Gilles Fumey
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L’été en snackant, par Gilles Fumey

2 Juin 2023 - 946 vue(s)
Dans sa chronique pour France Snacking qui vient de paraître, le géographe de l'alimentation Gilles Fumey explique comment, le snacking, trouve, partout dans les territoires et à toutes les saisons, un terrain fertile d'expression.

Sous les tonnelles, dans les jardins et sur les terrasses, l’été sera très chaud. Mais nous pourrons jouer une pièce inédite pour nous restaurer. La société du spectacle décrite par Guy Debord battra son plein. Nos rapports entre individus seront, tout l’été, mis en scène par des images. Les abricots que nous cueillerons sur un marché de Provence ou de Gascogne nous apporteront de l’énergie à proportion du spectacle qu’ils auront causé par WhatsApp. Des abricots à la glace vanillée et au sorbet citron qui nous rafraîchiront, il n’y a qu’un coup de langue qui donnera un plaisir supplémentaire prenant la forme du partage avec ceux que nous aimons.

Nous feignons de découvrir que nos nourritures sont des cultures. Quand le cinémascope de nos voyages à travers les vitres d’une auto ou du train climatisés nous offre de découvrir que le Cantal ne ressemble pas à la Bretagne, que le charme des Corbières n’a rien à voir avec celui de Colmar, tout porte à croire que cet exotisme (littéralement, le goût de l’étranger) chasse l’ordinaire, nous renouvelle, nous ragaillardit.

"Nous feignons de découvrir que nos nourritures sont des cultures. Manger, c’est incorporer un territoire et ses symboles. Tout porte à croire que cet exotisme (littéralement, le goût de l’étranger) chasse l’ordinaire, nous renouvelle, nous ragaillardit." Gilles Fumey.

Manger, c’est incorporer un territoire et ses symboles. Nos peurs françaises qui patrimonialisent tout ce qui voudrait changer sont contrariées par nos désirs d’ailleurs. Pourtant, le snacking apporte tout ce qu’il faut pour nous dépayser et nous rassurer à la fois. Néophiles (le désir du nouveau) et néophobes (la peur du neuf) sont les deux faces d’une même condition humaine. Snacker, c’est se rassurer (avec du gras, du sucre et du sel) et goûter à une culture urbaine, ce qui vient du grand mondialisateur étatsunien. Mais snacker, c’est aussi attraper du saucisson ici en Auvergne, du fromage là en Savoie, des bulles en Champagne. Les régions françaises ne proposent pas que des banquets. Les « spécialités régionales » portées comme des trophées de résistance sont des déclinaisons locales pour le manger rapide des paysans ou des marchands qui ont construit une grande partie de notre culture alimentaire. Et si nos aïeux sont des migrants de l’Italie ou du Sénégal, les olives ou les arachides tiennent lieu de totem.

En nomadisant l’été, nous cherchons donc l’exotisme dans l’aligot, la galette et le rosé. Même si l’un et l’autre ne sont pas toujours faciles à manier. Au diable la table ! Sous les arbres, sur la plage ou en montagne, en pleine nature, nous continuons à connecter nos nourritures au vaste monde. Les poke-bowls, crêpes, tacos, kebabs, empanadas et chifles, donuts, bugnes et cakes, focaccia et schiacciata, makis et soupe miso sont toutes des signatures culturelles locales.

La Joconde du snacking

Il y a mieux encore. Les cuisines devenues « dark » qui vendent des Junk, Griko, Graine, GreenBite et autres Puffy en feignant un petit forcing lexical pour être repérées, comme la Vache qui riait dans son pré jurassien avant d’être exposée comme la Joconde du snacking, toutes ces nouvelles marques qui s’ajoutent à celles déjà exposées comme Dévor, Bassecour, Elephant, SuperSympa, Hunny Bunny, Koko, cette créativité débordante donne au snacking le goût d’une rivière loin d’être menacée par la sécheresse. Et n’en déplaise aux grincheux qui voient le mal partout où la gastronomie ne serait pas invoquée comme le graal, les nouveautés, la créativité, l’imagination des nouvelles générations a sa place dans notre panthéon.

Après tout, 50 millions de sushis engloutis en 2022, 70 millions de galettes et de crêpes, 90 millions de tacos, 410 millions de kebabs, 800 millions de salades et pokés, 2 800 millions de sandwichs venus des boulangeries, 1 milliard de pizzas et encore plus de burgers, tout cela ne peut pas passer pour du délit de junk food. Sans oublier l’Asie et ses milliers d’établissements, l’Amérique andine et l’Afrique qui pointe son nez…

Oui, l’été va raviver le désir de s’affranchir des contraintes de la table. L’été va snacker et cruncher à tout va. L’été va libérer les imaginations, les goûts les plus fous. L’été va nous faire tourner la tête. Nous rapprocher du végétal. L’été va chanter avec les cigales.

 

Retrouvez le billet de Gilles Fumey dans le dernier France Snacking qui vient de paraître.

Gilles Fumey Géographe de l’alimentation
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