Depur Expérience
Communauté

Le Monde du F&B post-coronavirus. Episode 1, la restauration d'aujourd'hui et de demain, par Depur Expériences

8 Avril 2020 - 8699 vue(s)
Comme vous pouvez le lire depuis une dizaine de jours sur snacking.fr, les patrons d’enseigne, après avoir réagi et pris position face à la crise, s’interrogent sur demain. Les scénarii se dessinent et les stratégies se construisent en fonction. Mais tous évoquent un monde nouveau, un consommateur changé, et un food service transformé. Un collectif d’une dizaine d’experts du cabinet Depur Expériences s’est penché sur l’après. Et Dan Cebula le fondateur détaille leur vision en avant-première sur snacking.fr. Une projection en 3 volets : Après cet épisode 1 consacré à la Restauration d’hier et de demain, rendez-vous la semaine prochaine pour la mort du fonds de commerce. A suivre, la nouvelle éthique du Food Service.

Disons-le d’entrée de jeu, la restauration, dans son essence de marqueur sociétal, est un des premiers bastions attaqués par les pouvoirs publics lorsqu’il s’agit de crise sanitaire. Le 14 mars 2020 à minuit, on nous a ordonné de fermer nos lieux de vie… Et de façon extrêmement brutale, nous est alors rappelé que la restauration, avant de nourrir, c’est un business qui a pignon sur rue, qui reçoit du public, et qui est régi par le Code de Santé Publique. De tous temps, l’humanité a dû faire face à des crises sanitaires majeures.  A chaque fois, elle a dû s’y adapter et progressivement modifier ses comportements et donc sa culture. Cette fois-ci, il s’agirait d’une crise sans précédent, ouvrant la voie à plus de collectif : plus de fraternité dans les liens sociaux et plus d’humanité dans l’approche business. Est-ce bien réel ou plutôt un effet loupe amplifié par une surexposition aux médias ? On nous explique que les mentalités vont (enfin) changer et que la restauration deviendra du coup plus vertueuse, c’est à dire plus respectueuse de la planète : plus sincère dans ses circuits d’approvisionnement, plus engagée dans la qualité et la transparence, plus proche du client. Ces promesses vont-elles durer ? Cette fameuse « distanciation sociale» deviendra-elle la norme de sorte de devoir imaginer que, à l’instar de la Chine, nos (très) chères valeurs de convivialité et de partage soient durablement impactées ?

"Chez Depur, nous débattons de ce sujet tous les jours. Naturellement optimistes, nous savons que cette crise est une opportunité pour ceux qui sauront/pourront la traverser".

Effet amplificateur oblige, ce qui était valable avant Corona l’est encore plus post Corona : nous anticipons un environnement global du F&B encore plus challengeant, les critères d’exigence des clients vont plus que jamais être naturellement revus à la hausse. Mais quels sont ces critères ? De quelle exigence parle-t-on ? Comment nous adapter à ces (nouveaux) comportements consommateurs ? Humblement quelques convictions et des hypothèses de territoires d’opportunités.

Panorama de la restauration de demain 

Grosso modo, nous voyons un monde du F&B qui se cristallise autour des changements de comportement des consommateurs appelés plus que jamais à devenir des consom’acteurs. Quel que soit le type de restauration, les attentes, déjà de plus en plus élevées avant crise, s’articuleront autour de valeurs non négociables : cohérence, plaisir, sincérité, proximité, transparence, engagement, qualité, hygiène. Et plus que jamais Made in France. 

Deux polarités opposées semblent se dessiner :

1) Le F&B fonctionnel et multimodal

Plus communément appelé « le Snacking », c’est lui le grand gagnant de la crise. A l’image de la dématérialisation du lieu de travail (le confinement nous a définitivement convaincu sur ce sujet), de la recherche de praticité et d’un client toujours plus nomade, les solutions de restauration iront de plus en plus vers le consommateur. Livraison, Click & Collect, Dark Kitchen, Bornes…sont les maîtres mots. Mais attention, cette « restauration sans contact » devra systématiquement être assortie d’une caution de réassurance quant aux bonnes pratiques d’hygiène. Nés pendant le confinement, nous verrons de nouvelles normes visuelles se développer : labels, gestes, gants, masques… et, à la clé, une réflexion réajustée sur le parcours de l’enseigne en direction de l’utilisateur.  Plus concrètement, un restaurateur ganté devra déposer le sac dans le coffre du livreur préalablement désaffecté. Le client sera alors averti par le livreur que la commande est en bas de chez lui et c’est ce dernier qui viendra la récupérer. Ainsi, le livreur, à aucun moment du processus, ne touchera ni la commande ni le client. Ce fut déjà le cas après la crise de la vache folle en 2001 avec une véritable rupture dans les usages notamment en termes de design avec l’ouverture des cuisines vers les salles et en terme de certifications avec l’explosion du Bio. Et si demain, par souci de transparence, on ouvrait les Dark Kitchen, un nouveau format de type Bright Kitchen verrait alors le jour… 

2) Le F&B émotionnel et affinitaire 

Demain, chaque sortie devra valoir le coup ! L’heure est au « no bullshit ». L’exigence vis-à-vis des concepts sera encore plus forte. Plus qu’un restaurant, il faut penser « lieu F&B » où partager une expérience sensorielle, goûter, découvrir, s’amuser…c’est créer les conditions qui permettront de vivre un moment véritablement unique. Les nouveaux formats de restauration que sont les food halls, food market, food court seront encore plus plébiscités car ils contiennent, par construction, toute la gamme des usages de ce que désirent profondément les clients finaux : du food, du beverage et de l’entertainement.

