Dans son Histoire de l’alimentation, l’essayiste Attali se pose en devin du manger demain. Pour lui, l’alimentation structure nos sociétés, l’agriculture étant à l’origine des empires en Mésopotamie, en Chine, en Égypte où l’on construit tôt des barrages contre les inondations. Nos sociétés humaines seraient nées autour des repas, les premiers étant des banquets pour les dieux, puis les festins entre rois organisant le pouvoir politique. Sans oublier le peuple qui se soulève, la faim au ventre en Égypte, en Chine comme en France en 1789 ou en Allemagne dans les années 1930 avant d’élire Hitler.
Sacralisant le repas, notre touche-à-tout affirme que, pour le capitalisme, le repas est une perte de temps. D’où le snacking et le fast food conçus par l’industrie qui y met une connotation morale car le plaisir est un péché pour l’évangéliste et industriel Kellog. Attali pique la fourchette où ça fait mal : « Le capitalisme américain dénigre le repas » car il encourage à manger de plus en plus vite et seul.
Contrairement à l’idée que l’on mangeait mieux hier (des produits sains, locaux et au cours de repas), Attali parle de catastrophe par la quasi-disparition du repas et des difficultés à se nourrir pour les pauvres. Les classes moyennes se pourlèchent de produits abondamment sucrés par le maïs, « désastreux pour la santé ». La chimie et la mécanique se sont emparé de notre souci de manger et de boire : le soda n’est-il pas étymologiquement de la soude ? À avoir en tête au prochain Coca Cola.
Attali reconnaît que les deux tiers des humains sont à l’abri des famines. Mais, attention dit-il, en tirant des chèques sur l’avenir. Car le modèle alimentaire industriel des pays riches n’est pas transposable, tout simplement parce que l’on manquera d’eau douce pour l’agriculture et d’énergie pour les engrais. Du coup, nourrir 9 milliards d’humains dès la prochaine génération, ce sera avec des substituts comme la viande issue de bioréacteurs, les insectes, les algues et des végétaux (« Adam et Eve étaient végétariens » sic).
L’autre solution ? Désindustrialiser l’alimentation comme le demande la FAO qui croit au bio pour nourrir 10 milliards de personnes. Mais il faut tout changer. Le passage des nourritures fermières et potagères à celles des supermarchés mondialisés a été possible en cinquante ans. Alors, « industrialisons la bio pour la démocratiser ». Sinon, gare…
Sinon, les États-Unis le montrent déjà : l’espérance de vie recule (trop d’obésité et de pathologies) comme à Rome au temps de l’Empire où les erreurs de gestion alimentaire ont conduit à la ruine. Du coup, on va relier l’alimentation à la santé publique, les compagnies d’assurance vont bientôt savoir ce que l’on mange. « Rien de tel que la peur de la mort pour nous faire accepter l’inacceptable » conclut Attali-le-Sage.
Attali oublie le rouleau compresseur médiatique et publicitaire, la massification du commerce éliminant les boutiques de proximité, la procrastination devant l’effort que demande la cuisine, comparé aux facilités qu’offre le snacking. Oubliant, en passant, que des nourritures industrielles peuvent se manger collectivement !
L’historien du dimanche, Attali, connaît mal son sujet car le snacking est de tous les temps. Des marchands ambulants sillonnent les villes grecques de l’Antiquité, les réfugiés juifs de Londres inventent le fish and chips, les food trucks reprennent les hamburgers, bretzels, falafels, pizzas, souvlakis, tex mex, tamals, tacos, burritos, ceviches de tous les pays. Le repas pour tout le monde, sur lequel Attali larmoie, n’a que deux siècles d’existence. À Pékin ou Tokyo, les foules mangeaient surtout dans la rue, sur le pouce, pas comme l’élite. On ne fera pas des plats sur la comète, mais on met notre main au plus rustique des fourneaux que manger demain sera surtout snacker.