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#AuSecoursMonPerso! Attention à la reprise, les risques de pénurie de personnel sont réels en CHR

11 Avril 2021 - 9119 vue(s)
Avec la reprise qui se dessine et les Français qui ont clairement indiqué vouloir massivement retrouver leurs restaurants, il y a fort à parier que la reprise risque d'être "violente". Si la demande sera là, est-ce que l'offre sera disponible ? Et est-ce que les ressources humaines seront au rendez-vous ? Les professionnels craignent en effet une pénurie sévère et pour beaucoup constatent une fuite de personnels vers d'autres secteurs. Nous avons demandé à l'experte en recrutement, Julia Rousseau, du cabinet Ethique RH, de partager son point de vue. Cette experte, un parcours RH dans l’industrie Hôtelière et la restauration, est aussi intervenante dans différentes écoles hôtelières en France, et exerce une activité de recrutement sur des profils middle et hauts cadres en France et sur l’international dont la réalisation de bilans de compétences et de carrières dynamiques.

Quel est votre regard sur cette longue période de mise sous cloche de la restauration, du point de vue de la relation employeurs-salariés ? Y avait-il des plans d’action à mettre en place pour garder le lien… ?   

Le temps est long en cette période et beaucoup de restaurateurs souhaitent rapidement retrouver leurs clients, travailler, se sentir utiles et redonner du plaisir aux clients, qui est l’essence même de leur métier, qu’ils réalisent avec passion. Beaucoup se réinventent et trouvent des solutions pour apporter du bonheur culinairement parlant. On voit le phénomène des « dark kitchens », les livraisons à domicile cartonnent et certains chefs, même les étoilés, proposent des menus accessibles à tous ! Aujourd’hui avec un budget de 20/30 €, on peut s’offrir le midi une formule d’un Chef étoilé. Les publicités s’y mettent aussi avec Uber Eats et une vidéo entre Guillaume Sanchez et Michel Sarran. Le job de livreur explose littéralement et une organisation s’est vite mise en place. La restauration rapide, dite de snacking, tire son épingle du jeu car la vente à emporter a toujours été très présente dans notre environnement culinaire. Certains chefs partagent leurs recettes sur Instagram et d’autres réseaux sociaux. Et c’est un carton, les livres sortent en librairie. Ce confinement a permis, avec également la participation active de certains chefs, à de nombreux Français et Françaises de redécouvrir la cuisine avec des produits frais et d’innover. La cuisine des chefs se « démocratise » avec le burger basque d’Hélène Darroze accessible à tous, le food truck de Michel Troisgros, le fish & Chips de Guillaume Sanchez. Tout se réinvente pour le bonheur de nos papilles. Les restaurateurs font beaucoup pour garder le lien avec les équipes, en prenant des nouvelles, essayant de créer des visios, certains effectuant des formations à distance sur le management, les comptes d’exploitation, en compta et même en sommellerie mais c’est plus    délicat ; vous recevez certes un colis avec des échantillons mais vous dégustez seul, or la restauration reste le PARTAGE, les ECHANGES, la CONVIVIALITE. Nous sommes sur des métiers de terrain. Les profils en cuisine souhaitent créer, sentir le coup de feu, se rendre en salle pour avoir les avis des clients. Le contact dans nos métiers est primordial. 

"On ne peut que regretter l’absence de calendrier clair de sortie de crise, car, hélas, beaucoup de profils issus de la restauration ou de l’hôtellerie se dirigent vers d’autres secteurs. A ce jour, le métier d’Agent Immobilier a le vent en poupe et nous perdons malheureusement beaucoup de nos talents". Julia Rousseau, Co-Owner H&R Expert Recrutement

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Est-ce que la crise sanitaire a changé les rapports ou les relations dans le recrutement en général ?  Et pensez-vous que cette crise sanitaire va changer les contours de la branche et de ses métiers ou des profils recherchés ?  

