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Le snacking pour une société numérique

17 Mars 2016 - 3872 vue(s)

Le mot n’est pas joli, convenons-en. Les consonances anglo-saxonnes du snacking sonnent comme une conquête américaine.  Alors que nous l’avons montré dans un autre billet, manger ce qu’on a sous la main avec les doigts quand on a faim, date de l’époque où nos ancêtres de la Préhistoire partaient à la cueillette dans les bois !

Aujourd’hui, l’industrie fabrique et conditionne tous types d’aliments, solides ou liquides. Les techniques d’emballage, de conservation et de distribution se sont tellement développées que 200 ans après Appert, les produits alimentaires ne cessent pas de se rapprocher des êtres humains. Dans leurs sacs, sur leurs tables, dans les trains, les autos et les avions où la nourriture est servie pour calmer les angoisses et assoupir les voyageurs, au travail ou en vacances, le snacking est partout là où les êtres humains ont faim. Dans la culture américaine, on vante cette praticité et le choix. Dans la culture européenne, passées les périodes de l’enfance et de l’adolescence, certains se demandent encore si c’est bien là, la place de la nourriture.

Ce que « snack » emprunte à l’anglais, c’est l’idée de « petit restaurant ». Dans les sociétés anglo-saxonnes, les codes d’autorité et de contrôle social sont ceux d’une culture marquée par l’individualisme. Dans les sociétés latines, le vivre-ensemble procède de figures d’autorité familiale et plutôt collective. Au Nord, on aime croire qu’on désire seul. Au Sud, on n’est jamais si heureux que désigné et désiré par des codes sociaux qui y ajoutent élégance et culture. Ainsi, le chamboulement de nos rythmes sociaux, l’accélération du temps bouscule nos manières de manger. La boulangerie, la supérette, la gare et l’aéroport et, demain, le restaurant sont à l’affût de nos besoins parce que la technique peut y répondre. Même si, dans la culture latine, faire des écarts aux repas est stigmatisé par une référence aux animaux qui grignotent. La preuve ? Par les boulangeries !

Quoiqu’en disent les Français, les boulangeries ont été sauvées par une vraie révolution. Libéré par les machines qui travaillent une partie de la nuit pour lui, le mitron est sorti… du pétrin. Convaincu d’ouvrir son établissement à tout ce qui peut apporter du service à des clients pressés qui révèlent au boulanger qu’il peut être créatif. N’a-t-on pas vu, au dernier salon Europain, des pains japonais shokupan, des matlouh du Maghreb, des bagels new-yorkais, des choriatiko grecs et des borodinsky russes recréés par des boulangers français ? Et comme les Européens s’aiment à table, le boulanger installe dans sa boutique quelques tables hautes, pour les boissons chaudes ou fraîches.

Lorsque la grande distribution réalise que les centres villes en Europe n’ont pas les mêmes fonctions qu’aux Etats-Unis où on a étalé les villes, le contact avec les mangeurs est renoué. Dans la tradition du petit commerce ouvert 7/7 ou presque, elle offre des vitrines de barquettes, de sandwichs, de boissons voisinant avec des rôtissoires et des machines à café. On se croirait dans un de ces merveilleux convenience stores japonais. Un modèle que les régions méditerranéennes et asiatiques pratiquent depuis des siècles avec la boutique qui se confondait avec la maison du commerçant. Qui aurait imaginé il y a dix ans le retour de la grande distribution dans les centres ?  

Derniers entrés dans le mouvement, les restaurants. Ces temples français nés à la Révolution, portés par la gastronomie bourgeoise au XIXe siècle s’adaptent au numérique qui poursuit son œuvre de sape d’une économie jugée trop figée. Le mouvement était déjà amorcé par le snacking : dans les villes, dès qu’il fait beau, les restaurants sont en concurrence avec les pelouses, bancs, escaliers, quais, recoins où mangent des jeunes, des cadres pressés, des sportifs affamés, des touristes et des randonneurs, des petits appétits apaisés par un encas. Mais le mouvement va franchir la barrière symbolique des terrasses. La dématérialisation de la commande ouvre une nouvelle porte au service, celle du repas à domicile. Avant un jour plus lointain, le repas livré au square, au parc citadin, à la plage, comme il l’est déjà au bureau.

Le snacking permettra de maintenir le repas, patrimoine auquel tiennent les pays latins, en élargissant l’offre à table. Il a acquis une grande avance sur la maniabilité des aliments et des propositions illimitées grâce à des emballages performants. Il lui reste d’aller plus loin dans sa mue. Et d’aider à la redéfinition de ce que manger veut dire dans une société numérique.

 

Gilles Fumey est professeur de géographie de l’alimentation à la Sorbonne et chercheur au CNRS où il dirige le pôle Alimentation, risques et santé de l’ISCC.

 

 

 


 

 

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