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Tribune. La stabilité des prix n’est pas envisageable dans la Restauration!

30 Avril 2020 - 4176 vue(s)
Alors que les espoirs d’une baisse de la TVA ont à ce stade été douchés par Bruno Le Maire, les acteurs de la Restauration vont devoir faire face à de multiples phénomènes, nouveaux ou magnifiés par la crise, pour assurer une politique de prix à la fois perçue comme « juste », pour soutenir les volumes, mais aussi rentable. Pour mieux décrypter la crise et construire une politique tarifaire prudente et adaptée à l'après-Covid-19, David Vidal, partners et membre du board mondial du cabinet Simon-Kucher & Partners, spécialisé dans le conseil en stratégies de croissance, marketing, ventes et pricing, livre en exclusivité à snaking.fr, son analyse sur la restauration aux côtés de Clara Soppo Priso, la spécialiste de la restauration en France.

Un consommateur inquiet des hausses de prix

Le consommateur français a toujours été méfiant sur les prix pratiqués par les commerçants. Cette crise ne changera pas ce trait psychologique : 59 % des français s’attendent à des hausses des prix de la part des entreprises pour compenser les pertes enregistrées pendant la crise*. Pour la restauration spécifiquement, un élan de compassion est néanmoins bien là. Dans ce contexte, une baisse de la TVA, pas encore à exclure totalement, serait sans doute bien reçue, car elle participerait de la rassurance pour les consommateurs. Sans cette baisse, les restaurateurs auront une marge de manœuvre limitée pour tempérer cette méfiance, qui constitue un réel frein à la visite.

De nouveaux arbitrages clients liés au rapport « expérience-prix »

Les risques de substitution sont multiples.  Entre concepts d’abord, les consommateurs étant amenés à réévaluer le rapport expérience-prix (la perception de sécurité sanitaire y jouant un rôle majeur), mais aussi les rapports quantité et qualité-prix des alternatives qui leur sont proposées.

L'arbitrage entre la dépense de restauration et la possibilité d’y substituer un repas à domicile sera renforcé par rapport à l’avant-crise,

Plus largement, même si la visite et la consommation en restaurant font partie des plaisirs que les clients souhaitent retrouver, l’arbitrage entre la dépense de restauration et la possibilité d’y substituer un repas à domicile sera renforcé par rapport à l’avant-crise, en raison de la prudence attendue d’une part, mais aussi car les consommateurs ont réappris à prendre le temps de (bien) cuisiner. 

En parallèle, les perceptions prix d’enseignes vont indubitablement changer. Lorsque Domino’s Pizza affiche une croissance insolente de ses ventes dans certaines géographies, bien plus forte que celle des plateformes de livraison, on doit y voir les facteurs d’un « pricing power » de demain pour les enseignes qui sauront allier la maîtrise des mesures d’hygiène, un modèle, une connaissance de leurs clients et de leurs besoins…avec une offre de qualité. D’ailleurs, les investisseurs ne s’y sont pas trompés : la capitalisation boursière de Domino’s Pizza a augmenté, à contresens du reste du marché. 

Des actions « désespérées » à attendre de certains acteurs

Autrement dit, il faut s’attendre à une redistribution large des parts de marché, qui conduira en réaction, à des mouvements sur les prix et promotions de certains acteurs. Beaucoup de spécialistes appellent à ne pas baisser ou augmenter les prix, à juste titre… sur le papier. Toutefois, certains acteurs joueront leur survie, justifiant parfois des actions extrêmes, sans être forcément rationnelles. On se souvient des offres mises en place lors de la crise financière de 2008… les « $1 Value Items » aux Etats-Unis notamment, source d’ire des franchisés de certaines enseignes, avant de générer des guerres de promotions entre les différents acteurs.

la perception des enseignes par les consommateurs va être déformée vite et sans doute brutalement en fonction de ces actions

A l’inverse, d’autres acteurs, plus soucieux de leurs marges, seront tentés d’appliquer des hausses ou d’introduire des suppléments tarifaires, créant souvent des irritants tarifaires pour les clients, dont la préférence s’orientera dès lors vers les acteurs dont ils estimeront que la politique de prix est équitable. Autrement dit, la perception des enseignes par les consommateurs va être déformée vite et sans doute brutalement en fonction de ces actions. Cela constitue une vraie opportunité pour ceux qui parviendront à établir une véritable « identité prix », gage de rassurance dans cette crise.

