L'hôtellerie et la restauration ont toujours fait bon ménage (ou presque). Alors pourquoi ne pas continuer comme avant ? Parce que si l’on poursuit avec les mêmes recettes qu’hier, c’est une frange entière du métier qui est appelée à disparaître au profit de nouvelles formes collaboratives d’hébergement qui voient le jour à grande vitesse. Si la restauration a toujours été ancrée dans les gènes de l'hôtellerie, qui plus est dans le haut de gamme (4* et plus), elle doit se réinventer, intégrer de nouveaux modèles, se moderniser en proposant d’autres formes plus actuelles d’offres et de services. La grande majorité des hôtels 2 et 3 étoiles ont déjà jeté l’éponge en préférant déserter le service de la restauration (50% des hôtels français n'offrent plus aucun service de restauration), un constat plutôt inquiétant. A ce rythme, c'est 50% de l'hôtellerie française qui mourra dans les 10 ans à venir, si l’on ne prend pas la peine de réconcilier Hôtellerie et une nouvelle forme de restauration plus moderne…
L'économie collaborative, la menace
Les grands acteurs de l'économie collaborative à l'instar de Airbnb, Onefinestay, Abritel sont les principaux responsables des bouleversements du secteur car au-delà de vendre des nuitées, ces hôtels d'un nouveau genre amènent aussi une nouvelle façon de vivre la consommation d'hôtellerie: se sentir comme à la maison. La grande majorité des hôtels français de catégorie 2, 3 ou 4 étoiles n'ont pas senti ces nouvelles menaces arriver et n'ont pas encore mis en place de stratégie pour les contrer. Et c'est là que le bât blesse. L'hôtellerie a toujours été le seigneur de cette grande famille de la restauration et de l'hôtellerie : moins de frais de personnel, meilleure patrimonialisation des actifs immobiliers, rentabilité supérieure. Une étude de Tripadvisor de novembre 2015 révèle que 60% des touristes étrangers visitant la France estiment que l'offre d'hôtellerie française est trop classique et c'est une des raisons qui les poussent à se tourner vers les offres "substituts" de type Airbnb. Les Français ne pêcheraient-ils pas par orgueil, si sûrs de leur position de pays le plus visité au monde ?
Repenser sa restauration comme ailleurs
De nombreuses initiatives à l'étranger nous enseignent que l'hôtellerie peut juguler ces nouveaux modes de consommation en repensant son offre de restauration parallèlement à une refonte de son design. Ce mouvement de convergence entre hôtellerie revisitée (design, confort...) et restauration adaptée aux tendances du moment (snacking salé/sucré à toute heure) a vu le jour il y a 10 ans à Berlin, Londres et New-York. Les exemples ne manquent pas.
En France, dans les années 90, le mythique hôtel COSTES est un des premiers à avoir poussé l'expérience de restauration aussi loin: prix de luxe, joli(e)s serveur(ses), design sophistiqué et cossu, carte de brasserie revisitée pour tous, signature olfactive et musicale (les compilations lounge de l'hôtel Costes se sont vendues à plus de 5 millions d'exemplaires dans le monde). L'hôtel Costes est d'ailleurs devenu une marque grâce à son restaurant.
Mais depuis, rien de folichon en France. Ce sont les américains, au début des années 2000, qui ont emboîté le pas avec leurs fameuses chaînes Hôtels Hudson et Hôtels Mondrian, propriétés du groupe Morgans. Le génie de l'offre hôtelière de Morgans a été de rendre leurs hôtels immédiatement hybrides entre chambres très design et nouvelle offre de restauration (5 espaces de restauration autour du lobby pour 5 temps forts de la journée): le coffeeshop du matin, le bistrot français du midi, le salon de thé japonais à la bibliothèque en après-midi, le restaurant gastronomique étoilé le soir et le bar à cocktails trendy pour l'après-dîner. Le tout sous la houlette de l'architecte Philippe Starck et ambiancé par des DJ postés à l'entrée de l'hôtel pour créer du visuel divertissant. 15 ans après, le groupe Morgans entre en Bourse avec ses 17 hôtels dans le monde et 10 autres en prévision.
