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'Nous sommes désespérés et en colère', l'appel à l'aide des restaurateurs au Président de la République

27 Novembre 2020 - 3617 vue(s)
La grogne monte chez les restaurateurs touchés par les annonces gouvernementales n’envisageant qu’une possible réouverture de leurs établissements au 20 janvier prochain au plus tôt. Après un premier appel lancé fin octobre, une quinzaine de grands noms de la cuisine française, associés à des centaines de restaurateurs regroupés au sein de plusieurs collectifs et groupements professionnels, ont ainsi signé une tribune « désespérée » publiée par Le Figaro et adressée à Emmanuel Macron. « Ne sous-estimez pas la colère qui monte et que nous ne pourrons plus longtemps contenir », lancent-ils face au silence de l’Elysée, bien déterminés à être reçus par le Président de la République.

"Monsieur le Président de la République,

Nous représentons des milliers de restaurants, d'hôtels, de traiteurs. Nous travaillons chaque jour avec plus de vingt corps de métier. Nous salarions directement plus d'un million de personnes. Nous sommes le sixième employeur privé de France – le premier si nous prenons en compte également les emplois indirects. Rares sont les Français qui, dans leur famille, n'ont pas un des leurs qui vit directement ou indirectement de l'activité économique que nous générons. Nous produisons, à nous seuls, 10 % du PIB de notre pays.

Nous tous, pour la première fois aussi unis, vous avons interpellé le 20 octobre dernier pour lancer un cri d'alarme. Depuis près de neuf mois, conscients de l'ampleur de la crise sanitaire, solidaires des professionnels de la santé et de tous ceux qui furent en première ligne pour faire face, nous avons accepté les fermetures, les adaptations, les normes nouvelles qui se sont succédé sans que toujours la rationalité nous en apparaisse clairement.

Nous avons investi pour inventer de nouvelles manières d'accueillir le public, nous avons emprunté, nous avons maintenu les emplois de nos salariés, nous avons continué à ouvrir pour les Français à un moment où les touristes se sont faits rares. Nous avons répondu présents à tous les appels que vous avez lancés. Pour contribuer à l'effort de la nation tout en essayant de maintenir la tête hors de l'eau. L'annonce du couvre-feu à 21 heures puis du second confinement nous a, depuis, frappés d'un nouveau coup qui a déjà été fatal à nombre d'entre nous.

Et maintenant, alors que la propagation du virus marque le pas, que vous permettez aux magasins d'accueillir à nouveau leurs clients, alors que nous avons investi, parfois lourdement, pour aménager nos espaces, éloigner les tables, limiter le nombre des clients, éviter les rassemblements debout, vous annoncez que, dans le meilleur des cas, nous pourrons rouvrir… le 20 janvier prochain.

Nous vous avons écouté mardi soir avec beaucoup d'attention pour voir quelle forme concrète prendrait votre fameux « quoi qu'il en coûte ». Nous avons été agréablement surpris quand vous avez annoncé que nous pourrions toucher en guise d'aide 20 % de notre chiffre d'affaires de l'année 2019 qui n'est que le coût réel de nos dépenses durant cette crise. Puis, nous avons découvert, effarés, que l'aide ne porterait, en 2020, que sur le mois de décembre.

En vous entendant, la France et les Français pensent que nous sommes bien lotis, alors que, en réalité, vous sacrifiez notre profession en refusant d'apporter les mesures indispensables à notre survie. Votre gouvernement aurait-il mal compris ce que vous avez dit ? 20 % sur un seul mois ! Le pire mois de l'année dernière, qui avait déjà été douloureusement marqué par les grèves. Et celui d'avant par la crise des Gilets jaunes. 20 % sur un seul mois, alors que nous avons été fermés près de 6 mois pendant cette année 2020 !

Vous avez vanté à juste raison la gastronomie dans notre pays, inscrite au patrimoine immatériel de l'humanité depuis exactement 10 ans. Pourtant, ce sont aujourd'hui les Etats-Unis qui compensent jusqu'à 100 % de la perte de chiffre d'affaires de leurs restaurateurs. Et nos voisins allemands jusqu'à 75 %. Votre Premier ministre dit ridiculement que 2021 sera l'année de la gastronomie, mais qui sera présent si vous n'apportez pas les aides nécessaires ?

20 % sur un seul mois ! Nous ne demandons pas un geste de charité, mais une compensation réelle à l'inactivité forcée sur près de la moitié de l'année. Le PGE n'est pas une aide, mais un prêt que nous devrons rembourser et qui n'a été octroyé qu'à des entreprises en bonne santé. Et le chômage partiel a heureusement permis de sauver des emplois, mais il a eu un coût pour nous, celui des congés payés sur lesquels rien n'a encore été décidé, malgré nos sollicitations acharnées. Voulez-vous nous faire regretter de ne pas avoir licencié une partie de nos personnels ?

Monsieur le Président de la République, ne sous-estimez pas la colère qui monte et que nous ne pourrons plus longtemps contenir. Nous avons derrière nous toutes les filières qui vivent de notre activité, les agriculteurs, les pêcheurs, les éleveurs, les primeurs, les vignerons, les fleuristes, la blanchisserie, et bien d'autres encore. Nous avons derrière nous toute la jeunesse que nous employons très largement et l'apprentissage qui vous est si cher. Nous sommes nombreux, nous sommes désespérés et nous sommes en colère.

Monsieur le Président de la République, voilà plus d'un mois que nous vous avons lancé un appel à l'aide et nous n'avons reçu aucune réponse. Pas même un mot qui aurait marqué votre considération. Vous ne pouvez pas vous afficher avec nous à l'Élysée lorsque les temps sont fastes, et nous ignorer lorsqu'ils sont néfastes. Nous vous demandons solennellement de nous recevoir, avec d'autres solutions que des rideaux de fumée ou des hochets qui ne serviront qu'à retarder notre effondrement.

En espérant que les mots suffiront pour vous convaincre de l'urgence à sortir du silence et des fausses promesses."

 

Cette tribune, publiée dans Le Figaro, est signée par : 

Les chefs : Mathieu Pacaud, Guy Savoy, Yannick Alléno, Olivier Roellinger, Olivier Bertrand, Laurent de Gourcuff, Benjamin Patou, Thierry et Gilbert Costes, Jean-Louis Costes, Stéphanie Le Quellec, Arthur Benzaquen, Laurent Gardinier, Pierre Gagnaire, Julien Dumas, Anne-Sophie Pic, Jean Imbert, Jérôme Tourbier, Christian Le Squer, Éric Frechon, Thierry Bourdoncle.

Et aussi : le Groupement national des indépendants de l'hôtellerie et de la restauration (GNI), le Collectif des restaurateurs unis, le Collectif Restons ouverts, Sébastien Bazin (président d'Accor), Jean-Virgile Crance (président du Groupement national des chaînes hôtelières), Roland Héguy (président de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie), Didier Chenet (président du Groupement national des indépendants de l'hôtellerie et de la restauration), Hervé Dijols (président du Syndicat national de l'alimentation et de la restauration rapide).

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