Le recrutement prend plus de temps, les restaurateurs attendent les décisions gouvernementales pour avoir des perspectives. Si on prend les exemples de chefs, beaucoup quittent la restauration commerciale et/ou traditionnelle pour rejoindre des Ehpad, la collectivité ou se lancent comme chef à domicile avec des horaires un peu plus « souples », se dirigent également vers les métiers liés au digital ou créent des applications inédites. On peut craindre effectivement que les profils issus de notre secteur d’activité, avec un arrêt depuis une année, puissent avoir du mal à reprendre des horaires intenses, de la coupure, un rythme effréné, travailler les week-ends. Un chef m’a glissé à l’oreille qu’il avait du plaisir à découvrir ses enfants, à vivre une vie de famille « normale »."

Cette crise a déjà apporté quelques changements, les candidats souhaitent une qualité de vie avec plus de lien et de temps avec leur famille. Avant Covid, nous avions déjà du mal à recruter certains profils en cuisine comme chef de partie, des commis, des chefs de rang. Avec cette crise, j’ai bien peur que cela soit encore plus difficile hélas ! Il y a vraiment un travail de fond à effectuer avec les écoles, rendre la profession plus attractive et pourquoi pas adapter des horaires différents. Certaines enseignes de la restauration rapide ont compris depuis des années qu’il est important de garder les bons profils et qu’une évolution possible et un plan de carrière étaient indispensables. Les salaires ont un peu évolué et plutôt à la baisse pendant la Covid. Certaines entreprises sont prêtes à les revoir à la hausse dès que l’activité repartira. Mais quoiqu’il en soit, les salaires restent variables d’une maison à une autre, avec un 13e mois dans certaines maisons, des PSO pour les Chefs sur les normes HACCP par exemple. Vous avez aussi des Chefs de rang qui ont des pourboires exceptionnels et ne souhaitent pas quitter leur poste pour autant...

La profession connaît depuis toujours une pénurie de main d’œuvre, ne pensez-vous pas que le phénomène risque de s’aggraver à la reprise ?

Oui tout à fait, certains postes sont difficiles à trouver, à fidéliser et sont plutôt « volages » car ils souhaitent travailler dans diverses maisons pour apprendre davantage et progresser. Il est important de proposer à ces profils un plan de carrière pour les faire grandir au sein de la structure. Aujourd’hui, certains profils souhaitent brûler les étapes et devenir Chef très rapidement. Or ce métier nécessite une expérience, il faut certes être créatif mais également être un excellent gestionnaire, savoir maîtriser ses ratios, réaliser une fiche technique précise, être à l’aise sur l’outil informatique, être fédérateur de ses équipes etc… Pour évoluer sur des postes de directeur dans la restauration rapide, un équipier va devoir passer par tous les postes : salle, cuisine, vente. Ensuite, une formation reconnue est proposée et en quelques années, la personne peut évoluer en sachant lire un compte d’exploitation par la suite. Tout cela s’acquiert et c’est important. Il est aussi essentiel de valoriser davantage certains métiers dans les écoles hôtelières. Avec beaucoup de reconversions professionnelles, nous pouvons effectivement perdre de nombreuses belles pépites, à nous de les récupérer avec de belles offres d’emplois. Il faut valoriser davantage les profils, rendre les salaires plus attractifs, des conditions de travail plus souples, proposer davantage de formations et faire grandir les équipes. 

Beaucoup de salariés de la restauration, en chômage partiel forcé, ont découvert une autre vie ? De famille, professionnelle… De nombreux restaurateurs s'inquiètent de ne pas retrouver une partie de cette main d’œuvre qualifiée à la réouverture ? Est-ce un vrai risque ? 

C’est tout à fait exact et je le vois et constate avec les nombreux bilans de compétences que je réalise. Cela concerne tous les métiers : du directeur d’hôtel au Responsable commercial comme au chef de cuisine, au manager de restauration rapide.  Ce retour à la « normale » assez long les exaspère, ils ont besoin de se sentir valorisés. Beaucoup ont déjà réfléchi à un bilan de compétences depuis longtemps mais avec leurs activités professionnelles intenses, rythme de travail, manque de temps, déplacement professionnel, c’était un « simple » projet. Or, avec le chômage partiel en cours depuis prequ'un an, tout s’est accéléré et beaucoup se disent que c’est le moment de changer de carrière, de secteur d’activité ou bien de reprendre des études, et pourquoi pas réaliser un rêve ! Des vocations réelles naissent. Je remarque qu’ils ont besoin de parler, d’être rassurés.

