Philippe Hery Hippopotamus
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Hippopotamus, chaud comme la braise pour la livraison. Entretien avec Philippe Hery, DG

4 Mai 2022 - 4898 vue(s)
Fin 2019, la chaîne de steakhouse à la française du Groupe Bertrand expérimentait déjà la livraison et le multicanal. Une stratégie de digitalisation de son offre qui lui a permis d’être ô combien réactive lorsque la crise a frappé, avec des performances inattendues notamment sur certaines gammes de produits comme l’entrecôte. De sorte qu’aujourd’hui, cette activité qui est partie prenante du modèle économique des restaurants,  pèse près de 8 % du CA global du réseau, explique son directeur général, Philippe Hery, qui témoignera au Congrès du Snacking le 7 juin prochain.  

La crise a-t-elle été le déclencheur de la stratégie livraison d’Hippo ?

Non puisque déjà depuis six mois, nous étions en phase d’expérimentation. Assortiment, process, largeur de gamme, pricing, packaging, des tests étaient en cours dans une dizaine de restaurants succursalistes lorsque la crise a frappé en mars 2020 et que la demande est montée en flèche après le déclenchement de la pandémie. Inscrit dans une stratégie de rajeunissement de la marque depuis 2017, bien avant le big-bang Covid, la poussée de la livraison ne nous avait pas échappé. Engagé dans un programme de transformation totale des 110 restaurants vers un modèle de Steakhouse à la française avec cuisson à la braise, il nous semblait indispensable d’apporter nos propres réponses aux mutations du marché et à l’émergence de la commande en ligne. Quand bien même Hippo était déjà parvenu à rajeunir de 6 ans sa clientèle et à accroître l’activité de 30 % sur les établissements rénovés (une soixantaine aujourd’hui), nous devions être tout autant présents sur les nouveaux circuits émergeants. Ne serait-ce que pour aller toucher un autre public et gagner du chiffre d’affaires additionnel. 

Quels ont été les défis et les obstacles pour un concept de restauration à table ?

Même si dans un groupe comme le nôtre, nous avons une culture pluriconcept que nous déployons notamment en franchise, il n’est pas évident, pour des enseignes de restauration avec service à table, de jouer à armes égales sur les plateformes, avec les acteurs spécialisés. Non pas que nous n’ayons pas la légitimité -Hippopotamus est une marque forte- mais la restauration rapide est un autre métier, avec ses codes et ses usages. Qui plus est pour un acteur, comme nous, positionné sur la viande et pour qui l’expérience au restaurant, reste au cœur du concept. Pour autant, nous avons relevé le défi et constitué une équipe pluridisciplinaire pour poser le sujet, prendre la mesure de ce canal de distribution et poser les bonnes questions sur l’assortiment, le positionnement tarifaire jusqu’à la définition du packaging. Et évaluer toutes les implications de cette activité supplémentaire sur les organisations et les process en place. Si les enjeux opérationnels étaient nombreux, mais pas insurmontables, nous nous devions d’être alignés sur nos valeurs jusqu’au domicile du client. D’où ce travail pointu mené notamment sur le choix des emballages, leur  habillage et les informations indicatives qui y figurent pour permettre de valoriser l’offre mais surtout au consommateur d’être rassuré et de repérer d’un coup d’œil, le contenu des boîtes.

Hippo

Livrer de la viande rouge, n’était-ce pas un pari osé ?

En effet, nous n’avions aucune certitude si la clientèle serait réceptive à une proposition de viande cuite, livrée à domicile. Voire quelques interrogations sur certains types de produits qui, s’ils s’inscrivent complètement dans une expérience à table sur une planche, n’ont pas forcément toute la légitimité en livraison. Mais nous avons avancé nos pions. L’offre a été volontairement rationnalisée avec un assortiment plus court qu’en restaurant. Construite autour de produits iconiques et qui s’inscrivent dans notre ADN autour des viandes de caractères, en grande majorité françaises et cuites à la braise comme l’onglet, l’entrecôte, la côte de bœuf individuelle, accompagnées de 6 sauces aux choix, fabriquées maison, de garnitures frites, légumes, pomme au four…, la carte « delivery » compte aussi des burgers, du poulet et des ribs tout comme des entrées à partager… Disponible sur Uber Eats et Deliveroo, l’offre Hippopotamus, même si nous l’avons ajustée en cours du route, a rapidement trouvé son public. Et parmi les succès inattendus, l’entrecôte de bœuf s’est rapidement installée parmi les best-sellers de la marque en livraison où la catégorie viande de bœuf pièce représente près de 40 % du CA livraison en 2021.

Comment expliquer ce succès de la livraison ? Vous évoquez des ajustements en cours de route ?

