Et si on y rajoutait un peu de piment ? Un an après les tout premiers Etats Généraux de la Sauce initiés par le spécialiste alsacien Idhéa, filiale du groupe Migro, la 2e édition avait mijoté de nouveaux ingrédients pour nourrir les réflexions des professionnels de l’alimentation autour de ce vaste territoire d’expression culinaire. Un territoire « inhérent à l’humanité », rappelait Rémy Lucas, faisant la liaison avec une étude holistique initiée l’an dernier. Il précisait que l’association d’un mets à son assaisonnement « pour en faire un objet de plaisir » est un fait culturel universel et exclusivement humain, partie prenante même du processus d’humanisation. « La sauce est un marqueur social qui bouge avec les sociétés et vit avec son époque ». Avec le temps, l’assaisonnement a ainsi migré en France du cœur vers le bord puis l’extérieur de l’assiette. Les températures ont évolué vers davantage de sauces froides pour des raisons de fonctionnalité et praticité. Et bien sûr, les saveurs se sont diversifiées au son de la mondialisation, passant des associations traditionnelles type « crème, échalotte, vin blanc » de nos (grands) parents à des goûts beaucoup plus prononcés, inspirations exotique, ethnique, souvent bien plus pimentées… Jusqu’à en faire une signature centrale de l’offre d’un restaurant !
Cause ou conséquence, cette ouverture nouvelle vers des contrées éloignées et de nouveaux usages offre dès lors de formidables « terrains de jeu aux spécialistes des sauces », souligne Michaël Ballay, directeur associé du cabinet d’experts Food Service Vision. Il observe ainsi une réelle effervescence sur ce segment de marché pour accompagner l’hybridation des concepts de restauration, la montée en puissance de la consommation snacking mais aussi la diversification des canaux de consommation hors-domicile requérant à chaque fois des besoins spécifiques. « Plus on multiplie les canaux, plus on multiplie les usages potentiels de la sauce », remarque-t-il, rappelant que 30 % des consommateurs français se font livrer un repas au moins une fois par mois à domicile. Son outil Food Service Tracking, scannant les catalogues des distributeurs de restaurants, a ainsi relevé en un an (avril 2023 – mars 2024) pas moins de 323 références de sauces différentes, près de 9 % de plus que l’année précédente ! 62 d’entre elles étaient des « nouveautés » aux catalogues, un ratio 2,5 fois plus élevé en moyenne que les autres catégories… A relativiser, tout de même, quand seules 22 d’entre elles pouvaient être qualifiées de « réelles innovations apportant une réponse nouvelle au marché » précise tout de même Michaël Ballay, questionnant l’auditoire de la Maison de l’Alsace sur un éventuel déficit en la matière au regard des attentes suscitées par les mouvements multiples du secteur.
Parmi ceux-ci, Anne-Claire Paré, du cabinet de tendances Bento, s’étonnait presque d’un retour en grâce des chaînes de restauration depuis deux ans, celles-ci ayant retrouvé leur « désirabilité » après des années de désamour relatif. En France, le nombre de points de vente de restauration chaînée (hors boulangeries) aurait ainsi bondi de 25 % au cours des 5 dernières années (Food Service Vision). « Cela s’explique notamment par leur faculté à concevoir des offres attractives – formules, menus enfants, gratuité produits – et surtout par les moyens dont ils disposent pour les communiquer aux clients », entrevoit Anne-Claire Paré, en piste de réponse. Elles rassurent d’autant plus les convives dans un contexte où les portefeuilles ne sont pas extensibles. Elles sont également bien armées pour affronter l’ « ère de la snackification », et avec elle ses aspirations pour davantage de commodité (la fameuse « Convenience »), de sophistiqué, de praticité, de sociabilité aussi… Autre point témoignant en faveur du recours aux sauces, l’envie retrouvée des convives de tester des goûts nouveaux après le repli sur soi des années Covid. Les moteurs en sont l’ « Asian Food » dans toute sa diversité, la restauration méditerranéenne avec en tête de pont l’Italie, la Grèce ou les cuisines du Levant inspiration Ottolenghi. « Pour une restauration toujours plus expérientielle, la sauce a son rôle à jouer car elle permet la proposition de recettes plus élaborées, plus composées, plus personnalisées et plus ensoleillées ». L’experte observe aussi un retour en grâce des spécialités européennes revisitées à la sauce locavore. Les repères rassurants aident en effet à franchir le pas vers la découverte de nouvelles saveurs, créant un équilibre entre l'inconnu et le connu. L’idée est d’ailleurs la même quand un assaisonnement rassurant « peut faire le pont » entre une offre carnée et sa déclinaison végétalisée, au coeur de la tendance. Michaël Ballay cite notamment le succès du Whopper version Veggie de Burger King qui a aujourd’hui trouvé son public en s'appuyant sur un assaisonnement référent.
Ainsi, à l’heure où l’« assiette devient concept », les sauces se révèlent des bases de scénarios intéressantes afin de théâtraliser, coloriser, immerger… « Mais ces bases ne sont pas encore complètement exploitées par les restaurateurs », regrette d’ailleurs Rémy Lucas de Cate Marketing. Un travail d’accompagnement est sans doute à envisager du côté des fournisseurs et distributeurs pour les aider dans leur réinterprétation. C’est en tout cas un point soulevé par Michaël Ballay après l’analyse des catalogues promotionnels, premiers vecteurs de connaissance de l’innovation pour les restaurateurs et dans lesquels l’offre de sauces reste peu mise en scène. « Des clés d’entrée par usages, par univers culinaires sont sans doute à creuser… ». Toutes les parties prenantes peuvent d’ailleurs y trouver un intérêt quand on analyse de près le différentiel énorme entre le coût réel d’une sauce, faible voire très faible dans la conception d’un plat et sa valeur perçue par le client. En cela, Idhéa, qui commercialise en foodservice ses marques Saveurs & Sauces et La Case aux Epices, milite pour que le poste sauce soit vu comme un centre de profit avant d’être un poste de coût. « Nombre de restaurateurs ne connaissent pas vraiment le prix des sauces, ce qui les amène à sous-estimer leur potentiel, indique Mickael Huellou, Directeur Commercial & Marketing Idhéa. « C’est aujourd’hui un vrai vecteur de rentabilité », ajoute-t-il, rappelant, avec ses équipes, l’accompagnement mené auprès de sa clientèle pour maîtriser les quantités, optimiser le temps de travail des équipes en restaurant et minimiser les pertes… Tout en assurant goût et expérience aux convives par une meilleure connaissance et association des saveurs ! Relever les plats tout en réduisant les risques, voilà bien des arguments susceptibles d’éveiller les papilles de restaurateurs soucieux d’épaissir leur trésorerie…