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Tous au Sirha ?

6 Janvier 2015 - 2714 vue(s)

Avant le grand raout du Sirha où tout sera très grand, très haut, très large, au top, plein d’angoisse pour ceux qui se plient à tous les concours imaginables et inimaginables dans cette bonne ville de Lyon peu habituée aux superlatifs, on tente une toute petite question : que signifie cette procession aux oracles ? On tendrait l’oreille pour savoir que la planète s’est rétrécie, que les nouvelles technologies seraient plus importantes que l’invention du fourneau et du froid domestique, qu’au travail les gens sont pressés par le temps et qu’enfin le burger a envahi la planète ? Stop là ! Asseyons-nous quelques minutes avant d’entrer dans le temple de Delphes où nous attendent les fameux oracles. Et évaluons la solidité de trois piliers.

La première question va nous fâcher rouge et porte sur le snacking pratiquant abondamment le fétichisme du plaisir. Le plaisir est partout. Au sommet de toutes les enquêtes et de tous les sondages, il trône comme l’argument incontestable. Il éblouit tous ceux qui travaillent à imaginer un client désirant manger : le plaisir se niche dans les saveurs, les textures, les odeurs. Rien ne lui opposerait de résistance si ce n’est la longueur d’une file d’attente qui se pourrait se justifier encore par le masochisme du consommateur préférant attendre devant un restaurant plein plutôt qu’une enseigne vide à côté. Rien ne serait supérieur au plaisir. Alors pourquoi tant de craintes, d’angoisses, d’allergies (le sans gluten, c’est tendance jusqu’à Matignon), de procès, de suspicion dès qu’on tourne la page des papiers professionnels et quand on passe des sites institutionnels aux blogs ? Pourquoi l’industrie a du mal à faire fructifier le capital confiance qu’elle engrange quand elle rend service dans les gares et les rues, les boulangeries, les rayons de la GMS dévalisés pour les pauses déjeuners, les apéros, les pots d’entreprise, les pique-niques ou toute nourriture improvisée ? La réponse n’est pas simple… Sera-t-elle donnée au Sirha ? Pas sûr.

La deuxième question peut nous faire passer du rouge à l’orange. La métaphore de la pièce de monnaie à deux faces suffit-elle pour parler d’un consommateur à la fois heureux de ce qu’on lui offre et inquiet de ce qu’il mange ? Côté industrie, il faut se demander si on adopte les bonnes pratiques quand on sectionne le lien entre celui qui fait et celui qui mange ? Combien de produits géniaux, excellents, bien faits, superbement markettés, adéquats et adaptés ont été massacrés, au final, par un service déplorable ! Les exemples abondent. Qu’est-ce que la guerre du local ? Est-on sûr que la rime avec « global » suffit à faire un couple aussi glamour qu’Albert et Charlène ? Le local serait-il une lubie des consommateurs, une mode qui va vite se démoder (beaucoup l’espèrent ou vont le maquiller) ? Ou serait-il la faillite d’une certaine instrumentalisation du service. Un service qui n’aurait pas été pensé à sa juste valeur et qui serait coupable d’avoir scié la branche des industries ? Pourquoi sait-on monter de superbes process industriels et bute-t-on sur le capital humain ? Suffit-il de faire rêver la jeunesse à la télévision pour remplir les formations ? La solution serait-elle dans les dizaines de concours organisés pour stimuler le travail et l’adresse des jeunes ? Possible mais pas gagné.

La troisième question veut nous faire passer du rouge au vert. C’est celle d’un grand bain relationnel dans lequel vont plonger les milliers de congressistes. Des audacieux, des fêlés du chef, obstinés, talentueux, des orgueilleux et des timides, des humbles jusqu’aux insupportables coqs redressant leurs crêtes, des malins jusqu’aux petits génies fleurant la bonne affaire, le bon tuyau, la bonne ficelle. Les Japonais affectionnent ces grands bains publics chauds où ils bavardent après s’être savonné copieusement. Pour le savon, les politiques et les consommateurs en donnent assez pour ne pas craindre la pénurie. Pour le stimuli, gageons qu’il sera maximal. Car après tout, les sacro-saints chiffres, les pourcentages et leurs virgules issus d’enquêtes déclaratives sont souvent aussi abscons que les oracles de la Pythie. Que le snacking soit l’avenir de l’alimentation, peu en douteraient même en France où les repas en restaurants déçoivent plus qu’ils plaisent, où la cuisine reste un loisir de week-end et une vraie passion nationale qu’on doit autant aux rois (pour les produits) qu’aux bourgeois (pour les manières). Qu’il y ait un « créneau », des « tendances », tout cela se sait. Et surgissent tant de phénomènes imprévus comme les sushis, la résistance du burger qui atteint le sommet de la vague, le bio qu’on dénigrait, le local enfin reconnu.

De tout ce bouillon, il reste quelques grains de folie à récolter, de la technologie à empocher pour faciliter le travail, des marques à lancer dans une jungle toujours plus touffue, une excitation partagée avec la jeunesse qui aime le jeu, le défi, les paillettes et qui veut changer et enchanter tout ce monde inspirant encore trop l’angoisse. Rien que pour ces frissons-là, les allées du Sirha méritent qu’on s’y perde. Pour mieux se retrouver.

 

 Gilles Fumey est professeur des universités sur l’alimentation à Paris-Sorbonne et chercheur à l’Institut des sciences de la communication du CNRS. Il vient de publier avec C. Grataloup et P. Boucheron, L’Atlas global aux Arènes.

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