François Charpy
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Analyse du marché européen et des leaders de la Restauration Rapide : les enjeux et opportunités des Big 5

16 Septembre 2024 - 4723 vue(s)
Dans un contexte de mutations de la consommation hors domicile, le marché européen de la restauration rapide se distingue par sa diversité et ses dynamiques spécifiques. François Charpy, fondateur de Food Strategy & Performance, expert et observateur avisé de la RHD et du food service, nous éclaire sur les tendances et les particularités des cinq plus grands marchés européens, souvent appelés les « Big 5 » : la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie. À travers son analyse qui reflète la présence des grands acteurs, en nombre d'unités par pays, il met en lumière les forces, les enseignes majeures ainsi que les segments porteurs qui façonnent notre industrie en Europe, tout en expliquant les défis et opportunités pour les enseignes dans cet environnement en constante évolution.

France Snacking : C+omment définissez-vous le marché européen de la restauration rapide ?

François Charpy : Le périmètre de notre analyse est centré sur les 5 plus gros marchés européens (France/Royaume Uni/Allemagne/Italie/Espagne) qui représentent près de 330 millions de consommateurs potentiels et ne porte que sur les enseignes ayant un réseau supérieur à 50 points de vente. Si elle n’est pas exhaustive, elle permet de mettre en évidence les grands acteurs et segments porteurs de ces marchés en termes de points de vente hors dark kitchens et corners en GMS et non de chiffres d’affaires.

François Charpy

Au global sur la scène européenne, pas de surprise, le Top 5 est McDonald’s (10 000), Burger King (5 000), Domino’s (4 000), KFC/Subway (3 500) et Starbucks (3 000) et l’on retrouve les grands segments de la restauration rapide. On pourrait croire que le marché est uniforme, dominé par le burger et les enseignes américaines. Ce qui est faux car si l'on examine ces 5 principaux marchés européens, aucun d'entre eux n'est dominé, comme le prétend la croyance populaire, par les grands acteurs américains. En réalité, la majorité des marques leaders sont locales. Quelques chiffres : dans ces 5 marchés, il y a plus de 120 marques locales opérant plus de 50 points de vente. Elles représentent 75 % de toutes les marques QSR et plus de 50 % des points de vente. Bien plus si l’on intègre les nombreuses enseignes en devenir sur chacun de ces marchés. De plus, 60 % des enseignes du Top30 du marché américain ne sont pas présentes en Europe ou le sont de manière marginale. Les enseignes de burger, en fait, ne représentent que 27 % des points de vente. La boulangerie est leader en France et en Allemagne, les coffee shops dominent le panorama anglais (30 %) avec des champions comme Costa Coffee et Caffé Nero.
Si l’on regarde les densités de QSR par million d’habitants, les écarts sont colossaux : 64 en Italie, 145 en France mais 264 au Royaume-Uni. L’Italie est sous-pénétrée par les réseaux. En conclusion, la vision d’un marché unique et homogène européen n’est qu’un mythe car chacun des marchés, avec son histoire et ses habitudes de consommation, présente de réelles différences de poids des segments et d’acteurs.

Même si leur structure est différente, il existe toutefois des similitudes entre ces marchés ?

Il y en a beaucoup en fait. La première convergence est la dégradation des conditions économiques des business models liée à la hausse des coûts, des difficultés de recrutement et une baisse du trafic consécutive à la pression sur le pouvoir d’achat des clients. Cette situation touche également le marché américain.
Ce sont des marchés matures mais non saturés dont le moteur est la franchise/Master Franchise, même s’il existe des différences réglementaires notoires entre les différents pays sur le sujet. Le potentiel de croissance du nombre d’ouvertures est réel, comme l’attestent les arrivées de Chick-fil-a, de Wendy’s au UK ou de Dunkin en France et les développements européens de O’Tacos, Krispy Kreme, Popeyes ou l’émergence dans tous les pays de nouvelles enseignes. Le marché est dynamique ! Par contre, il est à noter que les enseignes phares asiatiques ont un tropisme d’expansion vers les USA plutôt que l’Europe. Des segments importants de consommation n’ont pas encore de champions européens multinationaux comme le kebab, le hallal, la restauration asiatique ou tex-mex, segments de marché dominés par les indépendants au détriment des réseaux chaînés.
Il existe également des champions nationaux sans expansion à date en dehors de leurs frontières, citons à titre d’exemple Greggs au UK (plus de 2 000 points de vente), Marie Blachère en France (plus de 800). Au-delà des enseignes, des groupes européens se développent soit par extension de leurs portefeuilles de marques (acquisition ou Franchise) soit hors de leurs territoires historiques comme Alséa, Restaurant Brands Iberia, McWin ou QSRP, à l’inverse du Groupe Bertrand qui reste hexagonal.

