Le snacking chamboulé par le monoproduit ?

9 Juillet 2014 - 4517 vue(s)

Dans la partie de colin-maillard à laquelle se livrent les consommateurs et les entreprises agroalimentaires, il y a un nouveau jeu qui pose bien des questions : le commerce monoproduit a-il de l’avenir ?

Finie la pensée anthropologique paresseuse ne pouvant plus ressasser la « variété » et la « diversité », la « liberté » et l’« offre » surabondante comme facteur de réussite commerciale ! Car les boutiques monoproduits sont en pleine ébullition. Les chefs étoilés, souvent en avance d’une saison sur l’industrie, tentent une nouvelle voie. Christophe Michalak, distingué à la coupe du monde de la pâtisserie 2005, officiant au ducassien Plaza Athénée et ayant conçu l’émission Le gâteau de mes rêves dans la lucarne, mêle la street food à la haute pâtisserie française pour donner la « sweet food » by Michalak, autrement dit un kiosque à choux. Même engouement pour le doublement étoilé Manuel Martinez, qui officie au Louis XIII et qui a lancé la Maison du choux. Certes, c’est artisanal, plus pâtissier que snacking. Mais derrière cette thyperspécialisation, tous disent qu’il y a une « quête du goût », un goût d’enfance, un « vrai goût » qui se rapprocherait de l’exigence d’un chef. Est-ce qu’être spécialisé signifie garantie de fraîcheur, de qualité ? Dans l’esprit des consommateurs, oui.

Nul  ne sait bien décrypter les circuits de la pensée du gourmand ou de l’affamé. Mais la concurrence pour ne pas dire le piratage des produits qui ont fait basculer dans la sphère semi-industrielle ou industrielle, les macarons et les éclairs font, à la fois des heureux qui testent des formules uniques, et des malheureux concurrencés qui tentent de sauver leurs billes d’un Waterloo annoncé.

Car le tsunami n’a pas fini de gonfler. Prenez la mozzarella. Elle se trouve dans une dynamique qui pourrait prendre de l’ampleur. Nicolas Breabout et David Amar, venus de la finance, ont décliné toute leur passion pour la mozzarella dans un « bar » qui est aussi une porte d’entrée sur la cuisine italienne. Il n’empêche. La bufala classique, fumée, tressée ou burrata au lait de buflonne célèbre un fromage italien inimitable. Une autre enseigne dédiée à la mozzarella, Mozza & Co, joue des codes people pour proposer une Sofia ou une Loreen, ce qui n’est certes pas sérieux, pas plus qu’une honorable vache qui s’est mise à rire il y a à peu près un siècle et qui se moque encore aujourd’hui de tous ceux qui ne l’ont pas prise au sérieux.

Les œufs qui avaient disparu des comptoirs, sauf chez les Auvergnats, sont remis en scène chez Eggs & Co et Oh my coque ! Dans ces restaurants-barista qui leur sont dédiés, on les décline jusqu’à la moindre fantaisie, accompagnés de produits de saison et de qualité, souvent biologique.  On cherche des plats adaptés à des exigences nutritionnelles et à des prix de crise. Quasiment toute l’humanité mange des œufs sans interdits. Leur symbolique est infinie, célébrée par les religions qui les associent à la vie et au partage. L’industrie les avait engloutis comme ingrédients, la nutrition anticholestérol les avait stigmatisés, ils reviennent avec des messages rassurants et enflamment l’imagination de ceux qui n’ont jamais vu une poule dans un nid.

Plus loin encore, le Japon qui s’entiche des animaux au fur et à mesure que s’étiole sa sociabilité dans la technophilie, les chats réinventés par les mascottes comme Hello Kitty qui fait une bouchée de la souris Disney, les chats donc, sont en train de réinventer  quelque chose d’inédit. Le snacking monoproduit décolle : Kitkat plante sa boutique au culte de la barre chocolatée dans le grouillant quartier tokyoïte Ikebukuro. Un monoproduit aux multiples saveurs : pommes de terre, cannelle, wasabi, le tout présenté en version « amer », « thé vert » et « piment ».

La leçon ? Comme pour la pizza, le burger, le sushi, le sandwich, les supports simples à déchiffrer sur lesquels on apporte à l’infini des variations ont encore de l’avenir dans les segments du snacking. On s’est gaussé du « fait maison », du « fait sur place » que certaines enseignes ont pourtant très bien exploité, les boulangeries en premier. La force du snacking est de réinventer la place des « classiques » de l’alimentation, le pain, les œufs, les poissons et les viandes, les fromages, les gâteaux. La France a son propre snacking qui est plutôt inspiré par le terroir qu’un Michel Bras a su exploiter avec son « capucin » sur l’autoroute d’Auvergne, puis récemment à Toulouse. En effet, qu’elles viennent de la finance ou de la physique, les jeunes générations vont réinventer tout ce que leurs parents avaient mis au placard. On n’est pas au bout de nos surprises.

 

Gilles Fumey est professeur de géographie culturelle de l’alimentation à l’université Paris-Sorbonne. Son dernier livre, Le roman du chocolat suisse, vient de remporter le Gourmand Award Culinary History 2014.

 

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