Gilles Fumey
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Le snacking dans le chaudron politique, selon Gilles Fumey

9 Février 2022 - 2238 vue(s)
Dans sa chronique pour France Snacking, le géographe de l'alimentation Gilles Fumey explique comment, le snacking, ni populaire ni bourgeois, n'a pas vocation à être dans le patrimoine. Comment il est hors sol et il s'infiltre partout, dans les domiciles où il entre avec le quick-commerce.

Les campagnes électorales sont voraces. Tous les sujets qui fâchent passent au chaudron bouillonnant de l’opinion. Nos nourritures, comme le reste. Car le philosophe et fondateur du Parti communiste italien, Antonio Gramsci, associait les victoires électorales à la conquête de territoires culturels : cinéma, théâtre, littérature, musique… et alimentation qui étaient pour lui des sujets de rassemblement. À l’époque, le saucisson-pinard en France dans les mains de Jean Gabin et sous la plume de Roland Barthes faisait recette aux côtés d’un assemblage encore plus consensuel, le steak frites que les Français plébiscitent comme leur plat national. Aujourd’hui, certains partis politiques s’en emparent comme des totems.

Car l’eau trouble de la politique actuelle brouille la manière dont les citoyens se reconnaissent dans ce qu’ils mangent. Le jambon-beurre, le couscous, la viande rouge et le vin, tout comme le caviar, deviennent des sujets politiques. Nul électeur à droite ne voudrait qu’on les confonde avec la « gauche quinoa » et ses référentiels bourgeois.

Durant le dernier quinquennat, les gilets jaunes ont apporté dans le débat politique la question du coût de la vie avec l’affaire du Nutella. La ruée vers l’or de la marque phare de Ferrero a pu paraître exagérée dans sa scénarisation. Mais elle a ouvert grand le fossé entre ceux qui s’inquiètent de la déforestation tropicale du fait de l’huile de palme et ceux qui ne refuseraient rien à leurs enfants. Pas un mois ne passe sans que l’actualité aimante un sujet Food : viande blanche issue des élevages industriels, foie gras et chocolat à Noël, « Dry January » (le mois de janvier sans alcool), bientôt les taxes sur le sucre, tout creuse le fossé entre les générations et à l’intérieur de celle des adultes.

Et le snacking dans tout ça ? Comme mode de vie alimentaire des néo-nomades et des décomplexés d’une certaine gastronomie royale, le snacking des « foodistas » a des couleurs. Il joue sur un autre registre. Celui d’une création permanente dont on voit le bouillonnement dans les salons professionnels. Celui d’une valse continuelle des codes alimentaires, valables à une époque, puis abandonnés sans complexe. Hier l’exotique, aujourd’hui le local.

Le snacking avance avec des individus dont les goûts sont enchâssés dans des collectifs mondialisés. C’est une planète qui pourrait paraître dépolitisée, extraterritoriale. Pas de fierté nationale. Les consciences sont éveillées sur les grandes questions environnementales contraignant les gouvernants à légiférer. Abandonner le plastique ? Soit. Les additifs ? Le temps de s’adapter. Le sucre ? Des startups comme DouxMatok et Amai Proteins (Israël) y travaillent. Les protéines alternatives ? Voici Solar Foods qui convertit le C02 en protéine grâce à un procédé de photosynthèse.

Le snacking n’a pas vocation à être dans le patrimoine. Il n’est ni populaire ni bourgeois. Il n’impose pas de régime. Il est hors-sol et pour ses pratiquants, il ne peut être déviant par rapport à une orthodoxie. Libertaire dans son âme, ses seules règles et lois imposées sont celles de la République. Il s’infiltre dans les domiciles où il entre avec le quick-commerce où règne le transnational. Ne voyons-nous pas le Français Frichti se réjouir d’un partenariat avec l’Allemand Gorillas ? Repas, épicerie, snacking : tout passe à la moulinette des nouvelles technologies. Tout brouille les cartes.

Dans sa mue vers plus de produits locaux et végétaux, le snacking va trouver à sa porte, dans nos frontières nationales, des produits tropicaux. En Bretagne, les petits concombres cornus au goût de melon (le kiwano, originaire d’Afrique du Sud), le gingembre, le curcuma, le taro en attendant la vanille et le poivre sont déjà produits sous serre. Au pied des Pyrénées, dans la plaine de la Salanque vers Perpignan, d’autres exotiques comme les bananes, les fruits de la passion, les jamrosats au parfum de rose sont disponibles en circuits très courts. Pour des sachets de fruits séchés, ils feront l’affaire.

Dans les nouvelles régulations alimentaires individuelles, le snacking peut être un acte militant « moderne ». Il formule un projet d’avenir pour le meilleur et pour le pire, contrairement aux courants résistants ou réactionnaires. Sans connotation négative pour les militants du manger-ce-que-je-veux-quand-je-veux, le snacking est bien dans le chaudron de la politique. Sans parvenir à faire sauter la marmite.

Gilles Fumey (Sorbonne Université/CNRS), vient de publier une Histoire de l’alimentation (coll. Que sais-je ?)

 

Retrouvez cet article dans le tout dernier numéro de France Snacking  FS 65 qui vient de paraître, feuilletable gratuitement en ligne dès aujourd’hui et dans la boîte aux lettres des abonnés dans quelques jours.

 

Gilles Fumey Géographe de l’alimentation
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