Ce qui a changé en dix ans, c'est aussi important que ce qui s'est passé entre 1789 et 1801 avec l'invention de la gastronomie. Nous avons basculé dans un autre monde dont il est difficile de savoir ce qu'il sera (comme en 1800 lorsque Joseph Berchoux parle de gastronomie dans son célèbre poème). Mais la lente érosion de la restauration commerciale, la montée en puissance et en qualité du snacking, le tout avec une pandémie qui accélère une grande mutation en cours, les planètes sont alignées pour un nouveau paradigme alimentaire. Qu'on ne dise pas que les Français ont redécouvert la cuisine au domicile alors qu'ils plébiscitent Picard Surgelés comme leur marque préférée ! Non, il se crée un nouveau monde alimentaire avec un domicile qui devient, par moments, une annexe des restaurants par les livraisons qui se banalisent, y compris dans celles de produits frais issus de marchés ou de producteurs locaux pour des agapes bien ciblées. Et en même temps, nous voyons un snacking qui correspond de plus en plus à des pratiques alimentaires moins cérémonielles, plus légères, plus fréquentes parce que liées à des mobilités que les confinements et les couvre-feux vont faire bondir à la sortie de la crise sanitaire.
Manger local, manger global est l'analyse d'une tension liée à une mondialisation des plats qui poussent les néophiles que nous sommes tous à découvrir de nouvelles cuisines, de nouvelles recettes, à aller vers plus de diversités, à courir après les modes, et qui se pratiquera d'autant plus fréquemment qu'un pendant local permettra de "garder les pieds sur sa terre natale ou d'adoption". L'un ne va pas sans l'autre. Plus on valorise le local, plus le mondial est désirable. Plus le mondial est proche (par les livraisons), plus le local paraît exotique (par la découverte de nouveaux végétaux, de nouvelles pratiques avec un lent éloignement vis-à-vis de la viande issue d'élevages industriels).
Il faut accepter cette ambivalence parce que les humains sont pris dans cette tension qui est constamment renouvelée par les technologies. Au XIXe siècle, l'appertisation et le chemin de fer mondialisent les premières boissons. Au XXe siècle, l'automobile et l'agrandissement des chaînes du froid éclatent les modes de livraison et de conservation et mondialisent les plats à mesure que le tourisme de masse qui créé de l'exotisme se met en place. Aujourd'hui, la tension se fait par un désir de proximité d'autant plus assumé que les plates-formes assurent un service de qualité pour des produits de toutes origines et une réorganisation.