Il est vrai que nous avons été habitués à suspecter préférentiellement certains produits alimentaires lors d’épidémies liées à la bactérie Escherichia coli. Celle-ci se trouve à l’origine essentiellement dans le tube digestif des bovins, quand elle est capable d’engendrer des symptômes particulièrement graves.
On sait par exemple que ces épidémies ont souvent pour origine :
Mais en réalité, les animaux infectés par cette bactérie peuvent aussi contaminer leur environnement et, pour les végétaux, la contamination peut résulter de l’épandage de fumures ou d’effluents d’élevage contaminés sur le sol où ils sont cultivés, ou encore de l’utilisation d’eau d’irrigation contaminée¹. C’est pour cette raison qu’au cours des années, nous avons pu observer de plus en plus d’épidémies liées à des aliments végétaux. En 2011 par exemple, des graines germées contaminées ont conduit à des cas d’infections par une bactérie Escherichia coli qui se sont déclarés en Allemagne et en France, entraînant des cas de diarrhées hémorragiques, de syndromes hémolytiques et urémiques (SHU) et près de 50 décès. Ce danger est donc à prendre en considération aussi sur les végétaux et il peut tout à fait se retrouver dans des oignons utilisés en tant que matière première dans des burgers.
La notion de « danger » en matière de sécurité alimentaire est définie à l’article 3 du Règlement européen 178/2002².
Ainsi, un « danger » est un agent biologique, chimique ou physique présent dans les denrées alimentaires ou les aliments pour animaux, ou un état de ces denrées alimentaires ou aliments pour animaux, pouvant avoir un effet néfaste sur la santé.
L’Escherichia coli est donc à proprement parler un danger biologique, qui peut engendrer des symptômes allant de la diarrhée banale jusqu’au syndrome hémolytique et urémique (SHU), et dont les conséquences sont dramatiques, allant jusqu’au décès, ou entraînant fréquemment des séquelles durables au niveau des reins ou du système neurologique. En Europe, il est obligatoire de procéder à l’évaluation des risques et de prévoir des systèmes pour réduire ces risques à un niveau acceptable.
L’article 5 du Règlement 852/2004³ prévoit ainsi que les exploitants du secteur alimentaire mettent en place, appliquent et maintiennent une ou plusieurs procédures permanentes fondées sur les principes HACCP, en vue de maîtriser les risques alimentaires. Les commerces de métiers de bouche connaissent peu cette méthode et l’appliquent souvent mal, malgré son caractère obligatoire.
Elle consiste en pratique à étudier chaque production, en partant de la recette pour établir un diagramme de fabrication, qui recense chacune de ses étapes. Puis à recenser, à chaque étape, les différents dangers qui peuvent s’y retrouver. Enfin, à quantifier le risque associé à chacun de ces dangers, puis à mettre en place les moyens de maîtrise nécessaires afin de ramener systématiquement ce risque à un niveau acceptable. Cette étude doit être conduite sur la base des connaissances actualisées et des sources scientifiques reconnues. Les moyens de maîtrise associés peuvent être de différentes natures.
Pour donner un exemple concret, la maîtrise des paramètres d’une cuisson (couple temps/température) peut tout à fait conduire à considérer le danger lié à une bactérie comme maîtrisé, lorsque les données permettent de savoir que cette bactérie est sensible à la chaleur. Également, le travail de cahier des charges techniques imposé par certaines enseignes à leurs fournisseurs permet de poser certaines exigences, notamment de surveillance, qui sécurisent la production en lien avec un danger identifié. Bien sûr, un tel travail n’est pas à la portée de nombreux commerces de métiers de bouche, qui n’ont pas les ressources internes pour le réaliser. Certains guides de bonnes pratiques hygiéniques et d’application de l’HACCP ont proposé de mettre à disposition de ces commerces une base, en vue de répondre à cette obligation. Mais il est indispensable de connaître leur contenu pour s’y référer et, souvent, de le compléter par rapport aux spécificités du commerce. En fait, il est souvent préférable, surtout lorsque le commerce commence à multiplier les points de vente, de construire sa propre analyse de dangers, prenant en compte les recettes propres du commerce considéré, mais aussi les types de matières premières utilisées et les principes de fonctionnement retenus. Cette démarche sécurisante peut être faite avec l’appui d’un consultant. Lorsque l’analyse de dangers est conduite en prenant en compte tous les dangers que l’on peut raisonnablement s’attendre à trouver dans une recette, et que les moyens de maîtrise retenus sont bien appliqués, elle assure une véritable protection contre les risques alimentaires.