Quelles sont les spécificités du marché français ?

France Big5

La France compte 48 enseignes de plus de 50 PdV dont 80 % sont françaises, qui dominent les différents segments à l’exception du burger et du poulet frit (NDLR pour cette première approche, nous n'avons pas retenu les enseignes présentes sur le segment du sucré/crêpes : 1% du CA des 150 majors de la restauration). Ces enseignes locales représentent 60 % des points de vente. On constate un dynamisme des réseaux QSR considérés avec plus de 500 ouvertures l’an passé et de fortes ambitions d’expansion sur 2024. Si McDonald’s a le plus grand réseau avec 1 600 restaurants, la primauté revient aux boulangeries/sandwicheries (40 % des sites pour 20 marques contre 25 % pour le burger) avec Marie Blachère et ses 800 établissements comme étendard, avec le deuxième réseau français. L’acquisition de la Master Franchise de Subway par McWin Partners devrait accélérer le développement de l’enseigne et recalibrer un segment déjà dynamique. Sur un marché des coffee shops parmi les plus faibles des Big 5, on observe un mano a mano entre Starbucks et Columbus dont les stratégies crosschannel CHD/GMS convergent. Les enseignes Hallal comme Quick, Five Pizza Original ou G la Dalle acquièrent un poids non négligeable, mais il n’existe pas encore d’enseigne de kebab de plus de 50 PdV, malgré le déploiement de Berliner Das Original hors de son berceau francilien. Trois évolutions intéressantes à suivre : le développement de Popeyes face à KFC, l’évolution du marché du donut, traditionnellement opérés par des marques locales avec l’arrivée des deux références américaines Krispy Kreme et Dunkin, et le développement de O’Tacos en Italie et en Espagne.
Le paysage du QSR en France va se transformer avec des rachats d’enseignes (Brioche Dorée est en vente, Tortilla Mexican Grill vient d’acquérir Fresh Burritos) ou les enseignes en redressement (Jour, …), anticipant une consolidation des acteurs.

L’Allemagne semble relativement proche de la France sur le plan de sa structure de marché de la restauration rapide ?

Charpy Big5

C’est vrai que le marché outre-Rhin offre des similitudes avec le marché français. Les marques locales représentent 75 % des enseignes et 50 % des PdV et comme en France, le segment des boulangeries prédomine face au burger (44 % vs 28 %), dont l’un des leaders est Kamps, filiale du Groupe Le Duff. Beaucoup d’enseignes sont de forts leaders régionaux notamment en boulangerie. Une structure traditionnelle du segment burger avec McDo et BK mais les Munichois de Burgerme avec près de 150 restaurants émergent sur le segment premium. Comme en France, Five Guys tourne autour de la trentaine d’établissements. Starbucks, dont le leadership est challengé en France, n’est que second derrière Coffee Fellows qui compte 50 % de sites en plus vs le géant de Seattle. Deux particularités du marché : l’offre de restauration rapide sur des recettes typiquement allemandes (VinzenzMurr et Wasner) et Nordsee, enseigne de poissons et produits de la mer dont la première ouverture date de 1965 et qui compte aujourd’hui près de 300 établissements. Avec AsiaHung et Yosco Sushi, l’Allemagne est l’un des seuls marchés des Big 5 avec deux enseignes asiatiques supérieures à 50 PdV.

Pour beaucoup d’opérateurs et d’observateurs, la food scene britannique est innovante, mais est-ce vraiment le cas ?

Charpy Big5

Le marché britannique est à la fois remarquable et paradoxal à trois titres : il est celui des cinq grands marchés européens où les marques américaines représentent plus de 50 % des points de vente même si les marques britanniques sont les plus nombreuses, il est le seul où trois enseignes ont des réseaux supérieurs à 2 000 sites avec Costa Coffee, Subway et Greggs et il est le marché où l’on trouve le plus de segments différents avec des réseaux supérieurs à 50 établissements. Forte présence des marques américaines avec des réseaux conséquents. Par exemple, le parc KFC est deux fois plus important que celui de la France et de l’Allemagne réunies, pour Subway le Royaume-Uni compte le double d’établissements des quatre autres grands marchés européens cumulés, Starbucks opère un réseau cinq fois supérieur à la France. On trouve des enseignes comme Taco Bell (un tiers de son réseau européen), Papa John’s, Five Guys, Dunkin ou Baskin Robbins, faiblement implantées ailleurs en Europe. Le marché va être le théâtre de nouvelles batailles avec l’arrivée programmée de Wendy’s ou de Chick-fil-a ou les fortes ambitions de Wingstop poussées par son CA par unité 50 %

L’Italie, patrie de l’expresso et de la pizza semble être à l’opposé de l’Angleterre ?

