Bien loin de la vision fréquemment diffusée d’entreprises orientées vers le seul profit, les 3 000 adhérents (représentant environ 260 enseignes) du Snarr sont porteurs de valeurs fortes et alignées avec les mouvements de transition écologique et alimentaire en cours, à l’échelle de la société. C’est le message diffusé par l’organisation représentative lors de son Assemblée Générale du 17 octobre dernier, avec en toile de fond un objectif clair : accompagner l’ensemble des opérateurs pour relever les défis d’aujourd’hui et de demain.
L’un des défis majeurs se situe dans la préservation de l’amont : sans agriculteurs, la restauration rapide ne sera plus en mesure de remplir sa mission. Anne-Marie Denis, administratrice de la FNSEA, a rappelé l’importance de construire un « rapport gagnant-gagnant » et de structurer les filières afin de donner de la visibilité aux producteurs : « Nos exploitations ont besoin de relations saines et constructives avec les transformateurs, avec une bonne valorisation du travail. À la FNSEA, la contractualisation est notre cheval de bataille : cela permet de savoir quoi produire et d’investir en étant assurés d’une rémunération convenable. C’est de cette façon que nous attirerons des jeunes ». Le renouvellement des générations est en effet un sujet particulièrement critique, ce qui implique d’imaginer des pratiques toujours plus innovantes : « Chez Hectar, nous modélisons des reprises d’exploitations et intégrons de nouveaux profils au secteur agricole », témoignait Audrey Bourolleau, ex-conseillère du président Emmanuel Macron, fondatrice de cet « incubateur agricole » et elle-même agricultrice à Coignières (78). Cependant, ces nouveaux entrants ont besoin du soutien actif de leurs clients : « Puisque l’aval a besoin de nos produits, il doit être prêt à investir à nos côtés dans des sujets tels que la logistique ou la transformation, ce qui nous permettra de continuer à créer des emplois de territoire ». Une logique de co-construction partagée par Fabrice Clément, franchisé McDonald’s avec 11 établissements : « Nous ne pouvons plus être dans un schéma de relation fournisseur/client. McDonald’s élabore des plans à 10 ans et doit accompagner la transition en travaillant avec l’ensemble des parties prenantes ».
La responsabilité des entreprises s’étend bien au-delà du monde agricole. Le snacking a en effet un rôle à jouer afin d’intégrer des profils souvent éloignés de l’emploi, à l’image des personnes handicapées. Sophie Cluzel, ex-secrétaire d’État aux Personnes handicapées, a rappelé l’obligation légale d’employer au moins 6 % de travailleurs handicapés : « Au-delà de cette approche coercitive, nous avons souhaité accompagner les entreprises, notamment avec l’AGEFIPH et France Travail, pour mieux identifier et intégrer ces profils. Les résultats sont là, puisque le taux de chômage des personnes handicapées a baissé de 40 % en 5 ans ». Une performance due à l’engagement de plusieurs entrepreneurs, dont la sensibilité personnelle au sujet, les a amenés à adapter leurs pratiques : « Étant moi-même père d’une fille trisomique, j’ai eu le parcours d’un parent confronté au handicap. Si le travail réalisé par les équipes des IME (Institut médico-éducatif) est formidable, les jeunes doivent sortir de ce « cocon » tôt ou tard, ce qui est difficile : le monde de l’entreprise n’est pas prêt à intégrer ces profils. J’ai débuté mon combat en ce sens dès 2019 et suis parvenu à intégrer 3 salariés en situation de handicap, dont 2 avec un retard mental, sur les 10 collaborateurs que compte mon établissement de Bruz (35) », témoignait Patrick Réty, multi-franchisé Subway. Les résultats de la démarche sont « exceptionnels », selon les mots du chef d’entreprise : « C’est au sein de ce restaurant que j’ai la meilleure harmonie : la vision des salariés est positive, cela apporte du respect dans l’équipe et chez les clients ». « En travaillant avec des handicapés, on crée des cercles vertueux avec les salariés et les clients », rappelle Sophie Cluzel. Si des adaptations opérationnelles sont nécessaires, les fondamentaux de la restauration rapide lui permettent d’intégrer efficacement ces profils grâce à des processus clairs et normés : « Votre secteur sait former, s’adapter et séquencer lorsque c’est nécessaire ».
