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Offensive américaine, la chronique de Gilles Fumey

12 Juin 2025 - 583 vue(s)
Dans cette chronique gourmande, le géographe de l’alimentation Gilles Fumey explore l’offensive sucrée des donuts américains sur le sol français. Entre choc des cultures et stratégies commerciales à l’américaine, il décrypte l’arrivée de Dunkin’ à Paris comme un nouvel épisode des guerres douces que les marques se livrent à coups de glaçages et de marketing. Une lecture forcément savoureuse.

Les Américains aiment les débarquements. Les voici s’en prenant à la forteresse parisienne et bientôt en régions avec Dunkin’. Dunkin’ et son doughnut (appelé donut), imaginé par les Hollandais au 19e siècle, troué quelques décennies plus tard pour en améliorer la cuisson. Le célèbre beignet ne craint pas son concurrent Krispy Kreme, déjà dans la place depuis quelques années, au contraire.

Car aux États-Unis, les entreprises mènent des combats. Elles appliquent les cinq forces de Michael Porter qui fut le pape de la stratégie à Harvard. Dans son art de la guerre managériale, Porter misait notamment sur la concurrence par la géographie pour stimuler l’innovation. À Paris, Dunkin’ et Krispy Kreme sont désormais voisins dans un triangle magique entre le Forum des Halles, la gare Saint-Lazare et les grands boulevards. Pour se jauger, se surveiller, car il s’agit de mener une guerre consentie, ainsi que la vivent depuis près d’un siècle ces couples infernaux Pepsi et Coca, McDonald’s et Burger King, Apple et Samsung, Nike et Adidas.

Rien n’excite plus Dunkin’ que de séduire les Français par les donuts, dans le pays leader des coupes du monde de la pâtisserie. Pour l’Amérique, l’heure est venue, parce que les coffee shops français de Columbus Café, trente printemps en 2024, ont préparé le terrain. À l’ouverture en mai, qui étaient les fans de Dunkin’ levés aux aurores pour être les premiers à entrer dans le flagship en face du musée Grévin ? Beaucoup de natifs et nostalgiques des États-Unis, drogués aux fameux beignets.

Dunkin’ ne craint pas de s’installer dans la France des bars et des cafés dont beaucoup, hélas, ont vieilli et n’ont pas suivi l’évolution des modes de vie. Dunkin’ veut bousculer une autre histoire, plus conforme aux codes gastronomiques de la France. Il y a juste dix ans, les artisans de Boneshaker, l’Américaine Amanda Bankert, formée au Cordon bleu et Louis Scott, se lançaient dans une déclinaison… artisanale du donut. Ingrédients d’origine végétale, fruits et légumes de saison, le tout végétalien et végan préparé par des chefs pâtissiers et, pour le café, des baristas, rien n’est trop beau pour ces pâtisseries au beurre de cacahuète glacé, bruine et coulis de chocolat noir ou encore à la compote de rhubarbe et meringue, voire au lemon curd et garniture de noix de coco.

Les donuts seraient-ils une question de génération ? Sans doute, car les Y ou Z veulent leur mascotte sucrée. Comme les plus âgés eurent leurs madeleines vantées par Proust ou les croissants beurre et viennoiseries. Comme leurs parents eurent les macarons. Et à eux, post-ados et trentenaires nourris aux burgers, les donuts au glaçage sucré brillant, à la fraise et son vermicelle, au chocolat, au nutella, à la cannelle ! Un festival de saveurs dont l’une a enflammé les réseaux sociaux : le « Passeport to Paris » – un donut moins sucré que les autres. Avec, en réserve, les goûts de crème brûlée, ou d’éclair au chocolat, de framboise vanille. Près de vingt variétés pour les papilles tricolores.

Tous ont repris les recettes du succès des crêpes bretonnes déclinées en multiples goûts salés ou confiturés. Comme pour les pizzas, les pâtes ou les tartes, l’art des donuts est d’être, pour une part, des produits d’assemblage, les ateliers centraux fournissant le support de ce qui est décliné en fonction des goûts et des couleurs. Comme pour les pâtisseries fétiches des Français, les industriels du donut Krispy Kreme n’ont pas chômé pour servir l’an dernier 5,5 millions de beignets, encore très loin des 400 millions de macarons et des 2 milliards de croissants qui bénéficient du circuit des boulangeries.

Tout comme les chocolats, le café et le thé, les donuts deviennent des outils de sociabilité. Packagés pour leur faire porter un message attentionné, les voici transformés en cadeaux. Certains s’en méfient à cause du sucre comme d’autres fuient l’alcool ou le gras, mais l’intention est là et… le business aussi. La GMS s’empare du marché, parfois en surgelés. Rien n’arrêtera les jeunes générations dans la fabrique de leurs idoles. Aucune taxe, aucun droit de douane, qu’on le fasse savoir à Washington !

Retrouvez cet article dans le dernier numéro de France Snacking FS 82 dans quelques jours dans vos boites aux lettres, et en ligne dès aujourd'hui, en version feuilletable

Gilles Fumey Géographe de l’alimentation
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