« Inspirer, repenser le métier de boulanger dans une filière en perpétuelle transformation, c'est toute la philosophie de la Convention internationale de la boulangerie moderne (CIBM) », soulignait Paul Fedèle, directeur de publication, en ouverture de la 7e édition de l’événement ce mardi 26 novembre. Des évolutions qui se sont d’ailleurs accélérées depuis la pandémie, durant laquelle la filière boulangerie-viennoiserie-pâtisserie (BVP) a su démontrer toutes ses facultés de résilience, puis au cours de la crise inflationniste sur les matières premières et l’énergie qui a eu des conséquences lourdes pour le secteur. Heureusement, tout récemment, le secteur a échappé de peu à la taxe sur les produits sucrés. L’application de cette taxe aurait en effet entraîné un renchérissement de 10% du prix du croissant, a précisé Jean-François Loiseau, président de l’Ania et de l’ANMF. Craignant que le sujet « revienne sur la table régulièrement », Paul Boivin, secrétaire général de la FEB, invite le secteur boulanger à la proactivité, en accélérant les efforts de R&D pour réduire les quantités de sucres restant au goût des consommateurs. Ainsi suggère-t-il aussi de travailler à une charte collective à l’instar de ce qui a été fait sur le sel. D’ailleurs, le groupe Carrefour présent pour illustrer sa stratégie sur le rayon BVP, travaille déjà avec sa démarche Act for Food à modérer l’ajout de sucre dans ses produits. Il fait ainsi tester l’ensemble de ses nouveaux produits auprès de panels, indiquaient Rachida Maouche, directrice des marchés BVP, et Joël Bouchard, responsable R&D pâtisserie.
Le tsunami sur les tarifs des matières premières aura joué un rôle dans les évolutions de l'année, observe Michael Ballay du cabinet Food Service Vision. Il a ainsi recensé + 209 % nouveaux produits dans les catalogues (136 nouvelles références contre 44 en 2023) ! L’utilisation de chocolat de couverture a reculé de 27,5% quand celle de purée de fruits a progresseé de 23 % dans les créations. Et pour cause : le prix du beurre (+12% sur le 4e trimestre/2023) a atteint un plus haut historique et « ne devrait pas redescendre à son niveau précédent », anticipe Paul Boivin. Le chocolat a bondi de 53 % et le sucre s’avère très volatile. « Les marges des boulangers fondent comme neige au soleil » conduisant à reformuler les produits avec des recettes végétales, en recourant notamment aux alternatives au beurre. Et cela tombe plutôt bien quand 40 % des Français souhaitent consommer davantage de produits végétaux. Une tendance qui se retrouve aussi en zone rurale. Ainsi, l’utilisation de crème végétale aurait déjà beaucoup progressé (67 %), selon Ophélie Caron et Morgane Davalo de la société Vandermoortele. Le fournisseur propose d’ailleurs des mixes végétal/animal pour toutes les applications de boulangerie-pâtisserie. Une solution alors que les boulangers cherchent à trouver des alternatives sans toutefois bousculer leurs habitudes de fabrication.
Xavier Casalini de la CNBPF a par ailleurs insisté sur la nécessité d’ajuster les prix de vente. « Les professionnels comme les consommateurs ont bien compris qu'il faut répercuter les charges », sachant que le prix du pain en France a moins progressé que dans le reste de l'Europe. D'après Anne Frémaux, directrice Bakery du Gira, l'indice du prix à la consommation sur deux ans a augmenté de 25 % au global en Europe pour le pain, de 100 % en Hongrie, de 50 % en Pologne et de seulement 20 % en France. Jean-François Loiseau a d’ailleurs pointé la valorisation perpétuelle des prix bas dans les médias. Ce discours éclipse les process, selon lui. Il prône « le prix juste » et la mise en avant des belles entreprises et réussites du secteur, ce qui permettrait de replacer l'emploi et d'attractivité sur le devant de la scène.