Cette vision est partagée par Virginie Avenard, franchisée KFC : lors de l’ouverture de son restaurant à Orvault (44), la cheffe d’entreprise a recruté des réfugiés avec succès : « Nous avions besoin de 80 personnes. Le directeur de l’agence locale de France Travail a réalisé un gros travail avec les associations pour nous ouvrir à ces profils », se rappelle-t-elle. « Intégrer des gens sans qualification, c’est toute notre vie ! Nos restaurants sont la plus belle représentation du vivre ensemble ». Cette aventure humaine a été rendue possible grâce aux aides apportées par France Travail, notamment pour réaliser une Préparation Opérationnelle à l'Emploi Individuelle (POEI) avec des formations de cinq semaines.
Ces bonnes pratiques ne pourront être pérennisées que si les entreprises disposent d’un environnement économique et réglementaire propice à leur développement. Le Snarr s’est ainsi rapproché de la FEB (Fédération des Entrepreneurs en Boulangerie) et du GHR (Groupement des Hôtelleries & Restaurations de France) sur le sujet des titres-restaurant, dont l’ouverture à un plus large éventail de produits génère des effets délétères pour la filière restauration. « À ce moment, nous n’avions plus de différences mais un combat commun », décrit Romain Girard, président du Snarr. « Il faut s’orienter vers l’unité des métiers de la restauration pour faire en sorte que la filière agroalimentaire ne soit pas trop abîmée. Cela implique de se battre ensemble pour être entendus, sur des sujets tels que les normes ». Catherine Quérard, présidente du GHR, partage cette logique d’union : « Nous travaillons tous pour et avec le vivant ! L’enjeu est de faire tourner nos entreprises en nourrissant sainement la population et en lui exprimant nos valeurs. Sur le sujet des titres-restaurant, notre filière a perdu 1,2 milliard d’euros, réorientés vers la GMS, ce qui nous oblige à réagir ».
Au-delà des mots, c’est un travail de terrain qui doit s’opérer pour porter les messages auprès de la sphère politique : « Il est indispensable d’aller voir les députés, maires, conseillers régionaux… pour leur passer le message sur notre réalité de terrain, sans hésiter à répéter les messages et nos atouts », tonne Romain Girard. Christophe Girardet, vice-président de la FEB, parle quant à lui d’un « travail d’explication et d’acculturation » pour développer la sensibilité des représentants du peuple. Une démarche qui ne portera sans doute pas ses fruits suffisamment tôt pour voir la situation du dossier des titres-restaurant évoluer de façon notable avant 2025 : « La mesure sera sans doute prolongée sur l’année à venir », regrette Catherine Quérard. « On pourrait cependant imaginer un dispositif de différenciation entre les canaux, avec une segmentation de la part de dépense entre la GMS et la restauration, puisque notre filière est à forte intensité de main-d’œuvre ».
Du fait des incertitudes liées à la situation économique et aux instabilités politiques, c’est l’économie française tout entière qui est plongée dans un marasme dont l’issue demeure très incertaine : « Nous sommes des chefs d’entreprise : il faut nous faire très mal pour que l’on capitule ! Malgré ces difficultés, nous partageons une même volonté d’avancer et de relever les défis, qu’il s’agisse d’inclusion, d’écologie ou de pouvoir d’achat. Cependant, l’irritation et l’inquiétude s’installent, avec une conjoncture dégradée et peu de secteurs où les perspectives sont positives ou très positives », a détaillé Patrick Martin, président du MEDEF. Le représentant de l’organisation patronale, invité en clôture des échanges de l’Assemblée Générale, a rappelé les sujets qui continueront d’animer les débats et à façonner l’avenir des entreprises : rabotage des allègements de charges (avec des effets potentiellement ravageurs sur les entrées de grille des salaires, largement représentées en restauration rapide), projet de transfert du financement des arrêts de travail aux complémentaires santé, risque d’abrogation de la réforme des retraites… « Tout cela va peser sur les entreprises à un moment où on veut "démiscardiser" l’emploi », a résumé le président, lui-même chef d’entreprise par ailleurs. « En tant qu’entrepreneurs, nous agissons par conviction, parfois à bas bruit. Nous devrions mieux valoriser notre action. Tout en restant déterminés pour enrayer la machine à normes. Une simplification de certaines réglementations est indispensable, leurs modalités et calendriers étant intenables pour les entreprises ». Seul point de satisfaction, le taux de conflictualité sociale en entreprise demeure parmi les plus faibles de l’histoire : dès lors, préserver la qualité du dialogue est primordial pour éviter tout risque d’embrasement. Au vu du combustible accumulé au cours des derniers mois, avec une douloureuse succession de crises, il pourrait alors se révéler bien plus rapide que la restauration… et détruire avec lui beaucoup de valeur.
Rémi Héluin
Photo Snarr : Romain Girard et Patrick Martin