Depuis le début du 21e siècle, le commerce traditionnel n’a cessé d’être cannibalisé par la montée en puissance du e-commerce qui a franchi le cap symbolique des 100 md€ de chiffres d’affaires en 2019 selon la FEVAD, soit une évolution de + 80 % en dix ans. De son côté, le phénomène de désertification des centres villes progresse chaque année avec un taux de vacance moyen des locaux commerciaux qui a bondi de 7 % à 12 % sur la même période selon le dernier palmarès des centres villes du Procos.
Sur le terrain, le typhon e-commerce a emporté plusieurs secteurs d’activités, avec un appétit féroce pour celui de l’habillement et du prêt à porter qui a été le plus sévèrement touché par cette crise avec notamment le démantèlement du groupe Vivarte, la disparition de l’enseigne Mim ou encore la fermeture de 180 magasins de l’enseigne Promod.
Cependant, certains secteurs résistent voire même progressent comme la restauration et tout particulièrement la restauration rapide qui ne cesse de progresser depuis ces dix dernières années grâce notamment :
Le secteur de la restauration rapide apparaît ainsi comme le principal poumon économique du marché de l’immobilier commercial avec le secteur des loisirs, de la santé et de l’alimentaire de proximité avec une prédominance du bio. Cette dynamique apporte des éléments de réponse sur l’avenir du commerce en France pour les investisseurs, mais cela sera-t-il suffisant pour relancer la dynamique d’investissement ?
D’après les professionnels de l’immobilier commercial, le principal frein n’est pas tant le changement de paradigme imposé par la révolution digitale et ses effets microéconomiques sur le commerce de proximité, mais la réticence des bailleurs institutionnels à réduire leur niveau de rentabilité fixé sur la base de loyers provenant d’un âge d’or révolu. Aujourd’hui, ils sont entrés dans une phase d’attentisme, préférant retirer leurs actifs du marché en attendant des jours meilleurs que de rentrer dans une spirale déflationniste au niveau des loyers.
Alors même que le taux de vacance des locaux commerciaux progresse partout en France dans les centres des villes moyennes, les grandes métropoles font faces à une pénurie d’emplacements adaptés à la restauration. Cette situation est la conséquence de la stagnation de la surface plancher dédiée à la vente de ces dix dernières années, mais surtout au fait que les propriétaires de locaux commerciaux en pieds d’immeuble sont dépendants de l’accord des copropriétaires pour l’installation d’un conduit de cheminée. Ainsi la majorité des demandes d’installation de concept de restauration sont refusés par les copropriétés en assemblée générale car les nuisances olfactives et sonores liées à l’activité d’un restaurant diminueraient la valeur de leur actif.
Le meilleur exemple est à Paris où seulement 10 % des locaux commerciaux bénéficient d’une extraction alors que des centaines de nouveaux concepts naissent chaque année et cherchent désespérément un local commercial." Aurélien Tert, cofondateur UnEmplacement.com.
D’après les professionnels de l’immobilier, l’île-de-France représente 50 % du volume des recherches de locaux commerciaux en France avec plus de 15 % rien que pour la capitale parisienne et 60 % des recherches des restaurateurs nécessitent une extraction. Une vraie manne pour les spéculateurs en immobilier commercial. La rareté des locaux commerciaux disposant d’un conduit de cheminée en centre-ville des métropoles entraine mécaniquement une hausse des loyers et des droits d’entrée à un tel niveau qu’ils ne sont plus en adéquation avec la rentabilité espérée de la majorité des concepts de restauration rapide. Ainsi, les restaurateurs se rabattent sur des emplacements en périphérie des métropoles où ils pourront compenser la baisse de trafic par le développement de leur livraison.
L’intérêt de ce type d’emplacement pour le restaurateur est de, non seulement, bénéficier d’un effet de destination créé par la multiplicité de l’offre de restauration au m², mais surtout du flux important et qualifié tout au long de la semaine généré par le centre commercial. Les bailleurs des centres commerciaux ont eux aussi été obligés de se restructurer face à la crise du commerce et sont aujourd’hui prêts à faire des concessions sur les niveaux des loyers, voire même une prise en charge des travaux, pour développer un pôle restauration dans le but de redynamiser l’attractivité commerciale de leur galerie.
Influencé par la montée en puissance des pur players de la livraison de repas hors domicile tels que Deliveroo ou Uber Eats, le concept des dark kitchens, littéralement « restaurants fantômes » est simple : des restaurants qui ne servent qu’en livraison.
Cette absence de zone de restauration sur place, ou à emporter donne l'opportunité à ces nouveaux concepts de s’implanter à des endroits moins onéreux, leur permettant de réaliser des économies substantielles. Pour exemple, le loyer moyen pour un local commercial à Paris en emplacement n°1 est de 843 € par m² par an en moyenne vs. 452 € par m² par an pour un local commercial en emplacement n°2 soit une économie de loyer de 1,4 million d’euros par an, selon les spécialistes de l’immobilier commercial.
Si ce nouveau marché arrive dans les prochaines années à représenter une part importante du marché de la restauration, il pourrait rabattre les cartes de l’immobilier commercial et ainsi fragiliser la valorisation des locaux commerciaux qui se basent principalement sur le flux piétons devant le local commercial, d’où l’adage « emplacement, emplacement, emplacement » comme critère n°1 du succès d’un commerce… De quoi donner des sueurs froides aux professionnels de l’immobilier commercial.
Néanmoins, que ces derniers se rassurent l’attractivité de ces nouveaux concepts est fragilisée par une épée de Damoclès qu’ils ont au-dessus de leur tête. En effet, leur canal d’acquisition client est 100 % dépendant des plateformes de livraison en ligne qui bénéficient aujourd’hui d’une très forte notoriété auprès du public, réduisant ainsi leur chance de pouvoir diversifier leurs canaux d’acquisition en direct via leur site en propre. Finalement, les économies réalisées au niveau du loyer sont à mettre en confrontation avec le revenu généré une fois les commissions de ces plateformes payées. Commissions qui montent à 30 %, selon négociations, du montant de chaque commande et qui peuvent être modifiées du jour au lendemain.
Ancré dans les habitudes et les nouveaux modes de consommation des Français, le snacking est devenu en une décennie le sauveur d’un pan tout entier de l’immobilier d’entreprise. Répondant au besoin physiologique et d’appartenance de la pyramide de Maslow, le snacking a hissé une barrière à l’entrée difficilement franchissable par un pur player d’internet qui souhaiterait le disrupter, mais… pour combien de temps ? Le phénomène des Dark Kitchens pourrait s’embraser sous l’influence d’une nouvelle génération de consommateurs de plus en plus enclin à la « nidification » et ainsi sonner le glas du snacking en commerce physique. Affaire à suivre de près durant cette nouvelle décennie !
Aurélien Tert, cofondateur de UnEmplacement.com aux côtés de Philippe Phak et Kevin Espiard.