Le tout nouveau point de vente « Bon Appétit ! » ouvert il y a quelques semaines par Carrefour rue Rambuteau à Paris, et faisant tomber les frontières entre distributeur et restaurateur, est une nouvelle fois l’illustration de la révolution en marche chez les grands acteurs des GSA pour venir offrir davantage de services aux consommateurs au sein de leurs commerces alimentaires de proximité. Et l’enjeu est de taille à en croire les conclusions partagées par les experts du cabinet Xerfi-Precepta à l’occasion d’une étude dédiée et estampillée “Les stratégies des acteurs de la proximité sur le marché alimentaire - Nouveaux concepts, nouveaux services, digitalisation… : les véritables perspectives de croissance et d’évolution de la concurrence à l’horizon 2022”. Selon eux, le chiffre d’affaires des magasins implantés au cœur des villes et des villages devrait en effet poursuivre sa progression de 2,5 % par an en moyenne d’ici 2022 (rythme similaire à la période 2014-2018). Un rythme de croissance supérieur à celui des ventes alimentaires des hypermarchés et des supermarchés dans un contexte extrêmement bataillé. De quoi permettre ainsi aux commerces alimentaires de proximité de grignoter du terrain vis-à-vis des grandes surfaces.
"Les petits commerces de bouche retrouvent de fait les faveurs des consommateurs, échaudés par les scandales alimentaires à répétition. Pour leur part, les producteurs agricoles cherchent à renforcer le lien avec les citadins, grâce aux circuits courts, tandis que les acteurs du web s’immiscent dans le jeu, malgré des plateformes de livraison encore en phase de structuration", souligne l’étude.
Dire que le jeu concurrentiel va évoluer dans le commerce alimentaire de proximité est donc un doux euphémisme !
Xerfi-Precepta souligne ainsi en effet la très forte concurrence à laquelle sont exposées les enseignes d’épiceries et de supérettes des GSA. Aujourd’hui, les leaders Casino, Carrefour, Francap Distribution et Système U cumuleraient au total une quarantaine d’enseignes et 14 000 points de vente en France. Pour des chiffres d’affaires moyens par magasin et des rendements commerciaux qui commenceraient à stagner. Et, compte tenu des objectifs toujours aussi ambitieux de la grande distribution alimentaire, toute la question est de savoir quelle sera la capacité du marché à absorber le surplus à venir de surfaces commerciales. D’autant que les consommateurs plébiscitent davantage le commerce indépendant et, en particulier, les primeurs, boulangeries-pâtisseries et marchés alimentaires. « Par ailleurs, moins présents que les chaînes intégrées telles que Naturalia 8 et Bio C’Bon, les groupements d’indépendants spécialisés dans le bio (Biocoop par exemple), disposent encore de belles marges de progression dans les centres villes », insiste l’étude. « Les enseignes d’épiceries en vrac devraient, elles, continuer à essaimer le marché. Quant aux réseaux multifrais (Grand Frais, Frais d’Ici…), ils pourraient bien s’installer au cœur des zones urbaines ». En clair, alors que le modèle originel des grandes surfaces alimentaires a atteint ses limites, l’histoire pourrait bien se répéter pour les formats de proximité des groupes de la grande distribution alimentaire.
En réalité, la course aux parts de marché s’est déplacée. Certes, la proximité physique et l’ouverture de magasins en reste un vecteur fort. Mais elle s’oriente également sur le terrain du e-commerce pour imaginer de nouveaux concepts de proximité. Certains dispositifs s’inscrivent dans une logique omnicanale comme le déploiement de dispositifs click & collect dans les épiceries et supérettes, la digitalisation des magasins de proximité ou encore la mise en place de services de livraison pour toucher davantage de consommateurs, citadins ou non. On signalera également l’ouverture de drive piétons au cœur des villes faisant figure d’alternatives. Selon Xerfi-Precepta, le digital favorise en outre l’émergence de nouvelles concurrences comme les plateformes de circuits courts (pourdebon par exemple) pour rapprocher les producteurs agricoles des consommateurs urbains ou les plateformes de livraison (Glovo, Epicery…).
« Le numérique rebat également les cartes des schémas concurrentiels en vigueur jusqu’ici. Des rapprochements d’intérêt et des alliances stratégiques, hier inconcevables, se multiplient ainsi entre circuits traditionnels ou entre distributeurs traditionnels et pure players ».
A titre d’exemple, Monoprix, Lavinia ou encore Bio C’Bon ont ouvert une boutique sur Amazon Prime Now (livraison express à Paris). Attention toutefois aux alliances à double tranchant pour les enseignes. Côté pile : elles permettent de profiter d’audiences considérables et d’en rediriger une partie sur leurs sites et leurs magasins physiques, de proposer des services innovants aux clients (paiement mobile…) et de bénéficier de l’expertise pour accélérer leur transformation digitale. Côté face : les risques d’une intermédiation de la relation client et d’une dépendance croissante envers un nombre limité d’acteurs ainsi que de voir leurs enseignes de proximité servir de base logistique pour les services de livraison des géants du web… Le choix est cornélien !