C’est un vrai risque de perdre de bons éléments, de la main d’œuvre, mais certains le font en attendant et souhaitent activement revenir sur ce secteur. Par exemple, j’ai un sommelier issu d’un palace qui, en attendant est agent immobilier au même titre d’ailleurs qu’un chef de cuisine issu des tables de direction pour des PDG d’entreprise. En revanche, ce dernier ne souhaite pas revenir en cuisine car il a senti un équilibre avec sa vie de famille. J’ai aussi un profil issu de la restauration rapide, qui a crée son appli digitale pour des repas à domicile pour des personnes âgées ; un autre a créé un service de conciergerie pour les personnes en télétravail. Certains osent ouvrir en période de Covid ; j’ai un candidat qui a ouvert sur Lyon une activité snacking, pain, pâtisserie en juin 2020 et c’est un véritable succès, il réalise un bon chiffre d’affaires et cherche à recruter pour septembre. 

Alors qu’une ligne d’horizon semble se présenter pour la réouverture des restaurants entre la mi-mai et la mi-juin, faut-il dès à présent enclencher des actions ? La restauration peut-elle louper cette étape ? 

Les restaurateurs attendent cette réouverture depuis très longtemps, ils sont prêts à accueillir les clients. Beaucoup d’entre eux ont réadapté leurs cartes avec un modèle différent, par exemple une très belle brasserie parisienne se transforme en cuisine type bouillon et une carte plus limitée, des suggestions du jour seront davantage proposées aux clients pour garantir la fraîcheur des produits.

Les restaurateurs sont prêts depuis longtemps, la seule difficulté : maintenir leur équipe car certains sont partis et se sont reconvertis. J’ai également beaucoup de profils partis en province pour une qualité de vie autre : plus d’espace, un extérieur, la nature à proximité et seuls, des loyers moins chers, pouvoir accéder à la propriété, trouver un emploi plus facilement avec moins de concurrence sur le marché. Il faut, quand on est une chaîne, mettre en place une veille pour accompagner ces « transferts » de région et garder les compétences dans le réseau. La restauration ne loupera pas cette reprise, beaucoup de professionnels l’attendent et de pied ferme avec des protocoles sanitaires encore renforcés afin d’accueillir les clients en toute sécurité. Mais avec la reprise qu’on attend pour le mois de mai, il faut d’ores et déjà se préparer, recruter rapidement, commencer les plannings, maintenir le lien, réaliser des team building en distanciel et présentiel, se retrouver, préparer une réunion avec plusieurs possibilités de réouverture. La question que l’on peut se poser à ce jour : les clients vont-ils se ruer vers les restaurants ? Vont-ils rester prudents, attendre une semaine, voire deux. Tout n’est que supposition…. ! Les restaurants en Espagne ont réouvert et semblent avoir passé le cap, pourquoi pas en France ? Ils sont prêts et dans de bonnes conditions de respect des gestes barrières.  

Comment voyez-vous le monde d’après, du point de vue du recrutement et des relations avec ses équipes à travers le prisme de ce que nous venons de traverser ? 

Avec les réouvertures, l'activité va forcément repartir. J’aime être positive et croire à un nouveau départ de ce beau secteur. Les touristes vont revenir, aussi. On constate au niveau international une levée progressive des restrictions sanitaires et ainsi une capacité à retourner dans les restaurants, que ce soit en Australie, en Angleterre ou en Espagne. Les équipes seront heureuses de retrouver leur lieu de travail. A noter que nous avons la chance d’avoir beaucoup de passionnés.

La modification de la relation au travail et notamment le fort développement du télétravail devra sans aucun doute modifier l’offre de restauration, notamment de bureau afin de prendre en compte cette nouvelle donne. De nouveaux métiers vont émerger notamment autour du digital afin de mettre en place une offre plus agile répondant aux besoins du monde d’après.

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