Gilles Fumey
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L’Eco-score qui mord, le billet de Gilles Fumey

28 Janvier 2021 - 1610 vue(s)
Dans sa chronique pour France Snacking, le géographe de l'alimentation Gilles Fumey s'interroge sur l'écologisation de l'alimentation, avec la mise au point de l'indicateur Eco-score sur les emballages.

La crise sanitaire aura-t-elle eu raison des hésitations du gouvernement sur l’écologie ? Pour l’industrie agroalimentaire, janvier 2021 marque un palier supplémentaire dans l’écologisation de l’alimentation avec la mise au point de l’Eco-score. En période d’inflation des notations qualifiant tous les services et les comportements humains, l’alimentation était déjà dans l’œil d’un cyclone qui semble tout emporter. Les 150 propositions formulées par la Convention citoyenne pour le climat ont poussé des entreprises du numérique et de l’alimentation à présenter un indicateur mesurant l’impact environnemental des produits alimentaires industriels. Une nouvelle étiquette Eco-Score (comme « écologie » et non économie) va offrir une nouvelle notation, proche du Nutri-Score sur les emballages de plus de 2 200 produits distribués par le site La Fourche.

L’initiative de trois mousquetaires de la bio mérite qu’on y prenne garde. Elle s’associe avec neuf autres entreprises : Yuka, FoodChéri, Seazon, Marmiton, Etiquettable, Open Food Facts, ECO2 initiative, ScanUp, Frigo Magic. La nouvelle étiquette née de ce club des dix est appuyée par la loi de lutte contre le gaspillage et de promotion de l’économie circulaire, tout en allant plus loin que l’ambition de la loi. Pour Lucas Lefebvre, l’un des initiateurs, il faut accompagner « la prise de conscience des consommateurs et leur permettre de faire des choix éclairés. » A terme, ce sont 240 000 produits issus de la base de données en ligne d’Open Food Facts commencée en 2012 qui vont migrer, avec l’Eco-score, vers la grande distribution et la restauration collective. Pour parer à toute critique, l’« Eco-Score » affiche les moyens de ses ambitions.

En effet, comment l’environnement peut-il être marqué dans l’alimentation ? Par le cycle de vie d’un produit alimentaire car la production, le transport et l’emballage nécessitent de l’énergie et peuvent dégrader l’environnement, comme le mesure l’Ademe et l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Des mesures si délicates que les associations – écologistes et consommateurs – craignent qu’elles renforcent l’industrialisation de l’agriculture. Car si le cycle de vie doit être court, la production doit donc être intensive. Les treize indicateurs qu’ils ont façonnés sont collectés dans une base de données disponible pour plus de 2 500 produits.

Avec un bonus-malus qui valorise ou pénalise la note de l’Eco-Score, on encourage les labels, l’origine, les choix écologiques, la saisonnalité. Les myrtilles du Pérou ou les fraises d’Andalousie, les haricots du Kenya et le quinoa bolivien vont tendre vers la lettre E, la plus basse du score du fait de leur fort impact environnemental. Comme pour le boycott de l’huile de palme dont le lien avec la déforestation tropicale en Indonésie, au Brésil et en RDC (Congo) est établi.

Ainsi va l’éducation à l’alimentation. On tisse un lien entre les images de bulldozers défonçant l’Amazonie et le burger avalé par des millions de consommateurs. On relie le gaspillage du tiers de la production alimentaire avec l’injonction d’un syndicat agricole à produire plus, justifiant intrants et pesticides. On fait le lien entre la très coûteuse eau dessalée nécessaire pour produire des tomates en Andalousie et les camions de livraison qui polluent sur les autoroutes. Et lorsque l'on n’accepte plus une volaille d’élevage industriel gavée aux antibiotiques salissant les sols, on prend sa part à la lutte contre le réchauffement climatique.

La crise covidienne qui donne à un virus de Chine l’occasion de mettre en bas une grande part de l’économie mondiale est d’une grande pédagogie. Elle renforce ce que les chercheurs peinent à expliquer au commun des mortels : sur notre planète, tout est lié. On le sait depuis deux siècles, mais on fait semblant de ne pas le savoir. En 2021, on va exposer à la famine (qui d’entre nous imagine l’atrocité de ne plus avoir de quoi se nourrir ?) l’équivalent de trois France supplémentaires. Même les vertueux jurés scandinaves des prix Nobel nous alertent en offrant leur prix pour la paix au Programme alimentaire mondial des Nations unies…

Cet hiver 2021, l’écologie de l’alimentation bascule dans la politique. Les entreprises peuvent regretter la contention que cela représente pour elles. Mais comme la cigale de La Fontaine, auraient-elles été assurées de survivre lorsque la bise fut venue en mars 2020 ?

 

Gilles Fumey, géographe, Sorbonne université-CNRS.

 

Retrouvez cet article dans le tout dernier numéro de France Snacking  FS 60 qui vient de paraître, feuilletable gratuitement en ligne dès aujourd’hui et dans la boîte aux lettres des abonnés dans quelques jours.

 

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