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Les restaurants dévorés par le snacking

16 Février 2023 - 1949 vue(s)
Retrouvez votre rendez-vous habituel avec Gilles Fumey. Son dernier billet est paru dans le tout nouveau France Snacking n° 70 disponible en version feuilletable. Le regard de cet expert géographe de l'alimentation nous en apprend à chaque fois, un peu plus, sur l'évolution de nos manières de manger et sur l'avancée irrémédiable du snacking.

De ces antiques établissements nés à Paris autour du Palais Royal pendant la Révolution, qu’on appelle de par le monde « Restaurants » sans traduire le mot – excusez du peu –, que va-t-il rester dans les années qui viennent ?

Ils semblent dévorés par le snacking qui s’est introduit chez eux pendant les confinements de 2020. Ils étaient déjà investis par l’industrie agroalimentaire qui fournissait depuis longtemps des aides à la cuisine, mais aussi plus récemment des plats, notamment grâce aux nouvelles techniques de conservation. Désormais, les voici qualifiés d’« hybrides ». Des cabinets de conseil repeignent la façade de ces antiques maisons en tentant d’y voir plus clair dans la grande dépression qui les saisit.

On nous dit que le restaurant hybride intègre « plusieurs concepts en un seul lieu ». Voici donc trois business plans qui s’offrent dans le même espace : on peut y manger assis, debout ou emporter son frichti. Assis pour une petite fête gastronomique, décor obligatoire, vaisselle en matériaux durables, stylisés dans le passé en Chine (pour la porcelaine), à Venise (pour le verre), à Laguiole (pour les couteaux), à Versailles (pour l’ambiance). Les plats s’y succèdent en trois temps (entrée, plat, dessert) comme dans une pièce de théâtre. Pour ceux qui sont debout, la table haute (la nourriture très près de la bouche !) rend encore plus appétissante la dégustation parfois rondement menée, avec des corps qui se bousculent, se rapprochent, qui peuvent trinquer plus haut et fort. Le groupe peut grossir en nombre, ou se limiter à un couple. C’est la version en chambre du repas nomade.

Et pour ceux qui emportent ? Ils ont en tête un lieu moins bruyant, plus personnalisé (parfois, le domicile, le bureau ou sa cuisine adjacente). L’emballage donne un air de cadeau d’anniversaire. On emmène, joyeusement, la cuisine du chef qu’on dégustera dans l’ordre qui nous plaira, sans avoir à attendre que les attentions des serveurs. Certes, on perd la magie du service, mais qu’il est agréable de reprendre le contrôle du repas… Comme je veux, où je veux !

Hybridons, hybridez ! Nos cabinets de conseil bousculent les restaurants en vantant l’Italie et l’Espagne où les restaurants sont aussi des boutiques. Désormais, on peut aller plus loin que la petite épicerie. Certes, New York et Berlin avaient inventé les cabarets. Ici, on peut manger dans une boutique de fringues chic (d’une marque américaine). Ou, plus classique, on ajoute des tables chez un caviste. Ou encore, on loue un bâtiment industriel de 800 m² qui offre ses verrières pour nos événements. Un même lieu peut offrir des niveaux différenciés de restauration : ici, un salon de thé adossé à un restaurant chic, là un bistrot ou un bar à tapas qui jouxtent une brasserie haut de gamme. Sur la Montagne Sainte-Geneviève à Paris, les étudiants des prestigieuses prépas du quartier peuvent manger dans leur librairie préférée. Certaines de ces adresses ne désemplissent pas. On appelle cela « vivre une expérience ».

Feu sur la mono-activité !

Les confinements ont démontré que la mono-activité pouvait être mortifère. Comme autrefois la polyculture sauvait les paysans des famines liées au climat, on peut sortir de la crise d’un segment de restauration par une activité complémentaire. La vente à emporter a été la découverte des restaurants, grands sédentaires habitués à une clientèle mobile. Désormais, ce sont eux qui livrent à des populations plutôt jeunes, qui n’aiment pas les contraintes des lieux confinés. Ce qui était l’exception auparavant se développe : événements, semaines thématiques (découverte de l’Italie, cuisine de l’été…), ateliers cuisine, tout est bon pour occuper les lieux entre les repas, comme l’a imaginé Oscar Farinetti, le fondateur d’Eataly à Turin en 2007. Le snacking n’y sera pas étranger.

Enfin, un Michel Bras et son sandwich, le « capucin » qui a été un échec à Toulouse, montre que l’innovation ne garantit pas le succès. Qu’en sera-t-il dans quelques années de l’idée de « coworking culinaire » qui peut préluder à une dark kitchen, pratique contre laquelle la maire de Paris est partie en guerre ? Qui peut garantir qu’un food truck, prémiumisé ou pas, trouve sa clientèle avec tout le talent d’un·e chef·fe aux manettes ?

Dans ce grand brouillard, le snacking est le grand gagnant. Des études sur le grignotage, stigmatisé par de nombreux nutritionnistes, montrent que manger des produits sains permet de réguler l’appétit et la glycémie tout en contrôlant son poids. Reste donc à fournir des aliments riches en nutriments pour des collations équilibrées. La balle est, plus que jamais, dans le camp du snacking.

Gilles Fumey (Sorbonne Université/CNRS), vient de publier une Histoire de l’alimentation (coll. Que-sais-je ? PUF)

 

A retrouver dès maintenant dans France Snacking 70 augmenté, en ligne et feuilletable en cliquant sur ce lien. Et dans quelques jours dans votre boîte aux lettres pour les abonnés print.

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