Michaël Ballay est revenu sur l'évolution du chiffre d'affaires des boulangers, en hausse de 3% sur un an en septembre après un résultat estival décevant en période de Jeux Olympiques. Il note de grosses différences de selon les profils de boulangeries, avec des écarts pouvant atteindre jusqu’à 10 points. L’expert a listé les facteurs clés du succès, à commencer par la qualité de l’implantation. En 2024, les zones de transport ont bénéficié des déplacements liés aux JO. La multiplication des moments de consommation (8 dans la journée), avec des clients aux attentes différentes qu’il faut saisir par une offre adaptée est un second levier à activer. Autre action bénéfique, l’innovation, qui permet de maintenir la consommation, en faisant revenir les clients et séduisant de nouveaux, a résumé Michael Ballay. Il illustre ses deux derniers points par le succès de la nouvelle offre de fin de journée de pizzas concoctée par la chaîne leader Marie Blachère. L’expert Nicolas Nouchi, de Stragetg’Eat, prend aussi l’exemple de la boulangerie Carton, basée près de la gare du Nord à Paris, au sein de laquelle il s’est immergé. L’artisan y décline ainsi son croissant primé et propose différents modèles et goûts vecteurs d’innovation. Les professionnels du secteur pourront d’ailleurs trouver des inspirations à l’occasion du prochain salon Sirha, du 23 au 27 janvier prochain à Lyon. 470 exposants et marques de la filière boulangère y sont attendus, comme l’a indiqué Luc Dubanchet, son directeur général.
8 consommateurs sur 10 seraient ainsi demandeurs de nouveautés sur les produits de boulangerie, selon la présentation à deux voix opérée par Blandine Daugenet de Bridor et Marie Menanteau de Marie M Conseil. Pour exemple, un cliché d’un Crompouce, croissant fourré avec glaçage devenu viral sur Tiktok, inspiré du Tompouce néerlandais, a permis à son créateur de doper ses ventes : +185 % ! Les spécialistes ont listé plusieurs tendances créatives dont ‟l'arti-bakery” jouant avec les lignes, l'intérêt graphique et de la couleur des produits ; ‟ l'authenticité ”, valorisant des ingrédients naturels, locaux, les céréales anciennes ou des techniques oubliées. Une catégorie dans laquelle pourrait être classée la démarche d’Adriano Farano aux commandes de la boulangerie Pane Vivo et qui a retenu un seul blé pour sa farine. Sur les 35 variétés les plus cultivées testées, elle s’est révélée être la seule dont les protéines étaient entièrement digérées. Le Pain et Jo privilégie pour sa part des ingrédients plus bruts et ne travaille que des fermentations longues, quitte à être en rupture en fin de journée, explique Ioulia Condroyer sa cofondatrice. Jean-Pierre Constans du Moulin de Colagne a lui été précurseur en renouant avec les meules de pierre pour des farines bio dès le milieu des années 80. Autre tendance en matière de produits : ‟l'ultra gourmandise” réservant des surprises au cœur des produits et la ‟culinarité nomade” pour une consommation à tout moment avec les sandwichs et tartines sucrés ou salés.
Le témoignage de Magali Poulaillon, directrice générale du groupe éponyme, confirme la tendance vers ces bonnes pratiques. C’est son produit phare, la mauricette, une mini baguette sur pâte à Bretzel briochée qui ne laisse pas de miettes, et qui a permis à sa structure de se démarquer et devenir une référence. Celui-ci s’avère idéal pour des petites portions et peut donc être décliné avec différentes recettes sucrées ou salées, pour tous les moments de la journée. Pour y parvenir, Magali Poulaillon s’appuie sur des centres de production pour la cuisine et boissons (jus de fruits, détox, citronnades…) « indispensables et complémentaires » : un café/un croissant, une bière/ un Bretzel, un cola/un muffin… L’un doit être proposé avec l’autre. Cafés Richard, torréfacteur français, accompagne d’ailleurs en ce sens l’entreprise Poulaillon. « Après 6 mois où l’on s’adapte aux besoins et attentes du client, nous proposons des aménagements et évolutions pour développer les ventes », explique Jean-Christophe Albaret, directeur des opérations commerciales. « Mais avant de se lancer dans des offres sophistiquées, il faut maîtriser les fondamentaux, insiste Magali Poulaillon. Et il serait aussi inconcevable de ne pas proposer de laits végétaux », complète-t-elle. Toujours dans une logique d’adaptation aux différents moments de consommation et à tous les besoins, ses boutiques disposent de plusieurs espaces : une partie avec chaises hautes et prises de téléphone pour les actifs, une autre plus cocooning avec des canapés et une salle de réunion.
