Xavier Berjot
Communauté

Pourboires en restauration : 5 questions clés, selon l'avocat Xavier Berjot

8 Juin 2025 - 315 vue(s)
Traditionnellement associés aux restaurants avec service à table, les pourboires se font plus discrets dans l’univers de la restauration rapide. Pourtant, face à la montée des concepts hybrides de comptoirs premiums, food courts animés, cuisines ouvertes, il devient de plus en plus courant que des clients manifestent leur satisfaction par un geste spontané, même modeste. Cela soulève une question cruciale pour les employeurs comme pour les salariés, celle des droits, obligations et risques liés à ces sommes, souvent perçues de manière informelle. Entre régime d’exonération temporaire, conditions strictes de déclaration, et rôle parfois ambigu de l’employeur dans la collecte ou la redistribution, la question des pourboires mérite un éclairage précis, notamment dans le cadre juridique applicable jusqu’au 31 décembre 2025. Nous avons demandé à l’avocat Xavier Berjot, associé au cabinet Sancy Avocats, de nous éclairer autour de cinq questions pratiques autour de ce sujet juridiquement sensible.

1. Les pourboires sont-ils obligatoirement soumis aux cotisations sociales ?

Pas toujours. En principe, les pourboires constituent un élément de rémunération et sont donc soumis aux cotisations sociales (CSS, art. L. 242-1). Toutefois, la loi de finances pour 2022, prorogée par la loi n° 2025-127 du 14 février 2025, prévoit une exonération totale des cotisations sociales et de l’impôt sur le revenu sur les pourboires versés jusqu’au 31 décembre 2025, sous trois conditions cumulatives :

  • Ils doivent être versés de manière volontaire par le client (c’est-à-dire non inclus dans une majoration type « service compris ») ;
  • Ils doivent être versés à des salariés en contact direct avec la clientèle (serveur, hôtesse, chef de rang...) ;
  • Le salarié bénéficiaire doit percevoir une rémunération mensuelle inférieure ou égale à 1,6 SMIC brut (soit environ 2 882,88 € en 2025).

Dès lors que ces trois conditions sont respectées, les pourboires — même s’ils apparaissent en caisse ou sur le bulletin de paie — sont totalement exonérés. 

2. Les salariés en cuisine peuvent-ils bénéficier des pourboires ?

Oui, à condition qu’ils soient en contact avec la clientèle. L’article L. 3244-1 du Code du travail ne limite pas le droit au pourboire à une catégorie de poste (serveur, cuisinier, etc.) mais à une condition de fait : le contact avec la clientèle. Il est donc possible pour un cuisinier travaillant dans une cuisine ouverte, ou échangeant avec les clients (show-cooking, comptoir visible, food court...), de bénéficier de pourboires, y compris dans le cadre du régime d’exonération prévu par la loi de finances.

En revanche, un salarié affecté uniquement à la production, sans lien avec le client final, ne peut bénéficier du régime social et fiscal de faveur, même si l’employeur décide de lui verser une part des pourboires perçus. Dans ce cas, la somme versée devra être intégrée à l’assiette des cotisations et soumise à l’impôt sur le revenu, comme tout complément de salaire.

En résumé : c’est le contact effectif avec la clientèle qui fonde l’exonération, pas le métier exercé. Un cuisinier visible peut en bénéficier ; un chef en cuisine fermée, non.

3. Le restaurateur peut-il confier la gestion des pourboires à un prestataire tiers ?

Oui, mais cela ne l’exonère ni de sa responsabilité, ni de ses obligations déclaratives. Certaines entreprises proposent des TPE « externes » ou des applications permettant de collecter les pourboires séparément de l’encaissement du repas, et de les reverser directement aux salariés. Cependant, selon la doctrine administrative, dès lors que l’employeur organise ou facilite la mise en place de ces dispositifs (signature d’un contrat, mise à disposition du matériel...), il est considéré comme centralisateur, même indirect (C. trav., art. L. 3244-1, circ. DRT D 189 du 30-3-1989).

En conséquence, il doit garantir le reversement intégral des sommes aux salariés, supporter les frais du dispositif (C. trav., art. L. 3251-4) et déclarer les montants si les salariés ne le font pas eux-mêmes

4. Quel est le risque si le restaurateur ne déclare pas les pourboires ?

Le risque principal est un redressement URSSAF pour dissimulation de rémunération.

Dès lors que l’employeur a connaissance (même indirecte) des pourboires perçus par ses salariés, il est tenu d’assurer leur déclaration et leur distribution dans les conditions prévues par la loi. À défaut, il s’expose à une requalification en travail dissimulé, avec à la clé cotisations rétroactives, pénalités et majorations.

D’ailleurs, même exonérés de cotisations sociales et d'impôt sur le revenu, les pourboires doivent obligatoirement être déclarés dans la DSN. Cette obligation découle du fait que les pourboires exonérés sont néanmoins intégrés dans le Revenu Fiscal de Référence (RFR) des salariés.

5. Comment sont traités les pourboires perçus directement en espèces par les salariés, sans intervention de l’employeur ?

Lorsque les pourboires sont remis par le client directement au salarié – soit en main propre, soit par l’intermédiaire d’un autre salarié chargé de les centraliser puis de les reverser sans implication de l’employeur – celui-ci n’a pas connaissance du montant exact des sommes perçues.

Dans cette configuration, les pourboires échappent à toute intervention de l’employeur. Il n’est donc tenu à aucune déclaration, et le bulletin de paie ne doit pas mentionner ces sommes, sauf à titre d’assiette forfaitaire pour le calcul des cotisations sociales, conformément à la circulaire DRT du 30 mars 1989, n° 26 (BOMT n° 89-15).

Cette assiette forfaitaire constitue un minimum de cotisations. Toutefois, si le montant de la rémunération versée par l'employeur à son personnel bénéficiaire de pourboires est supérieur à cette assiette forfaitaire minimale, les cotisations peuvent, soit d'un commun accord entre l'employeur et le salarié, soit par référence aux conventions et accords collectifs, être calculées sur la rémunération versée par l'employeur (Arrêté du 28-3-1956 art. 2).

Sur le plan fiscal, les pourboires perçus directement demeurent imposables au titre de l’impôt sur le revenu. Le salarié doit donc les déclarer pour leur montant exact, même si ces sommes ne figurent pas sur son bulletin de paie. Il lui appartient en pratique de tenir un relevé précis et annuel des sommes encaissées, à défaut de justificatif émis par l’employeur.

 www.sancy-avocats.com 

Commentaires (0)
Les concepts Snacking
décrypter

Dans la même thématique