A cet effet, une attention toute particulière devra être consacrée aux enjeux de fidélisation dans un contexte de baisse potentielle de la fréquentation du public. Aussi, à la lumière de la notion de distanciation sociale, certains styles de service risquent de (re)faire leur apparition : chariots, plateaux, développement de la signalétique… quand d’autres devront être repensés tels que le service à table (servir une assiette sans un litho sera un crime…) ou encore les buffets souvent réputés non hygiéniques. Enfin, last but not least, la puissance du présentiel... Devenus tous un moment des « Intouchables » dans une planète confinée, la posture, les attitudes de service et l’attention portée à l’Hôte vont devenir des enjeux majeurs de différenciation. 

Tirer des enseignements des précédentes crises  

Qu’elles soient économiques, sanitaires ou politiques, les crises secouent, émeuvent, et portent de nombreuses promesses. De tous temps, on nous prédit de véritables révolutions sociétales. L’histoire nous montre pourtant que les bouleversements semblent plutôt instantanés. Nous assistons plus à des évolutions voire à des accélérations, les crises ayant un fort pouvoir amplificateur. Quand on regarde la chronologie des périodes F&B, les crises marquent des principes de rupture engendrant des modifications dans les comportements des consommateurs souvent liés à des phénomènes de précarisation. 

Depur Expérience

Voilà ce que nous enseignent les précédentes sorties de crises : un fossé se creuse toujours entre une classe sociale aisée qui aspire aux profonds changements alimentaires projetés et une classe sociale plus populaire indéniablement soumise aux fluctuations des matières premières et en prise avec un phénomène de malbouffe. 

1918, la lutte des classes et une restauration à double lecture 

A la fin de la 1re guerre mondiale, les grandes puissances signent la paix sur fonds de tensions sociales. C’est le début des « Années Folles ». S’ouvre alors une période extraordinaire en termes de créativité. Un vent nouveau souffle. Le paysage de la restauration connaît lui aussi un bel essor mais il reflète déjà la fracture sociale qui semble se dessiner: brasseries chics onéreuses et bouillons du peuple accessibles (le fameux plat du jour) constituent l’essentiel de la restauration hors foyer.  

1945: c’est le choc des Trente Glorieuses qui commence. 

Le célèbre « panier de la ménagère » devient la référence d’une France qui voit ses revenus croitre progressivement et continuellement. Le temps s’accélère et la restauration rapide (donc pratique) commence à voir le jour. C’est aussi (tristement) les prémices de la malbouffe issue de processus de centralisation et de rationalisation des systèmes économiques. Les réclames des années 60 vantent un monde où les sorties au restaurant deviennent un usage fréquent mais la réalité est toute autre. Des troquets du coin continuent de fleurir offrant mieux qu’une gamelle (certes faite maison) et des restaurants gastronomiques émergent. 

2008: le krash et l’effondrement 

Avec cette crise économique violente, s’éloignent les illusions d’un monde de la restauration enfin local et authentique pour tous aussi. C’est un vrai coup de tonnerre sur la planète « consommation ». Les achats se font soudainement de façon encore plus rationalisée. Consommer moins mais mieux. L’évolution est là.  Consommer géographiquement proche de soi véhicule une image rassurante. Mais à quel prix ? Si dans les intentions, ces phénomènes s’ancrent durablement, on note parallèlement une explosion de concepts F&B low cost et un essor sans précédent d’un Snacking de mauvaise qualité toujours plus industriel. La montée en gamme à laquelle nous assistons tous date de 2013/2014. Période calme, sans guerre, sans crise… 

Le Coronavirus, la grande lessiveuse ?  

A court terme, nous assisterons sans doute aux mêmes effets post 2008. Car il ne semble pas y avoir de phénomène véritablement assimilable. A dire vrai, nous craignons une très forte secousse pour toute une frange de la restauration à horizon 2020/mi 2021. Essentiellement pour des indépendants qui n’ont quasiment pas de trésorerie et qui ont déjà dû faire face à de nombreux événements avant le Coronavirus (terrorisme, gilets jaunes, grèves, canicules). Malheureusement se prépare la « grande lessiveuse de la crise ». Alors, même si les acteurs de la restauration ont toujours su traverser les crises et se réinventer, a contrario, les pouvoirs publics n’ont jamais su saisir les opportunités offertes par ces moments de rupture. Il faudrait que des aides massives soient distribuées en direction de cette restauration faite essentiellement d’indépendants car de tous temps ce sont eux qui ont su créer des lieux de socialisation. Il faudrait aussi imaginer un système de soutien permanent aux filières agricoles françaises pour que, enfin, tous, et pas seulement les plus riches, puissions consommer Made in France, Local, Authentique. En tous lieux, à la maison, comme en hors foyer.

Toutes les restaurations seraient gagnantes, pas seulement les plus pratiques ou les moins chères.

Retrouvez samedi 11 avril, la mort du fonds de commerce et lundi 13 avril, la nouvelle éthique du Foodservice.  

 

Commentaires (1)
Gravatar
Par Xavier ARNAUD le 12/04/2020 à 16:42
Merci pour cette analyse post covid que je partage totalement. Va falloir se réinventer nous les restaurateurs
Les concepts Snacking
décrypter

Dans la même thématique