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Des sauterelles pour snacker ? La chronique de Gilles Fumey

28 Mars 2025 - 818 vue(s)
Deux milliards d'individus dans le monde se nourrissent d'insectes, alors pourquoi pas nous ? Le géographe de l'alimentation Gilles Fumey interroge notre regard et nos imaginaires occidentaux vis-à-vis de ces "petites bêtes" que nombre de scientifiques considèrent pourtant comme bénéfiques pour la santé et pour la planète. Entre réel intérêt, curiosité amusée ou irrémédiable répulsion, leur consommation protéinée divise jusque dans les hautes autorités qui ne donnent leurs avals de commercialisation qu'au compte-gouttes... L'avènement du snacking peut-il changer la donne ?

" Lancez le sujet sur l’alimentation demain. Vous aurez droit aux pilules, les fameuses pilules des cosmonautes de la série Apollo, et aux insectes. Dégoût, effroi, rigolade, pochades assurées. Tout le monde a une histoire sur un marché d’un pays touristique où les insectes grillés suscitent l’hilarité. « Ils mangent ça, ici ? » Vite un selfie pour mon groupe WhatsApp !

Après la déraison, la raison. Les scientifiques nous disent que ces petites bêtes sont bonnes pour la santé humaine et celle de la planète. Les Nations unies nous recommandent donc l’entomophagie. Au diable, la très toxique (pour l’environnement) viande bovine ! Si le poulet et le poisson d’élevage venaient à manquer à la suite d’une méga contamination, les Occidentaux auraient encore cette option de manger des insectes, comme les Parisiens ont mangé les animaux de la ménagerie du Jardin des plantes, éléphant compris, pendant l’invasion prussienne en 1871.

Après tout, les vers de farine étaient appréciés chez les Romains et jusque dans les monastères du Moyen Âge. Certains d’entre nous ont des ancêtres qui aimaient la soupe aux hannetons fin 19e siècle. Que s’est-il passé ? La faute à Pasteur. Petit à petit, les insectes ont été perçus comme sales, porteurs de microbes et, surtout, ils ont été vus sans gêne alors qu’on aimerait les débarrasser de nos placards.

Amateurs de crevettes, savons-nous qu’elles sont de la même famille que les scarabées, les grillons ? Que nous les acceptons dans nos sandwichs parce qu’elles vivent tout comme les poulpes dans l’eau, hors de portée de nos regards. Sous les tropiques où l’on manque de protéines animales, les enfants autant que les adultes n’ont pas le choix pour se nourrir, les animaux d’élevage sont trop rares pour nourrir des populations qui se multiplient par deux toutes les trois générations. Les cuisines locales les rendent comestibles par des fortes cuissons, souvent dans une huile de friture qui règle leur toxicité. Sur la planète, deux milliards d’individus s’en nourrissent encore.

Le snacking serait-il une solution ? Promenons-nous à Mexico, un pays pas si éloigné culturellement des nôtres. Les marchands ambulants vendent dans les rues des tacos qui contiennent de la farine de sauterelle, des vers d’agave, des œufs de punaises aquatiques, des fourmis et, parfois, leurs œufs. Mais une étude portant sur plusieurs milliers d’adolescents montre que les jeunes se renseignent auprès des vendeurs, avant de décliner l’offre. Parce que leur culture est urbaine, formatée par la publicité occidentale. Dans les villages de l’Amazonie brésilienne, sur les marchés de Cheng Mai en Thaïlande ou de Luang Prabang au Laos, en Océanie et en Afrique équatoriale, les tabous n’existent pas, les cuisines locales préparent les chenilles, les termites et les vers de palmiers. J’ai eu un étudiant colombien, content de nous initier aux saveurs d’arachide des hormigas culonas (fourmis à gros derrière) qu’il avait grillées. Ces animaux avaient été repérés dans les élevages des Indiens Guane par les Espagnols 16e siècle, et les fourmis sont toujours en vente à Bogota où on les apprécie comme un caviar. Et pour les Mexicains, les reines de fourmis sont appréciées comme des friandises.

Nos cultures industrielles et urbaines peuvent nous aider à s’en approcher, en les neutralisant par une réduction en poudre ou en farine. Certains sportifs de haut niveau avalent déjà des barres de protéines d’abeilles ou de criquets. Le principal obstacle à une diffusion de masse est que, pour l’instant, nous n’en avons pas besoin. Ils ne peuvent entrer dans l’alimentation que sous la forme d’un jeu, d’un cadeau.

Dans les pays riches, les entreprises qui se sont lancées dans la fabrication de protéines d’insectes sont, pour une bonne part, à la peine parce que les alternatives aux protéines ont tendance à assécher le marché. Les autorisations n’avaient été données qu’au compte-gouttes en 2021 pour Agronutris et ses vers de farine, Protix (Pays-Bas) et ses criquets, voire les grillons en 2022 qu’élève aussi Cricket One (Vietnam). On sert bien, parfois, à l’apéro des insectes entiers de chez Jimini’s, mais après l’effet de surprise, l’appétit retombe.

L’autre fenêtre culturelle serait de montrer que les fourmis et les sauterelles sont « bonnes pour la planète ». Des entreprises du nord de la France les élèvent pour alimenter des fermes aquacoles, très gourmandes en soja et pêche minotière. Pour les élevages de volailles et de porcs, l’Union européenne autorise huit insectes, dont deux mouches, trois vers et trois grillons. Les petites bêtes n’ont pas dit leur dernier mot."

Gilles Fumey Géographe de l’alimentation
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