Plus récemment, le Praktik Bakery Hotel à Barcelone (www.praktikhotels.com) suscite de nombreuses convoitises car le lobby est articulé autour d'une boulangerie-coffeeshop ouverte vers l'extérieur. Un brunch y est servi en continu de 7h30 à 16h. Être réveillé le matin par l'odeur du pain et des croissants, n'est-ce pas là une merveilleuse invitation à descendre au lobby pour y rester? Le groupe Praktik (hôtels basés essentiellement en Espagne) offre une expérience toujours différente dans tous ses hôtels: la version boulangerie avec le Praktik Bakery mais aussi l'invitation à la dégustation de vin avec le Praktik Vinoteca allant jusqu'à revendiquer le slogan "un hôtel ayant le goût du vin".
La chaîne Ace Hotels (Londres, NYC, Los Angeles...) est aussi une excellente référence puisque ces hôtels ne commercialisent que des lofts et des appartements tandis que les lobbys deviennent des lieux de rencontres créés autour d'espaces de co-working, coffee-shop, bar à cocktails, bistrot, restaurant étoilé, et pâtisserie chic. Pour une heure ou une nuit, le tarif est en moyenne 25/30% moins cher que l'offre globale de l'hôtellerie dans chacune des villes où l'enseigne est implantée. Le succès est au rendez-vous, puisque Ace Hotels ne cache pas son ambition ni ses résultats: devenir un acteur mondial de l'hôtellerie et de la restauration, la restauration représentant déjà à elle seule 2/3 des revenus et des bénéfices du groupe.
Quand la France arrivera-t-elle à fabriquer une chaîne championne de l'hybridité avec une offre de restauration de type snacking de qualité ? D'autres modèles ont vu le jour depuis 2014 : les auberges de jeunesse 2.0 où se mélangent chambres communes, bars à cocktails, salles de sport, clubs DJ... A l'instar de la chaîne britannique Generator (15 auberges de jeunesse en Europe) qui se veut "chic et branchée" (www.generatorhostels.com). On y retrouve systématiquement une offre fast casual avec vente au comptoir en continu de 12h à minuit.
L'Icon Hotel à Hong Kong apporte également une offre nouvelle avec son lobby doté d'un comptoir de Street Food chic de pâtisseries sucrées et salées. Pourquoi la France, pourtant reconnue dans le monde pour sa pâtisserie, n'a pas encore créé d'hôtel-pâtisserie? A quand l'hôtel Kayser ou Pierre Hermé?
Même les grandes chaînes hôtelières commencent à remettre en question leur modèle de restauration avec notamment le nouvel Hilton de NYC (6ème avenue) qui met en scène une offre de vente au comptoir-snacking-salon de thé (nommé HERB'N KITCHEN) fonctionnant comme un magasin épicier (sur place, à emporter et livraison en chambre).
Un mini-supermarché dans le lobby
Chez nous, les initiatives sont encore trop timides même si certains émergent à l'instar de l'hôtel Montholon (Paris 9) qui prépare sa mue pour mars 2016 avec un lobby transformé en une cave à pain, à mi chemin entre un bar à vin et une expérience culinaire autour du pain (french touch) et des produits locaux (Ile de France) ou encore l'Hilton Opéra Paris (en face de la gare Saint Lazare) qui vient d'accueillir en lieu et place de sa brasserie l'enseigne Le Pain Quotidien. Le partenariat stratégique imaginé par ces 2 enseignes vise à faire du Pain Quotidien une prolongation de l'expérience client de l'hôtel. Anne-Gabrielle Verdier, sa directrice générale France, évoque l'idée de mélanger un hôtel et un restaurant de type snacking afin de "recréer un sentiment d'être comme à la maison". Une accroche qui a un air de famille avec celui de Airbnb.
Il est donc urgent de repenser son modèle sous peine de voir le secteur sombrer plus encore.
Dan CEBULA, fondateur agence DEPUR Consulting, www.depurconsulting.com