Quand la 'Tech for Food' réinvente l'écosystème de la restauration par François Charpy
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Quand la 'Tech for Food' réinvente l'écosystème de la restauration par François Charpy

25 Mai 2022 - 4458 vue(s)
Sous la pression des consommateurs et à la lumière des 3 dernières années mais aussi de la pénurie criante de personnel, l'éco système Restauration se transforme de façon profonde sur fond de digitalisation galopante jusqu'à voir même émerger des solutions de robotisation. Le point de vente physique de jadis cohabite avec un environnement concurrentiel foisonnant et hybride de livraison, agrégateurs, dark kitchens, marques virtuelles, robots sans oublier les réseaux sociaux, comme l'explique le consultant François Charpy, qui partage, pour snacking.fr son point de vue sur cette transformation. L'ex-dirigeant de France Boissons, Quick, Steak‘n Shake ou Disneyland Paris, est aujourd'hui fondateur de Food Strategy & Performance, structure de conseil en stratégie de marketing, transformation, développement, franchise et amélioration des performances commerciales ou financières de l’écosystème F&B et restauration.

La digitalisation, l’automatisation accompagnent la transformation de l’écosystème de la restauration. Comment voyez-vous son évolution ?

Depuis 3 ans, la restauration est devenue un secteur d’activité de plus en plus complexe, qui se transforme de façon profonde sous la pression des consommateurs. La crise du Covid-19 n’a été qu’un accélérateur. Le modèle traditionnel de point de vente physique de restauration sur place s’est enrichi d’un environnement concurrentiel hybride de livraison, agrégateurs, dark kitchens, ghost kitchens sans oublier l’impact des réseaux sociaux. Cela concerne aussi bien les indépendants que les réseaux chaînés. Il est à noter l’incroyable capacité de réaction et d’adaptation dont a fait preuve le secteur. Des leaders de la restauration comme le Groupe Bertrand ou Napaqaro sont devenus franchiseurs et franchisés, exploitants de sites brick&mortar, de dark kitchens et de marques virtuelles. La technologie permet de faciliter l’exploitation des établissements tant au niveau des opérateurs que de la relation aux consommateurs. Mais la finalité d’un restaurateur, quel que soit son modèle opératoire, demeure la satisfaction de ses clients, vecteur de fidélisation et la maîtrise de sa rentabilité. La technologie n’est qu’un outil. C’est pour cela que je préfère parler de Tech for Food plutôt que de Foodtech. L’enjeu est de vendre plus, à plus de clients avec une simplification et compréhension de son activité accrues. L’ère est au management de la performance sans occulter le fait que le métier de restaurateur est un métier de service, d’expériences où l’on crée des souvenirs, du partage et du plaisir pour les clients. C’est un métier dur, exigeant. Une sorte de sacerdoce pour des professionnels passionnés dont le tropisme est le client. La gestion, les plannings, la partie administrative sont souvent perçus comme un « pain point ». Pourtant, être restaurateur c’est être un chef d’entreprise gestionnaire, fonction d’autant plus clé dans un univers de consommation omnicanale dans le contexte actuel d’inflation des matières premières. C’est là que la technologie joue son rôle de facilitateur pour concentrer les ressources et les énergies sur le service clients. Revenons quelques années en arrière. Les restaurateurs précurseurs qui se sont tournés vers la livraison via les agrégateurs ont transformé leur back office en magasin Darty avec une collection de tablettes dédiées. Aujourd’hui des solutions comme Deliverect, Innovorder ou Otter intègrent sur un unique outil les différents flux de commandes. Cela permet une lisibilité de l’activité, une simplification des flux et réduit le risque d’erreur et de rupture. La brique réservation, commande et systèmes de caisse sont un enjeu majeur. Les levées de fonds ou les récentes acquisitions tel Eijsink (booq) par METRO, en complément de ses solutions digitales DISH en sont les révélateurs. L’offre de solutions digitales adresse aujourd’hui toutes les composantes de la gestion en simplifiant et sécurisant l’exploitation des sites ou des réseaux. Des suites logicielles pilotent aussi bien les questions marge, RH, approvisionnement, stocks, plans de maîtrise sanitaire avec des acteurs comme Skello, Easilys, Netresto, Choco, Traqfood ou Epack  pour n’en citer que quelques-uns.

Quels sont les avantages pour un restaurateur de recourir à ces solutions technologiques qui ont un coût ?

Le gain de temps est la lisibilité en temps réel de son activité au quotidien. Rester concentré sur le service client, la qualité de la prestation délivrée et le management de sa rentabilité. Le coût au demeurant est minime au regard de la valeur ajoutée apportée à l’exploitant. Prenons un exemple, le paiement. Nous avons tous vécu ce moment pénible de la quête du TPE à la fin du repas. Pénible pour les serveurs qui ont mieux à faire en rush, pénible pour le client qui perd son temps. Des solutions comme Sunday ou l’Addition résolvent le point. Le serveur reste concentré sur son service, le client n’attend plus. Le chiffre d’affaires croît mécaniquement par l’augmentation de la vitesse de rotation des tables et il semble que les pourboires s’améliorent. Valeur ajoutée évidente pour le collaborateur, l’exploitant et le client.

