre système scolaire : que les meilleurs gagnent et que les moins bons s’en inspirent, sans remords ! Chez les chefs d’entreprise plus confirmés, la technologie exerce une réelle séduction pour obtenir des produits stables, exigeants en qualité et en practicité. Sur les stands, les grands marqueurs qui désignent les catégories de plats restent le produit de base (légumes, viandes, boulangerie et pâtisseries, boissons, etc.). Mais la géographie est de plus en plus instrumentalisée jusque dans les plus grandes entreprises internationales qui bâtissent des segments pour les clients, surfant sur la vague du local. Le bio prend ses quartiers, sort peu à peu de ses niches, sans pour autant donner toutes les solutions aux questions posées par l’époque.

En dehors des concours de poulains qui rappellent les courses romaines, la grande affaire reste le goût. J’ai entendu prononcer des milliers de fois le mot « plaisir » en doutant de sa véracité. « Plus un mot est évident, plus il faut s’en méfier » préviennent les philosophes. Le goût, plus que le plaisir, parce qu’il nous dépasse, parce qu’il est toujours devant nous comme ce futur que nous ne parvenons pas à attraper. Le goût est un horizon qu’on ne peut pas atteindre pleinement et auprès duquel nos enfants courront avec la même énergie que nous mettons à le poursuivre aujourd’hui. Le plaisir est bien plus insaisissable. Mais il a un mérite : il relie l’acte de manger à l’amour, à la sensualité, au sexe. Marie Rouanet et Noëlle Châtelet ont écrit sur la proximité entre la table et le lit, l’érotisme du manger. A Lyon, où Rabelais n’a pas que soigné les indigents à l’Hôtel-Dieu, on se disait que tant d’énergie dépensée à comprendre la cuisine avait un ressort autrement plus fort que la réussite entrepreneuriale, l’appât du gain ou la recherche d’un plaisir fugace. Le plaisir est, certes, un art mais il s’agrippe à nos besoins physiologiques pour mieux stimuler nos appétits. C’est pourquoi une bande de joyeux drilles quittant le Sirha, tous émoustillés par leurs déambulations dans le salon, pouvaient chanter à tue-tête dans le tram qui nous ramenait entre Saône et Rhône : « Lyon, trop bien, pour la saint Valentin ! » Les gaillards donnaient une leçon un peu rustique dans sa forme, mais exacte sur le fond, que manger, c’est désirer. A Lyon, on ne rigole pas avec ces choses-là.

 

 Gilles Fumey est professeur de géographie de l’alimentation à l’université Paris-Sorbonne et chercheur au CNRS. Il a obtenu le prix TerrEthique 2012 pour Les radis d’Ouzbékistan. Tour du monde des habitudes alimentaires. Il a publié récemment une Géopolitique de l’alimentation.

 

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