Des coûts en hausse ou a minima volatils

Si certains produits comme la patate connaissent déjà des baisses de prix en raison du surplus de stock lié à la chute de la consommation de frites, en restaurant notamment, des hausses significatives sont aussi attendues. La pandémie perturbe déjà les chaînes logistiques, et induira tôt ou tard une tension sur les coûts d’achat pour de nombreuses denrées, les industriels faisant face à une augmentation importante des coûts de transport (en moyenne de + 10 à + 25 %). Cette augmentation des coûts ne devrait pas retomber de sitôt : de nombreux acteurs de l’alimentaire sont en train de ré-évaluer leurs sources d’approvisionnement, des interdictions d'exportations chez de grands producteurs (de blé par exemple) commencent à être mises en place, et la pénurie de main-d’œuvre agricole limitera la capacité à suivre la demande pour les denrées les plus rares. Ces réactions vont contribuer à altérer l'équilibre entre l'approvisionnement alimentaire et la demande, avec pour conséquence des augmentations de prix couplées à une hausse de la volatilité des prix. La volonté de payer des consommateurs, elle, ne suivra pas les fluctuations de coûts par produit. Il faudra donc trouver de nouvelles péréquations de marge, pour, plus que jamais, assurer une attractivité prix sur les produits qui créent l’image-prix.

Un mix des ventes transformé

Le pivot déjà opéré par certains, à opérer par d’autres, pour renforcer la vente à emporter, le drive, ou la livraison, va fondamentalement changer le mix de marge, les tickets moyens pouvant aller jusqu’à 20-30% d’écart pour un consommateur entre ces canaux, en fonction de l’enseigne.

Aussi, certaines enseignes ont déjà décidé de resserrer leurs assortiments, pour réduire la complexité opérationnelle (en cuisine), et logistique. Les produits iconiques resteront pour l’essentiel, mais certains produits pourraient disparaître au moins temporairement de l’offre pour ces raisons…ou pour protéger la marge. Ces changements d’assortiment peuvent déformer la perception des consommateurs : à titre d’exemple, alors qu’il n’y a pas eu d’inflation prix réelle sur les produits de Grande Consommation depuis le début de la crise, les effets mix, liés aux ruptures de stock notamment, nuisent à l’image-prix des acteurs de la Grande Distribution. 

L’exercice est périlleux car les enseignes devront répondre à des segments de consommateurs à la recherche d’accessibilité-prix, tout en allant chercher à satisfaire ceux prêts à dépenser. Enfin, sans ces ajustements d’offre, de nouveaux comportements de consommation vont quoiqu’il arrive émerger. Au-delà des évolutions de pouvoir d’achat, le temps passé en point de vente aura certainement un effet sur la composition des repas, avec la probabilité d’une consommation revue à la baisse en quantité de produits. Anticiper et mesurer ces effets, pour identifier les nouvelles péréquations prix/marge, va devenir vital, avec le besoin de réagir vite.

Un réseau de franchisés à la recherche de mesures d’urgence

Dans tout réseau, le prix est un facteur d’échange régulier entre et avec les franchisés. Besoin de défendre la marge pour certains, obligation de faire face à une concurrence agressive pour d’autres. Dans un contexte de crise, même si la décision de prix doit continuer d’appartenir au franchisé, la capacité à articuler les pratiques du réseau sera fondamentale, pour maîtriser l’image-prix de l’enseigne. 

Les acteurs de la restauration, confrontés à des enjeux sans précédent, doivent donc traiter ces enjeux prix comme autant de facteurs de survie, pour à court terme, desserrer l’étau d’une pression combinée sur la demande et les coûts, mais aussi ne pas commettre maintenant des erreurs qui pourraient coûter très cher une fois la crise derrière nous. De nombreuses enseignes n’avaient pas évité cet écueil lors de la crise précédente, en se créant elles-mêmes un « effet ciseau », fait de hausses de prix successives amplifiant les baisses de volume.

 

David Vidal est un des membres fondateurs du bureau Simon-Kucher à New-York de 2008 à 2011. Après son retour à Paris, il devient Partner en 2013 et membre du Board au niveau mondial en 2019. Ses secteurs d’expertise sont la distribution, le e-commerce et la restauration dans le cabinet qui compte 39 bureaux dans le monde, 1 500 collaborateurs dont 130 à Paris. De son côté, Clara Soppo Priso, entrée en 2012 au cabinet, pilote les activités dans la Restauration en France.

 

*Etude Simon-Kucher menée sur un panel de 1.000 consommateurs, Avril 2020

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