Autre exemple : le  traditionnel statique Happy Hour va être remplacé par un autre anglicisme : le yield management, mécanique de modulation  tarifaire dynamique en vigueur dans l’hôtellerie ou les compagnies aériennes. Un acteur comme Flynt permet aux restaurateurs d’affiner leurs politiques tarifaires et promotionnelles sur les plateformes de commandes en phase avec leurs pics de fréquentation tout en mesurant leur efficacité.

L’introduction de l’intelligence artificielle sera la prochaine étape de la sédimentation de la technologie dans la restauration. Quel opérateur n’est pas intéressé par le fait de disposer d’une vision prédictive de son chiffre d’affaires justifiée par l’historique de son activité et l’impact d’événements contextuels (vacances, matchs, …) ? Être capable d’anticiper les flux clients omnicanaux et de calibrer au plus juste les ressources nécessaires en termes d’approvisionnement, de staffing et de fluidité opérationnelle non pas de façon empirique mais basé sur de l’analyse de la data ? L’ère de la modélisation et des algorithmes est arrivée. 

Des initiatives en matière d’automatisation en cuisine font leur apparition. Science-fiction ou révolution à venir ? 

L’automatisation et la robotisation de tâches en cuisine sont tout sauf de la science-fiction. Cette révolution n’est pas pour demain mais pour aujourd’hui car elle répond à des besoins actuels. Les initiatives en cours chez des opérateurs comme Chipotle, White Castle, Buffalo Wild Wings, Jack in the box et les levées de fonds récentes d’entreprises comme Miso robotics, Starship Technologies ou Bear Robotics le confirment. Flippy, Sippy, Chippy, Blendid ont fait leur apparition sur le marché américain. Qui sont-ils ? Des robots autonomes qui se substituent à l’être humain sur des postes pénibles, répétitifs tels le stand frites, tortillas, boissons. Ils prennent en charge l’intégralité du process de production, augmentent la productivité, suppriment les pertes produits. Même si la fabrication de pizzas est également concernée par la robotisation, bien évidemment tous les produits ne sont pas éligibles à la robotisation. Mais il s’agit d’une solution qui permet de réallouer le staff disponible au service du client, d’avoir une qualité constante et de supprimer les pertes dans un contexte de pénurie de personnel et d’inflation des matières premières. Dans un autre registre, celui de la restauration sur le lieu de travail, dans le prolongement des frigos connectés (Class’Croute, Pop Chef), Bolk (NDLR qui sera présent au Congrès du Snacking) a developpé une « cantine robotisée » qui permet de composer des plats chauds ou froids avec plusieurs centaines de combinaisons possibles.

 

Mais la robotique touche aussi le service et la livraison. Tout le monde a vu ces vidéos du restaurant automatisé où les plats sont servis à la table par des robots lors des JO de Pékin dans un contexte post Covid exacerbé. Est-ce l’avenir ? Je ne crois pas qu’un restaurant puisse devenir une sorte de distributeur automatique géant sans interaction humaine au niveau du service. Néanmoins des initiatives existent en Asie notamment dans des coffee shops. Denny’s a testé un schéma hybride avec le robot Janet qui apporte les plats commandés au comptoir directement à la table du client. Et à l’instar des supermarchés autonomes sans présence humaine Amazon Go & Fresh aux USA et UK, Jamba Juice teste un kiosk 100 % robotisé dans un Walmart en Californie. Le robot Blendid prépare des smoothies à la cadence de 45 produits à l’heure et a la possibilité de gérer 9 commandes de front. Les commandes et paiements sont digitaux.

Concernant la livraison, les véhicules autonomes ont également déjà fait leur apparition sur le sol et dans les airs. En Australie, dans le sud de la province du Queensland, KFC livre par drone ses menus depuis 2021 avec Wings. Cette société a réalisé plus de 100 000 livraisons pour ses clients sur un marché estimé à 2,2mds$ à l’horizon 2030. Aux USA, Kiwibot et Nuro (500M$ levés en 2021) ont développé des véhicules 100 % autonomes pour les acteurs de la restauration et du quick commerce. Walmart, 7 Eleven, Domino’s, Chick-fil-a ou Sodexo testent la solution. Le rayon de livraison est limité à l’ultra proximité mais le coût du rider est supprimé. S’ils ont obtenu l’autorisation administrative de circuler aux USA, leur apparition en Europe ne semble pas acquise à très court terme. 

La restauration bouge, évolue, se transforme comme jamais auparavant. Sa complexité s’accroît du fait de son omnicanalité et les défis de staffing et la pression sur les food costs auxquels le secteur fait face. La technologie améliore le management de la performance des unités, la robotisation en augmente la productivité et réduit la pénibilité. Elles ne sont pas des réponses court termistes mais une vraie évolution profonde des business models. Mais la restauration restera un métier d’hommes et de femmes au service de clients. L’heure des humanoïdes n’est pas annoncée. La distribution alimentaire a réussi à se réinventer tant dans son offre, ses formats et son parcours clients. Il en sera de même pour la restauration tout en intégrant enjeux sociaux et RSE pour le bénéfice et le respect des clients, des opérateurs et collaborateurs. Je souscris pleinement à cette citation de Charles Darwin : « Ce ne sont pas les plus gros, les plus brillants ou les meilleurs qui vont survivre, mais ceux qui s’adaptent le plus rapidement ».

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