Lancée en 1964 à l’initiative de plusieurs organisations professionnelles dans le cadre de la Semaine Internationale de l’Alimentation, la toute première édition du SIAL avait alors rassemblé, dans l’enceinte du CNIT La Défense, des experts et gastronomes venus de 26 pays. 60 ans plus tard, le rendez-vous de Comexposium est tout simplement devenu le plus grand salon professionnel français, tous secteurs confondus, avec pas moins de 205 pays représentés et 285 000 visiteurs attendus à Paris Nord Villepinte, du 19 au 23 octobre prochain. Surtout, l’événement qui affiche déjà complet – 7 500 exposants sur 257 000 m² de surface soit l’équivalent d’une centaine de supermarchés ! – veut plus que jamais jouer son « rôle d’éclaireur » sous sa bannière « Own the Change », en « inspirant les professionnels et dénichant les tendances qui vont rayonner dans la filière », souligne Audrey Ashworth, la directrice de SIAL Paris. A ce titre, l’édition 2024 offrira aux visiteurs de nouvelles expériences, depuis l’implantation revisitée par secteur à la création de 4 conférences « Summits » en passant par le nouveau prix RSE, l’espace Start-up qui monte en puissance ou encore la possibilité inédite de déguster les produits de la sélection SIAL Innovation au sein d’un environnement repensé… Il s’agit aussi pour les organisateurs de devancer les grands mouvements de l’industrie agroalimentaire mondiale, bousculée par des crises « qui se succèdent et même se mélangent » et ainsi se projeter vers les 10 milliards d’habitants à nourrir dans les années à venir.
En cela, les éclairages de la dernière étude SIAL Insights, synthétisant les résultats de trois grandes études internationales décryptant les attentes consommateurs, les tendances en matière d’innovation alimentaire, en restauration ou en retail, dessinent quelques lignes de force à considérer. Première d’entre elles, et presque sans surprise, la nécessaire adaptation à un contexte d’inflation alimentaire qui a atteint des niveaux historiques depuis deux ans, dépassant souvent le taux d’inflation globale. Ainsi, à l’échelle internationale, 44 % des consommateurs interrogés par Kantar auraient modifié leurs achats du fait de la hausse des prix. En France, cela passe plus particulièrement par la chasse aux promotions (60 %), la réduction du gaspillage (49 %), le choix de marques moins chères (47 %) ou encore l’achat de grands formats (35 %). Et 81 % (+ 7 points) des consommateurs français pensent que cuisiner soi-même est un bon moyen de maîtriser ses dépenses. Si une majorité se dit prête à payer plus cher pour des produits plus sains, cela ne se traduit pas forcément dans les actes d’achat. Ainsi, dans un CA global des produits de grande consommation boosté par l’inflation et qui progresse de 8,6 %, les produits dits « responsables » (bio, équitables, naturels, label rouge, pêche durable, local, végétal) sont à la peine à seulement + 3,8 % selon Circana, reflétant ainsi les arbitrages des consommateurs français. « L’inflation perturbe la donne et réactive la fameuse opposition fin du mois-fin du monde », résume-t-on ainsi du côté des experts SIAL Insights. Des réticences qui se retrouvent sans surprise dans les circuits du hors-domicile avec 60 % des Français qui choisissent leur restaurant en fonction des prix abordables et 74 % qui s’attendent même à de nouvelles hausses. Pourtant, « si les convives adaptent leur consommation, les notions de plaisir et de convivialité restent très présentes sur ce circuit » souligne Maria Bertoch, directrice New Business Development et Foodservice Expert de Circana, qui précise que 43 % des convives du « Big 5 » européen* indiquent continuer de se rendre au restaurant pour y vivre des « expériences mémorables » et 60 % pour goûter ce qu’ils ne peuvent avoir à la maison.
Cette aspiration émotionnelle constitue d’ailleurs l’une des trois grandes tendances majeures soulignées par les experts SIAL Inghts. « L’alimentation est souvent vue comme un moyen relativement facile d’accès à des plaisirs multi-quotidiens », relève Xavier Terlet, du cabinet ProtéinesXTC. Ainsi, en réponse à un besoin croissant de compensation, se faire plaisir simplement est revendiqué par près d’une personne sur deux en Europe. Associé à la nourriture, le regain sensible de cette dimension est particulièrement notable chez les plus modestes et les plus fragiles, pour qui manger tend à devenir la principale source de plaisir accessible. « Les autres valeurs comme la santé, la fonctionnalité, la sécurité ou encore l’écologie ne sont que des ‘garanties’ de ce plaisir attendu et ne doivent pas apparaître comme culpabilisantes ou punitives », poursuit Xavier Terlet, qui remarque que les produits plaisir – glaces, chocolats, smoothies, chips, snacks… - demeurent prioritaires dans les classements des innovations comme dans les caddies. La « comfort food » comme dernier bastion face à l’inflation en quelque sorte !
