« Dis-moi quelle sauce tu choisis et je te dirai où et à quelle époque tu vis ! ». La formule employée par le fondateur du cabinet Cate Marketing, Rémy Lucas, en ouverture des premiers Etats Généraux organisés à Paris le 4 octobre dernier, était pour le moins ambitieuse ! Force est de constater que la mayonnaise aura bien pris entre les différents professionnels de l’alimentation rassemblés à l’initiative du fournisseur d’assaisonnements et d’épices Idhéa et amenés à « prendre du recul et réfléchir ensemble au monde de la sauce » pour reprendre les termes de son directeur Benoist Le Provost. Le lieu de la Maison de l’Alsace n’avait d’ailleurs pas été choisi par hasard par l’entreprise fondée il y a maintenant plus de 50 ans, à Hochfelden, dans le Bas-Rhin. Rachetée par le groupe Migros en 2016, elle continue aujourd’hui de revendiquer un ADN de PME (entre 150 et 200 salariés selon la saison), misant sur la flexibilité et la réactivité pour capitaliser sur ses 4 marques présentes en restauration (Saveurs & Sauces, La Case aux Epices) et en distribution (La Fraïch’Touch, frifrench) comme sur son savoir-faire « à façon » à destination de l’industrie et de la restauration commerciale.
En fil rouge de ces premiers Etats Généraux de la Sauce, Idhéa avait donc commandité auprès du cabinet Cate Marketing, une étude holistique menée auprès de professionnels de la restauration dans l’optique de confronter leur manière d’appréhender cette préparation phare « qui a donné son nom et ses lettres de noblesse à tant de plats emblématiques de la cuisine française, tout en contribuant au succès d’autres ingrédients », remarque Rémy Lucas. La frite appellant irrémédiablement la sauce… Oui mais, en fait, c’est quoi une sauce ? En voilà une première définition qui fut esquissée lors de cette rencontre, comme une base de travail. « C’est une préparation culinaire, avec une aromatisation marquée, d’une consistance plus ou moins liquide, et destinée à être servie avec un mets pour en valoriser la dégustation ». Certes… Mais pour Rémy Lucas, qui s’est notamment attelé à une étude bibliographique poussée, cette préparation qui apporte plaisir et variété aux plats est bien plus que cela : elle fait figure d'élément culinaire universel, un marqueur même de l’humanité. « Associer à l’idée d’une nourriture nourrissante, une nourriture plaisante, est un fait exclusivement humain », assène-t-il. Elle est aussi une fierté française. « Les bons produits sont notre vocabulaire. Notre grammaire, c’est la sauce », remarquant aussi que sa conjugaison pouvait évoluer au fil du temps. « La sauce est un ingrédient en mouvement… Elle s’est déplacée, d'abord du centre vers le bord de l’assiette jusqu’à en sortir. Elle a su changer de température, du chaud vers le froid. Et intégrer des inspirations multiples, de la tradition à l’ethnique avec des sauces aujourd’hui plus relevées et pimentées influencées par la cuisine de rue ».
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D’ailleurs, les restaurateurs interrogés ne s’y trompent pas, eux qui perçoivent dans l’assaisonnement, à l’unanimité, ce qui fait « l’image, l’identité du restaurant ». Et ce, quelle que soit la typologie des restaurants sondés. « Les clients font rarement leur choix entre Quick ou McDonald’s par rapport à la qualité de la viande ou du pain. En revanche, ils vont clairement exprimer leur préférence pour la sauce du Quick n’Toast ou pour celle du Big Mac », remarque le directeur commercial d’Idhéa, Yann Terrien. « La sauce est un territoire d’expression où le chef peut affirmer ses goûts, exprimer sa personnalité », ajoute Rémy Lucas. « Pour le convive, c’est aussi le territoire du souvenir, bon ou moins bon, du voyage ou encore de la liberté. Il peut alors prendre et reprendre de la sauce, de manière décomplexée et dans le scénario qui lui plaît ». Côté opérationnel, tout en favorisant une intensité gustative supplémentaire, l’assaisonnement permet aussi au restaurateur de varier les plaisirs, en venant « pimper » une seule et même base de travail. Un argument de poids alors que la restauration connaît des changements structurels importants qui impactent son fonctionnement au quotidien : déstructuration des repas, manque de personnel qualifié, tensions sur le sourcing… Elle doit donc trouver des solutions pour rationaliser au maximum les achats comme les tâches en cuisine.
Ainsi, au-delà du triptyque incontournable ketchup-mayo-moutarde, des plats ou préparations simples peuvent prendre une toute autre envergure en s’inscrivant, par un simple ajout d'assaisonnement, au cœur des tendances. « Il s’agit de faire voyager avec des destinations possibles qui se multiplient : sauces piquantes comme les sriracha ou chipotle, d’inspirations asiatiques -bilgogi, soja, teriyaki, sésame, aigre douce, sud-américaines avec le chimichurri ou encore ethniques ou exotiques », note, en observateur avisé, Yann Terrien. En cela, il milite activement auprès des restaurateurs pour que le poste sauce soit vu comme un centre de profit et non plus un centre de coût. « Il y a un décalage énorme entre ce que coûte réellement une sauce dans une recette et son impact sur la perception du client ». Ainsi, selon les chiffres partagés par Idhéa, la sauce pèserait en moyenne 4,3 % du coût de revient d’un sandwich. Ce serait 4,4 % dans un burger et à peine plus de 13 % dans une salade Caesar qui pourtant tire son nom même et sa renommée de la sauce qui vient l’assaisonner… Pour venir en appui des restaurateurs qui connaissent et maîtrisent globalement peu le coût de revient de leur sauce, Idhéa a d’ailleurs spécialement développé des outils permettant de calculer précisément le "food cost" du produit et ainsi les aider à faire les bons choix, que cela soit en termes de recettes mais aussi de formats et de conditionnements. « De plus en plus de restaurateurs, notamment chaînés, font appel à des experts externes pour les aider dans la confection et la réalisation de sauces à façon, développés spécialement pour eux », conclut Yann Terrien qui entend se placer clairement dans cette logique de partenariat au long terme. Cela apporte aux restaurateurs une garantie de stabilité, de traçabilité mais aussi de variété, sans pour autant nécessiter de personnel et savoir-faire complémentaires. De quoi ravigoter, en période de tension, certains comptes de résultats aigres-doux…