Un client malade aura toujours tendance à penser que le repas qu’il a consommé à l’extérieur est à l’origine de ses symptômes, et c’est humain. Attention toutefois à prendre soin de récolter les bonnes informations, avant toute chose. En cas d’intoxication alimentaire, le premier élément de preuve qui doit être apporté par le plaignant est la preuve de sa consommation dans le commerce suspecté. Il peut disposer d’une facture, d’une note, de la trace d’une réservation… Il doit bien évidemment aussi démontrer la réalité de ses symptômes.
À cet effet, ses seules déclarations ne suffisent pas mais doivent être étayées d’un diagnostic médical, de potentielles analyses en complément, voire dans les cas les plus graves, d’une expertise. Puis, le lien de causalité entre les symptômes du malade et l’aliment suspecté peut être établi de différentes manières.
C’est dans cette optique qu’est imposée la conservation de plats témoins en restauration collective⁴. Ces plats témoins, conservés pendant une durée de 5 jours après leur présentation au consommateur, facilitent les enquêtes en cas d’intoxication alimentaire. À noter que dès lors que le lien est possible, le commerçant sera tenu de signaler la suspicion à la Direction Départementale de la Protection des Populations. Mais la description de l’événement par le client mécontent doit aussi permettre de mettre en évidence un lien biologique qui doit être un minimum crédible. Pour évaluer cette crédibilité, il convient de vérifier la cohérence entre les symptômes déclarés, l’éventuelle bactérie retrouvée chez le malade, et le repas incriminé. Par exemple, suspecter un repas d’être à l’origine d’une salmonellose alors que celui-ci a été consommé seulement 1 h avant le début des symptômes, sachant que la salmonelle a un délai d’incubation moyen de 12 à 36 heures, n’est tout simplement pas crédible. Dans les cas sérieux, soit du fait de la gravité des symptômes évoqués, soit du fait de la présence de plusieurs malades connus, il convient bien évidemment de favoriser l’enquête, tout en prenant l’attache de son avocat. Mais la majorité des déclarations de clients malades reçues au quotidien par les commerces de métiers de bouche ne permettent pas de savoir si leur responsabilité peut être engagée, du fait de l’absence de la plupart des éléments énumérés ci-dessus. Et il est aujourd’hui très fréquent que le client se montre pressant, voire menaçant, alors même qu’il n’a fourni que des bribes d’éléments de sa déclaration.
Dans tous les cas, il convient donc d’anticiper ces situations en mettant au point un questionnaire type qui permette de recueillir, avant toute chose, les principales informations en vue d’évaluer correctement la situation et d’y donner la suite la plus appropriée :
Certains clients font des déclarations, pour lesquelles ils attendent une réponse, en se cachant derrière un pseudonyme ou une adresse mail qui ne permet pas de les identifier. Il n’est pas possible de savoir de qui émane une telle déclaration. Il est donc prudent de prévoir que le client s’identifie correctement, voire de lui demander en plus de signer le questionnaire. C’est le gage d’une gestion rigoureuse de toute déclaration d’intoxication alimentaire, qui doit permettre de répondre favorablement et de manière appropriée à toute demande fondée, tout en écartant les déclarations qui ne seraient pas sérieuses.
¹ Fiche ANSES Escherichia coli entérohémorragiques (EHEC) Fiche de description de danger biologique transmissible par les aliments, mai 2019
² Règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002
³ Règlement (CE) n° 852/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004
⁴ Annexe IV de l’arrêté du 21 décembre 2009 relatif aux règles sanitaires applicables aux activités de commerce de détail
Nathalie Goutaland a été pendant plus de 20 ans inspectrice dans les services vétérinaires, avant de se reconvertir pour rejoindre la profession d’avocat. En 2019, elle remporte le Concours d’Innovation du Conseil National des Barreaux avec le projet AlimSafe, qui propose de la stratégie en sécurité alimentaire, et le réseau d’avocats AvocAlim qu’elle anime aussi sur ce thème, en vue d’assurer une meilleure défense des professionnels de l’alimentation.