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Ce que le climat fait au snacking à l'heure de la COP21

9 Décembre 2015 - 3162 vue(s)

La COP 21 est déjà loin, les attentats du 13 novembre aussi, les régionales viennent d’échauffer les esprits. Nous éprouvons, tout d’un coup, le besoin d’une pause. De souffler. Nos vies sont ainsi faites d’adrénaline et de rémission. Les unes et les autres nous réclament de quoi se sustenter. Mais les omnivores que nous sommes pilotent leur alimentation avec des signaux. Parmi ceux du lendemain repérés ici ou là, il y a l’obsession, le grand-voile, l’immense filet du climat. Comme une ritournelle qui accompagne le moindre des changements. Hier, c’était la mondialisation. Aujourd’hui, c’est le climat, la planète Terre.

Le climat s’est invité comme un OVNI il y a quelques années. De Rio, perçait une petite musique au loin. Car le sujet était pour les autres : Brésiliens, altermondialistes, écolos. On voyait bien la forêt amazonienne se faire manger par les multinationales américaines avec la complicité d’un gouvernement corrompu, mais après, tout, était-ce si grave ? Il y avait bien eu une superbe forêt dans le monde méditerranéen, pleine de lions et d’animaux sauvages dont les Romains se servirent pour leurs massacres au Colisée. Aujourd’hui, nous les touristes, aimons bien le quasi désert, les rocailles, la sécheresse que nous cherchons en habitant des pays frais et humides.

Seulement, la machine Terre s’est emballée. Les prophètes de malheur sont maintenant des scientifiques, tirant la sonnette d’alarme depuis leurs laboratoires. Comme les étudiants fauchés au Bataclan croyant que la guerre, c’était pour les autres, nous risquons de nous réveiller dans la catastrophe. Mais quelle catastrophe ? Celle d’une planète que nous exploitons sans vergogne et qui va rechigner à nous donner en abondance de l’eau, des sols pour les cultures, de l’énergie peu coûteuse. Regardons ce qui se passe en Californie. L’eau va y devenir plus chère que l’essence. Sommes-nous prêts ?

Nos matières premières vont être plus coûteuses à fabriquer. Nos sociétés confites dans la peur sont en train de lever le lièvre du sucre contre lequel il faudra se battre comme ce fut le cas pour le tabac. Sommes-nous prêts ? Nos industriels sont de plus en plus pressés par les pouvoirs publics de produire des certificats de bonne conduite nutritionnelle. Sommes-nous prêts ? Nos clients réclament de plus en plus des produits à haute qualité symbolique, estampillés durable/solidaire/local. Sommes-nous prêts ? Les amateurs de snacking ont de plus en plus d’outils pour tester le service de nos établissements (hygiène, accueil, qualité). Sommes-nous à la hauteur ? Ceux qui mangent sur le pouce, dans le train, les gares ou les avions, ou en mode pause au restaurant, chez soi ou à la plage veulent des produits accessibles, mondialisés (ça rassure aussi), dans l’air du temps (burgers, graines germées, calories basse densité). Sommes-nous en phase ?

Le snacking est, donc, une ingénierie alimentaire pour des moutons à cinq pattes. Il absorbe tout ce que l’air du temps produit et que nous devons assimiler : bonheur de vivre et d’entreprendre, angoisse du lendemain, fragilités personnelles et collectives. Manger, c’est une forme de lutte. Les psychologues aiment bien parler de « récompense ». Qu’on décline, non sans paresse, en « plaisir », goûts sublimes, saveurs du monde.

Le changement climatique va bousculer de fond en comble nos modèles. Les jeunes générations y sont sensibles. La sociologie aura beau dire que les riches et les bobos n’ont pas le modèle universel. Mais ceux qui se cantonneraient à ne voir que des produits de masse se trompent lourdement. A Paris, dans certaines stations de métro, on vend des gâteaux, des friandises, des barres chocolatées, des sodas, « tout à 1 euro ». De produits qui furent pourtant marquetés au millimètre pour donner la forme et le plaisir et que les dates de péremption (on sait ce qu’il faut en penser) jettent dans la malbouffe. La porte de sortie ? C’est le report sur le service avec des prestations de qualité et une gamme de produits complètement repensés.

L’extraordinaire réussite de la mue boulangère devrait faire réfléchir. Elle est aux marges du fast casual, excellente synthèse entre restaurant et point de vente à emporter. Aspirant vers le haut l’innovation venue de la génération Y, le fast casual a ses codes qui vont bousculer la sphère alimentaire comme le restaurant et la brasserie ont chamboulé les villes au XIXe siècle et le fast food nos villes étalées depuis cinquante ans. Positionné haut dans la gamme, le fast casual répond aux besoins d’une restauration rapide imposée par nos rythmes sociaux.  Né dans les centres villes, il est le nerf d’une guerre qui va chambouler le monde des restaurants déjà sommés de fournir des plates-formes de livraisons de repas à domicile. Voilà pourquoi le climat va changer le snacking.

 

 Gilles Fumey, Sorbonne-Universités et CNRS (ISCC)

 

 

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