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Le fast casual ? Une révolution

19 Avril 2016 - 7916 vue(s)

Comment penser ce qui se passe dans la restauration aujourd’hui ? Imaginons que nous vivons une rupture aussi forte que sous la Révolution. Rappelons-nous, lorsque la France invente les restaurants, les chefs qui oeuvraient auprès des nobles partis en exil ou guillotinés montent des restaurants autour du Palais Royal à Paris. Aujourd’hui, une autre révolution est souffle des dizaines de professions installées dans le cocon de l’habitude : dans les transports, le tourisme, l’information, l’édition et les médias, la médecine, le conseil, le commerce, la banque, etc. Toutes moulinées à l’« uberisation ».

La restauration n’est pas épargnée. Ses lieux de culte que sont les grandes salles, les chefs, les clients qui viennent célébrer le plaisir de se nourrir à l’autel, pardon, sur une table  nappée de blanc et éclairée avec de somptueux bougeoirs, offrant de boire le vin dans des calices en verres, tout ce qui est né de ces pratiques d’Ancien régime est en train de s’effilocher.  Certes, aujourd’hui, les restaurants sont toujours là. Ils ont même essaimé dans le monde entier. Mais voit-on que leurs murs sont en train de tomber ? Le restaurant serait devenu un lieu… d’où partent des plats livrés. Accepter de faire livrer un plat, c’est changer l’ADN du plat. C’est s’impliquer dans une mutation dont personne ne sait où elle nous mènera.

Thierry Poupard, consultant en marketing pour la restauration évoque le « mélange des circuits », le floutage plus grand des périmètres traditionnels, présenté parfois comme une conséquence des crises économiques à répétition. Il y a bien plus. Les prestations de moyen de gamme pour les classes moyennes supérieures moins enclines à la distinction que les très riches changent de nature. Ces clients sont très informés sur l’alimentation, la santé, le goût, les menus, les lieux des repas et les avis des clients. Et pour eux qui sont à l’aise sur le web, le fast casual est la solution.

Le fast casual est une attitude décomplexée par rapport à des règles sociales parfois rigides qui permet de sortir par le haut de ces contraintes. Le vendredi est ainsi appelé aux Etats-Unis depuis les années 1990 le Casual Day (ou Friday Wear) marquant une forme de décontraction dans la vie au travail, y compris quand on mange. Les codes du fast food le font se hisser dans le haut-de-gamme grâce à un profond travail de marketing. Panera Bread, El Pollo Loco, Jason’s deli, Panda Express… et bien d’autres améliorent la relation qui devient centrale dans la restauration. Ce qui compte, c’est savoir où et quand je mange. Autant que ce que je vais manger, puisque je sais que j’ai accès à tous les menus possibles. Le décor et le service feront la différence…

Les Américains seraient fiers du fast casual. Ils auraient trouvé la martingale pour sortir par le haut de cette image de fast food collée à leurs entreprises mondialisées de la restauration. Ils sont persuadés que l’ère digitale leur donne les moyens de coller à la demande de services des mangeurs d’ici.  Mais en étudiant les clientèles du fast casual, on peut se demander si on ne se trompe pas de clientèle. Ce ne sont pas les fast foodeurs qui montent en gamme, ce sont les habitués des restaurants traditionnels qui font des infidélités, qui jugent  le service à table trop long et trop coûteux. Qui veulent manger les autres jours de la semaine comme le jour du Casual Day ?

Pour le snacking, c’est encore une occasion de parler de la qualité du service. Les meilleurs plats avec les meilleurs produits mal servis à des clients exigeants ne font pas une bonne affaire. Le fast casual rétablit cette priorité en faisant du client un complice du restaurateur : on prépare son repas (plat, sandwich) devant le client qui concocte sa recette. Comme dans les restaurants familiaux asiatiques, le dernier geste avant le repas est fait par l’hôte qui vous reçoit.

L’ère numérique apporte aussi l’information nutritionnelle, la garantie de la fraîcheur, les services du net comme la commande à distance, le wifi à table. Le décor est un décor d’ambiance, parfois très sophistiqué, très souvent ethnicisé, le Japon, l’Italie, New York, l’Allemagne, l’Espagne sont des référents culturels. Côté plats, la France avec ses salades, soupes, charcuteries, fromages et vins de terroir a une carte à jouer. Mais gare aux pâtisseries industrielles qui peuvent ruiner un repas…

Le fast casual est une chance unique pour les Français de donner à connaître leur snacking. Ils peuvent créer des marques fleurant le Sud-Ouest, le Mont Saint-Michel, Lyon et Strasbourg, Marseille, la Bretagne et la Provence qui pourraient figurer au patrimoine mondial ! Ne soyons pas des Louis XVI ne voyant pas venir la révolution. Elle est là, à nos portes.

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Gilles Fumey est professeur des universités, chercheur au CNRS, dirige le Food20 Lab. Il vient de publier Cuisine et gastronomie chinoise dans Esthétiques du quotidien en Chine (IFM/Regard).

 

 

Tags : fast casual
Commentaires (2)
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Par SR le 21/04/2016 à 19:04
Une tendance ne fait pas la Révolution, elle alimente effectivement l’Evolution. Le fast casual en France et aussi dans les pays anglo-saxons, n'est sans doute pas qu'une forme de consommation rapide libérée des codes de la gastronomie. Lorsque le « casual » est poussé à son extrême, c’est aussi souvent une nouvelle forme de « distinction » dans la façon de s'alimenter rapidement. Bien souvent, "le chef" est la figure tutélaire de ce « nouveau culte » qui fait perdre à beaucoup de commentateurs et de consommateurs leur sens critique. La prestation n’est pas toujours à la hauteur de la promesse et de l’addition. Certes on nous raconte une belle histoire (le « story telling » fait partie de l’expérience), on nous montre aussi la préparation de ce que l’on mange (le « show cooking » devient gage de qualité), on met en avant des recettes Signature (c’est l’indispensable « patte » du chef), on sophistique le décor tout en lui donnant une allure décontractée mais dans de nombreux cas, l’expérience manque de générosité tant dans le produit que dans l’accueil. L’offre est souvent très « égocentrée », le client ne ressent pas toujours beaucoup de complicité et de proximité, plutôt de la mise en scène et de la distance. C’est dommage pour lui et aussi pour ceux qui portent ces concepts, qui une fois la phase de découverte passée et le phénomène de « distinction » épuisé, auront bien du mal à fidéliser. Certains chefs lancés dans cette tendance en ont déjà fait les frais. Peut-être que le « fast casual » sera une chance pour les Français de faire connaître leur snacking et leur patrimoine culinaire, mais pour cela il faudra se dépouiller de l’artifice. Il faudra également écouter son client et lui parler plutôt que parler de soi et de son « univers », bref être plus humble et centré sur les fondamentaux, le contenu de l’assiette et l’attention portée à son client.
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Par gilles le 21/04/2016 à 21:41
Vous avez raison, mais il me semble que le restaurant à la française est mort que les Américains saisissent les opportunités de faire évoluer le concept. Quant au snacking à la française, comme vous l'écrivez, c'est tout à fait possible comme le montre le cas des Japonais qui ont pu exporter les sushis.
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