Charpy Big5

 

L’Italie de la restauration rapide est un marché unique ! On peut même s’interroger s’il est un marché structuré de restauration rapide. Au regard de sa faible densité d’établissements, elle est le pays qui présente le plus petit nombre d’enseignes (22 vs 48 en France) et encore nous avons abaissé le seuil à 30 pdvs par rapport aux autres pays analysés pour obtenir un panorama plus large. L’Italie de la restauration est donc un marché d’indépendants même s’il faut noter un nombre important de jeunes enseignes italiennes en devenir. Forza Italia ! pour les marques locales car elles représentent 70 % des établissements face aux marques américaines peu ou pas présentes avec seulement 4 acteurs. Domino’s ou Pizza Hut ont quitté le pays de la pizza et Starbucks, avec 40 salons, fait de la figuration face aux enseignes italiennes de café. Le burger est le premier segment en points de vente mais d’une courte tête devant les glaciers avec Crema & Cioccolato (premier réseau italien avec 750 sites), la Ÿogurteria ou Grom (Unilever). Berceau de la pizza, seuls trois acteurs nationaux œuvrent sur ce segment, détrônés en nombre de sites par La Piadineria et ses 430 établissements, enseigne de piadine, sorte de tacos italien. KFC est à date seul sur le marché du poulet (le plus faible des Big 5) mais Popeyes est annoncé sous Master Franchise avec Restaurant Brands Iberia qui accroît son expansion hors d’Espagne. Le particularisme du marché transalpin peut interroger sur ses opportunités pour les réseaux chainés. Pour ma part, je pense qu’il est riche de potentiels pour des enseignes au bon positionnement et à fort story telling.

Dernier pays de votre étude, en quoi le pays des tapas et des bocadillos se différentie-t-il des autres Big 5 ? 

Charpy Big5

 

Tout d’abord, de façon assez surprenante, l’Espagne a été le point d’entrée de nombreuses marques américaines sur le continent dont Burger King qui ouvrit son premier établissement en 1975 à Madrid ou Wingstop, Subway, Little Caesar avec plus ou moins de succès. Si les 16 acteurs locaux dominent le marché en termes de nombre de marques avec 60 % des réseaux, on est proche de la parité avec les Anglosaxons en termes de point de vente. Mais les positions sont très contrastées selon les marques, si Popeyes et Taco Bell ont en Espagne leurs plus importants réseaux des big 5, à l’inverse  les implantations de Subway ou Pizza Hut relèvent de la figuration.

La particularité du burger ne réside pas dans son leadership sur le marché avec 30 % des sites qui est la part de marché la plus importante des Big 5 mais sur le fait inédit que Burger King opère presque 2 fois plus de restaurants que McDonald’s. Autre particularité ibérique, contrairement aux autres marchés, hors Italie comme nous venons de l’aborder, le segment de la pizza n’est pas l’apanage de Domino’s mais de Telepizza qui compte le double d’implantations et le positionne comme le premier acteur d’origine européenne sur ce marché.

Domination également des marques locales sur le segment des coffee shops et des Sandwicheries/boulangeries, liée je pense, à l’ancrage dans les habitudes de consommation des tapas et des bocadillos au même titre que l’Espagne qui compte les seules enseignes d’empanadas notamment avec Malvon.

En conclusion de cette revue de ces cinq marchés majeurs, quelles évolutions ou opportunités voyez- vous ? 

Tout d’abord, les marchés européens offrent de belles perspectives de développement pour les enseignes en présence tant sur leurs marchés domestiques que transnationaux notamment pour les marques locales y compris les grands leaders nationaux qui ne sont guère présents en dehors de leurs frontières originelles. Et les enseignes françaises n’échappent pas à cet état de fait malgré un savoir faire et des marques fortes mais leur réussite passera par un développement structuré et non opportuniste et le choix du bon partenaire. Je suis également curieux de voir le développement du marché du donuts avec Krispy Kreme et Dunkin ou l’impact de l’arrivée de Chick-fil-a et Wendy’s sur le burger ou l’expansion de Popeyes face à KFC. Des segments demeurent à date sous représentés par les réseaux comme le hallal, le kebab, l’asiatique ou le healthy malgré l’appétence des consommateurs pour ces produits.

L’Europe dispose de grands groupes de restauration comme RBIberia, Alsea, QSRP, McWin, Amrest ou le Groupe Bertrand en France qui seront, grâce à leur puissance financière et leur expertise, des acteurs majeurs de croissance, de consolidation et d’implantation de nouvelles marques à travers le continent. En clair, le marché européen demeure un marché dynamique où de réelles opportunités existent.

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