Autre attraction forte pour les convives, la recherche de lien, l’alimentation étant aussi perçue comme une affaire collective. Pour un Européen sur quatre, recevoir chez soi participe alors du plaisir de manger, un ratio qui monte à un sur trois chez les Français (Kantar). Et pour près d’une personne sur trois, la convivialité entre dans les motivations de sortie au restaurant (Circana). Il s’agit donc pour les restaurateurs d’infuser les bons ingrédients pour leur permettre de « faire communauté ». Maria Bertoch évoque ainsi la montée en puissance des food-courts permettant d’allier utile à agréable tout en ouvrant le choix des possibles en matière de découvertes culinaires. Et si le « tradi » se fait « trendy » avec une vraie attractivité des recettes et produits misant sur l’authenticité, le retour aux sources voire le vintage, le voyage dans l’assiette demeure un formidable terreau d’innovation. Ainsi on citera la vague de la pop culture coréenne qui poursuit sa diversification, soutenue par le développement de l’offre en restauration et de nouvelles références en plats préparés. Et si les cuisines africaines font des débuts timides avec des lancements hyper pointus (cuisine yéménite par exemple), elles sont en train de trouver leur voie à travers celle de jeunes chefs de renommée internationale, à l’instar de Georgiana Viou, étoilée en 2023, sur les traces du médiatique Mory Sacko, adoubé par le Guide Michelin en 2021. Maria Bertoch de Circana attire également l’attention sur le boom de la restauration ethnique quand les « fastfood » tacos, kebabs et asiatiques contribuent à hauteur de 27 % des visites additionnelles en restauration rapide au cours de l’année 2023, soit le 2e contributeur en croissance de visites.
Pas question pour autant de sacrifier les notions de qualité, de responsabilité et encore moins de sécurité sur l’autel de la nouveauté. En effet, 74 % des sondés européens se disent conscients que leur alimentation peut présenter un risque pour leur santé, un chiffre en progression. Les attentes de réassurance persistent et les consommateurs se tournent vers des signes facilement décodables. Cela se traduit, par exemple, par une attention plus marquée aux ingrédients (44 %, + 7 points), le choix de produits peu « processés » (72 %, + 2) ou encore la préférence donnée aux produits locaux et de saison (53 %) selon les données partagées par Kantar. Ces préoccupations se retrouvent logiquement en restauration où clarté des menus (39 %) et origine locale des produits (36 %) constituent le duo gagnant des critères de choix de restaurant pour les consommateurs des 5 grands pays Européens (Circana). « La santé en alimentaire, c’est d’abord la sécurité de tous : avec des produits moins transformés, exempts de composants indésirables ou suspects… C’est aussi la fonctionnalité adaptée à chacun : une offre qui répond aux besoins individuels du consommateur selon son métabolisme, ses habitudes, son régime, son âge... », observe Xavier Terlet chez ProtéinesXTC. Ainsi, le Covid semble avoir laissé des traces, avec une progression de l’intérêt pour les produits boosters d’immunité (72 %, + 6 points), cette propension étant encore plus marquée en Asie (Chine 85 %) et au Nigéria (93 %) selon Kantar. Ces préoccupations santé ne restent d’ailleurs pas forcément à la porte des restaurants, avec en France, 4 personnes sur 10 se déclarant prêtes à privilégier les plats sains au restaurant au même titre qu’elles le feraient à la maison. Enfin, fait marquant cette année, 40 % des consommateurs mondiaux indiquent avoir opéré un changement radical de comportement pour une raison environnementale ou éthique : réduction des emballages, souci de l’empreinte carbone, recours au commerce équitable… En restauration, les préoccupations sont au même niveau, avec 45 % des Européens se disant concernés par les questions de durabilité quand ils mangent à l’extérieur (Circana) et la montée en puissance des régimes « flexitariens » appelant à une offre végétale alternative plus fournie.
* Allemagne, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni.