« Les JOP nous ont prouvé une chose : quand nous souhaitons faire quelque chose d’exceptionnel dans notre pays, nous y parvenons malgré les difficultés et les doutes », sourit Michel Sanson. Élu président du GECO Food Service l’an passé, il a participé à réécrire les missions et valeurs de l’association, qui occupe un rôle d’éclaireur afin d’accompagner ses adhérents vers une logique innovante, agile et responsable. Un positionnement plus que jamais essentiel : la restauration hors domicile pâtit toujours de la perception dégradée des consommateurs vis-à-vis de leur pouvoir d’achat, malgré un contexte économique plutôt positif. En effet, l’inflation a ralenti pour atteindre + 2,7 % en 2024, tandis que le PIB progresse de + 0,8 % (source Banque de France), avec également une embellie du moral des ménages en août. Pas de quoi relancer la consommation : depuis fin 2023, les Français sont entrés dans une logique de comportement de précaution. Ils surveillent, donc, leurs dépenses courantes et scrutent les prix : 59 % des personnes sondées par Circana en mai dernier déclaraient que les prix dans les restaurants avaient trop augmenté pour eux… ce qui a un impact direct sur leur fréquence de visite, atteignant 4,6 milliards de visites au 1er semestre 2024 contre 5,1 milliards sur la même période en 2019 (source panel CREST Circana). Au total, ce sont 7,4 milliards de repas qui ont été servis hors domicile sur l’année 2023 en France en restauration commerciale et collective, au sein de 282 300 établissements et points de vente. L’alimentation et la restauration représentent pourtant une faible part du budget (14 % pour l’alimentation, 6 % pour les hôtels et restaurants en 2021 selon l’INSEE) : il existe une sursensibilité du consommateur sur le sujet du prix. Au-delà des variables économiques, le secteur a pâti d’éléments externes tels qu’une météo dégradée.
Dans ce contexte, certains canaux tirent leur épingle du jeu, telle que la restauration collective (stable grâce à son rapport qualité/prix séduisant), mais également les boulangeries-pâtisseries (1er contributeur à la progression des visites en restauration rapide), la GMS ou la restauration ethnique.
"Le petit déjeuner comme les pauses gourmandes se développent, étant peu chers et trouvant leur place dans des habitudes toujours plus nomades, avec des comportements plus inattendus. Cependant, on peut également observer que les cafés, bars et brasseries regagnent en popularité, ce qui montre que le consommateur aime s’asseoir quand il sort", note Frédérique Lehoux, directrice générale du GECO Food Service.
Les JOP n’auront pas apporté d’embellie, la fréquentation restant limitée aux établissements proches des lieux de compétition et amenant un public peu enclin à dépenser du fait des autres charges (voyage, hébergement). Les Parisiens ont, quant à eux, massivement quitté la capitale.
La conjonction de ces contraintes a un effet direct sur les investissements et approvisionnements des restaurateurs. Le cabinet Strateg'eat, en partenariat avec Shenkuo Business Partners, a mené une étude pour le compte du GECO Food Service afin d’analyser et comprendre les critères d’achats en restauration commerciale. Menée auprès de 800 indépendants et de chaînes, elle a permis d’identifier cinq typologies d’acteurs, caractérisés par leurs préoccupations principales. « Un quart du marché (26 %) est centré sur le prix. Il s’agit principalement d’opérateurs issus du secteur de la boulangerie, de la restauration collective ou rapide, dont les budgets sont plus contraints. Ainsi, ils sont très sensibles aux promotions et déstockages », détaille Nicolas Nouchi, à la tête du cabinet Strateg’eat. Viennent ensuite les produits (23 %), marques/fournisseurs/fabricants (16 %), services (11 %) et contraintes (5 %). De nettes différences se dégagent sur les attentes en fonction de l’activité ou de la taille de l’entreprise. « Les structures de la restauration commerciale sont plus sensibles au prix sur le non-alimentaire, tandis que les chaînes plébiscitent les marques, qui perdent du terrain de façon globale, de par leur capacité à les accompagner par le service et le conseil. » L’inflation aura renforcé les préoccupations vis-à-vis du prix, avec une forte appétence pour la stabilité. « Les prix bloqués constituent une attente majeure, car ils apportent de la visibilité », note le consultant, qui a également pu constater la difficulté pour les professionnels d’estimer le juste prix de chaque référence : « Seuls 25 % des opérateurs se déclarent en capacité de le faire sur l’ensemble des produits, la connaissance étant plus marquée sur les matières premières brutes. »
Côté distributeurs, ce sont les services qui s’imposent comme essentiels, le traumatisme de la période Covid n’étant pas loin : régularité, disponibilité, assortiment, réactivité… autant de points majeurs pour garantir la pérennité de la relation commerciale. Plus largement, c’est la position même des entreprises vis-à-vis des achats qui est peu agréable : « L’utilisateur est esseulé dans son comportement d’achat. Les restaurateurs n’aiment pas cet aspect de leur métier. D’autres pays abordent cette tâche différemment, comme au Danemark où elle est travaillée en équipe. ». Des sujets tels que la RSE demeurent encore des arguments de vente et de communication, d’autant plus en restauration commerciale, non soumise à des impératifs réglementaires semblables à ceux applicables côté collectif.
Cette fameuse RSE a néanmoins des impacts toujours plus marqués dans le quotidien des opérateurs de la filière. La Responsabilité Élargie du Producteur (REP) induit en effet de nouvelles charges : dès lors qu’une entreprise génère un déchet, elle doit contribuer à la gestion de ce déchet, ce qui se matérialise par une éco-contribution à payer pour financer l’éco-conception, la recyclabilité, ou encore le réemploi. Ainsi, les restaurateurs devront contribuer à terme à trois filières REP différentes (REP Emballages Ménagers - 80 % des emballages utilisés par les restaurateurs, REP Emballages Restauration - 20 % des emballages de la filière, REP EIC). « La logique de nos membres est très différente de celle des entreprises du secteur du retail. Les emballages sont fonctionnels et prévus pour un utilisateur restaurateur, ils s’inscrivent dans des process et ne changent pas pour des questions cosmétiques. Cela implique que le mouvement de transition soit plus lent que dans le retail, en plus de devoir respecter les contraintes opérationnelles de chaque entreprise », avance Frédérique Lehoux.
Cette complexité s’accompagne d’un manque de visibilité sur la contribution pour l’an prochain, en plus de la possible fusion entre la REP Emballages Restauration et la REP EIC ou encore la redéfinition des périmètres produits induite par le règlement européen PPWR. GECO Food Service a alerté les pouvoirs publics sur le sujet avant l’été, suscitant la réaction des organismes CITEO et CITEO PRO et permettant d’engager un dialogue constructif. « Il y a un French paradox : les entreprises agro-alimentaires et non-alimentaires veulent s’engager dans cette dynamique, elles savent que c’est indispensable. Tout le monde est à l’écoute et veut de la visibilité. En face, le projet est mené de façon non professionnelle, avec parfois du mépris », s’émeut Michel Sanson. Un changement de méthode s’avère aussi urgent que nécessaire : les entreprises du food service ont besoin de connaître les évolutions de contribution (ou à minima des trajectoires) au moins six mois à l’avance afin de pouvoir construire leurs prix (puisque l’impact pourrait se chiffrer en centaines de milliers d’euros) et répondre aux marchés publics, tout en étant mieux associées au processus. Le fonctionnement devra également être simplifié : « Le système actuel est trop lourd, de nombreuses entreprises se perdent, ce qui présente le risque qu’elles renoncent à contribuer » et être accompagné d’une communication adaptée afin d’accroître la compréhension de chacun. « GECO sera engagé et en quête d’excellence sur le sujet, avec une forte exigence liée aux enjeux économiques et sociétaux », conclut le président. De quoi présager un emballement des débats pour les mois à venir…
Rémi Héluin