L’audace, c’est aussi et surtout ce qui a fait le succès de l’invité d’honneur de la journée Bernard Blachère, fondateur de la chaîne de boulangeries Marie Blachère. Cet anti héro discret né d'une famille aux racines agricoles, s’est inspiré de ses premières expériences professionnelles de maraicher sur les marchés et en a repris les techniques efficaces. Parmi elles, le choix de l’emplacement, en zone industrielle pour Blachère, la fraîcheur des produits et la vente par lots. « Chez nous, 90 % des baguettes sont vendues par 4 ». Il choisit aussi de proposer 3 niveaux de cuisson du pain pour coller aux attentes des clients, « ce qui a été un combat avec les équipes », indique-t-il. L’innovation peut également passer par la technologie. L'intelligence artificielle qui émerge propose déjà des solutions pour la boulangerie notamment pour optimiser le marketing, en tenant compte des préférences des consommateurs et les fidélisant, mais aussi des process a expliqué Etienne Maillard, directeur des relations extérieures de la division Bakery de Lesaffre. En France, les prix changeant au cours de la journée en rayon se démocratisent. Au Japon, des vitrines analysent l'émotion des consommateurs.
Pour séduire toujours plus de convives, l’hybridation des lieux de consommation se confirme aussi. La boulangerie BO&MIE propose du 100% Maison mais préparé dans un laboratoire en dehors de Paris. Il alimente ses 5 boutiques sur le modèle du coffee shop. « Être une boulangerie est un titre de noblesse. Ce n'est pas toujours possible dans les grandes villes », remarque son dirigeant Jean-François Bandet qui s’interroge sur la légitimité de repenser cette dénomination. La plupart des témoins de cette journée optent pour une croissance progressive et maîtrisée pour ne pas perdre leur ADN. C’est aussi le cas de L'atelier de Maxence qui, en s’installant dans le 11e arrondissement de Paris s'est recentré sur ce qui se vend le mieux et ne veut pas plus que deux boutiques, comme l’a confié son dirigeant Maxence Grégoire. Respecter les choix des investisseurs, c’est aussi ce que défend FrenchFood Capital, qui aide tous les styles de boulangers à lever des fonds. La structure « apporte de l'argent mais aussi du conseil au développement de l'entreprise » met en avant son fondateur Laurent Plantier, qui revenait sur le processus de financiarisation de la filière BVP. Sur ce point, Anne Frémaux du Gira confirmait d’ailleurs l’évolution du paysage boulanger. Le Bake-off (produit à finir de cuire) progresse encore nettement et a dépassé la fabrication artisanale. Elle représente 37 % des produits de BVP fraiche. « Il est déjà numéro 1 dans 15 pays Européens. » 80% des viennoiseries sont en Bake-off. La tendance est moins développée dans les pays du sud et de l'est et plus dans ceux du Nord. Autre statistique marquante : les chaînes de Bakery représentent 11% de la distribution de produits de BVP fraîche et 8% en France. 60 % de leurs ventes sont fournis par leurs propres usines (la moitié en bake-off), qui sont des concurrentes des fournisseurs traditionnels, a fait remarquer l’experte.
La CIBM souhaitant être une source d’ouvertures va aussi chercher l’inspiration dans des expériences internationales. Ainsi, Radhia Kamoun, qui était accompagnée de Rémy Lucas de Cate Marketing, gère une pâtisserie tunisienne qui dispose de 26 boutiques dans le pays et d’une en Libye. Pour s’assurer une consommation quotidienne et tout au long de la journée, elle a intégré une offre de pâtisserie française qui représente 80 % de son assortiment. La pâtisserie orientale est alors associée aux festivités. De son côté, Veneta Pissarska de la société Lesaffre proposait un focus sur la Bulgarie, pays à 70% citadin avec une population jeune venue du monde entier. Le pain blanc pré-emballé y représente 80 % de l’importante consommation locale (15 kg/hb/an). La crise du Covid a eu raison de l'artisanat tandis que le secteur industriel s’avère très moderne et dynamique, notamment en raison du manque de personnel qualifié. Les véritables innovations produit n’émergent que depuis 3-4 ans avec une diversification nutritionnelle, de plus petites portions ou encore l’utilisation de levain. De quoi donc venir nourrir les réflexions et confirmer l’adaptation de la filière internationale aux défis conjoncturels. Entre créativité produit et diversification des expériences…
Marianne Roumégoux & Lucile Legaignoux
Merci aux partenaires de la CIBM