Passer de 3 % des ventes en 2019 à 8 % aujourd’hui, c’est en effet un sacré bon en avant sur une activité quasi-inexistante auparavant. La notoriété de la marque avec tous les référents qualité qu’elle véhicule y sont pour beaucoup alors que les consommateurs sont en quête de diversité face au foisonnement d’offres disponibles sur les plateformes. Notre courbe d’expérience nous a permis, selon les taux de prise, d’affiner nos propositions. Nos viandes sont aujourd’hui proposées slicées ou pas, nos garnitures moins nombreuses et nous avons intégré des menus ou encore quelques suppléments pour gagner des points de rentabilité dans une équation compliquée face au poids important des commissions des agrégateurs. L’assortiment « viande », entre les pièces de bœuf, les burgers et les menus viandards représente près de 60 % des ventes livrées pour un panier moyen de 32,50 € tandis que le ticket moyen, au restaurant, est de 25 € TTC.  Pour ce qui est des tarifs affichés, il faut compter entre 5 et 15 points de plus que nos prix sur place sur certains items.

Vos objectifs en livraison sont-ils ambitieux ?


Si aujourd’hui près de 80 % des restaurants du réseau proposent de la livraison (ceux qui n’en font pas n’ont pas la clientèle ou les plateformes dans leur ville), ne nous méprenons pas, notre vocation première est bien d’accueillir des clients et de leur permettre de vivre une expérience dans nos restaurants. Le canal de la livraison est, et doit rester, une activité additionnelle. Certes indispensable, elle doit néanmoins s’intégrer au mieux dans une organisation déjà existante en cuisine sans la déstabiliser ni même affecter nos ratios de rentabilité. 15 % de l’activité dédiée à ce circuit me semble un bon équilibre. Pour autant, nous ne cessons de nous remettre en question pour améliorer nos process à l’exemple du meuble spécifique que nous avons tout récemment créé. Installé dans le back office, il permet à nos collaborateurs d’avoir tous les accessoires nécessaires à portée de main pour optimiser l’envoi : les couverts, les condiments, les packagings, les étiquettes adhésives… De même nous sommes en cours de renouvellement de tout notre parc informatique pour installer la solution CSI, ce qui va nous permettre progressivement d’abandonner le multitablette et d’implémenter les informations automatiquement depuis les plateformes, dans nos systèmes et sur les imprimantes cuisines.

Peut-on attendre la naissance d’autres marques virtuelles livrées, à partir des cuisines d’Hippo comme de Léon ?

Nous n’avons pas fini d’apprendre. Les performances d’Hippopotamus, comme de Léon d’ailleurs, ont démontré toute la force des marques physiques sur les plateformes, bien au-delà de la période de la fermeture des restaurants. C’est vrai que ce modèle nous interpelle autant qu’il bouscule tous les équilibres établis. Difficile à un opérateur d’ignorer aujourd’hui ce canal tout comme ses utilisateurs de plus en plus nombreux. Nous ne nous interdisons donc aucune option dont celle de faire monter en puissance la marque de viande Steak and go que nous avons créée ex nihilo, pour Areas, au sein du parc des expositions de Villepinte. Si sur ce point rien n’est encore tranché, il n’est pas impossible non plus, que depuis les cuisines de l’autre chaîne Léon que je dirige et dont la livraison pèse pour 7 % du chiffres d’affaires, nous opérions pour l’activité hors murs, la marque Fish’tro qui est aussi un enseigne de restauration rapide typée poisson du groupe.

Et face à la flambée des matières premières, quelle sera votre politique tarifaire ?

Nous traversons une période inédite avec des hausses vertigineuses sur de très nombreux produits. En même temps que de subir une crise alimentaire, nous sommes affectés par une crise énergétique qui handicape nos ratios financiers. Même si la force d’un groupe comme le nôtre nous a permis d’amortir quelque peu certains postes par des achats à termes et à contre-saison, l’exercice est de plus en plus périlleux actuellement et la visibilité inexistante. Alors que nous avions deux cartes annuelles, printemps-été et automne-hiver, déjà nous préparons une seconde carte pour l’été. Certaines références ont disparu, comme la bavette d’aloyau impossible à sortir dans des tarifs acceptables pour nos consommateurs ou encore le magret de canard frappé de plein fouet par la grippe aviaire. Nos services R&D travaillent activement à de nouvelles recettes alternatives dont certaines ont déjà fait leur apparition comme notre effiloché de bœuf en vinaigrette sur lit de dés de tomates. Nous avons aussi fait passer notre offre de burger de 4 à 6 références afin de garder une diversité tout en restant toujours compétitifs dans une période tendue où le pouvoir d’achat des consommateurs est mis à dure épreuve et, par là-même, la fréquence de sortie au restaurant. Si nos prix ont été réévalués en moyenne entre 5 et 15 % sur une partie de l’assortiment, l’élasticité reste limitée et nous ne pouvons pas assommer nos consommateurs au risque de les perdre.

 

 

Paul Fedèle Rédacteur en chef France Snacking Retrouvez Paul Fedèle sur Linkedin
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