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Anaphore du burger

25 Avril 2017 - 3071 vue(s)

En ces temps de campagne présidentielle, l’anaphore est une figure de rhétorique qui pourrait montrer les ambitions gastronomiques d’un camembert bien nommé. Mais le burger se rebiffe.

Moi burger, j’aime rappeler mes origines allemandes. Mon nom en témoigne comme celui d’une forteresse (burg = château), puis, par extension, de tout espace protégé par moi comme, par exemple, une ville. J’ai quitté les quais de Hambourg dans un état pitoyable, au milieu du XIXe siècle, à l’époque où les Allemands mouraient de faim et migraient au Brésil ou dans le Dakota.

Moi burger, je sais être reconnaissant aux Américains de m’avoir donné une vraie nature. Petit, maigrelet, coincé entre deux tranches de pain bien peu épaisses, me voici parti en grande forme, lesté d’une tranche de tomate, d’une feuille de salade, d’un carré de cheddar, légèrement engraissé d’une mayonnaise dont le côté un peu écœurant est corrigé par un cornichon aigre-doux juste bien placé. Ces couleurs kaléidoscopiques me plaisent bien.

Moi burger, je suis doublement reconnaissant aux Américains de m’avoir adopté. Grâce à eux, j’ai pris l’avion pour toutes les destinations carnées du monde, souvent lesté d’un cornet de frites franco-belges car, entre Européens, on s’apprécie, on se complète, on s’aime.

Moi burger, je suis reconnaissant aux Japonais qui ne connaissaient pas la viande, aux Chinois qui ne connaissaient que le porc et la volaille, aux Indiens qui apprécient peu le bœuf pour cause de vaches sacrées de m’avoir adopté dans le régime alimentaire des gens pressés, des jeunes amateurs de sensations, des hommes plutôt que des femmes, ce qui n’est pas très sympathique, mais peut-on forcer une femme qui préfère une salade verte aux herbes à aimer un steak haché ?

Moi burger, je suis très reconnaissant aux Français de me faire tant la fête. Il n’était pas gagné dans ce pays qui porte les sauces au pinacle de la gastronomie, qui appelle « bourguignon » un bœuf cuit dans du vin, d’accepter qu’une viande un peu sèche puisse offrir tant de protéines aux amateurs. Il est vrai que le bourguignon a un peu disparu des repas, que les rythmes sociaux imposent qu’on mange sur le pouce et que, mon Dieu, les jeunes générations qui n’ont plus que 28 dents (32 dents moins 4 dents de sagesse) n’aient plus la force de mâcher du muscle de charolais ayant gambadé dans le Morvan.

Mais moi burger, j’en veux aux Anglais de m’avoir quasiment boudé dans leur pays, comme si je ne devais jamais franchir le Channel, au prétexte fallacieux qu’ils auraient inventé la viande rouge et qu’ils adorent le fish and ships. Mal leur en prend : ils battent le record européen d’obésité ! Et les voilà en train de détricoter leur accord avec l’Union européenne. De Gaulle avait raison, il ne faut jamais se fier aux Anglais.

Moi burger, j’en veux aussi aux Californiens. Sous prétexte de réinventer la roue, voici des jeunots issus des hippies des seventies, voulant me transformer en OCPI (objet comestible peu identifiable), du nom de « vegan », après avoir essayé le bio. Quand on est burger, on est viandard, on assume et on se bat pour garder son identité.

Moi burger, j’en veux surtout aux industriels qui m’emballent dans du polystyrène et croient qu’en donnant une référence géographique, ils feront oublier les antibiotiques honnis des nourritures bovines. Certes, ils sont sur la bonne voie et, après tout, vu la burger mania qui saisit la France, on peut imaginer que les choses s’amélioreront. Mais je refuse d’être issu de viande non écologique, je ne veux pas venir d’Amazonie, ni de fermes aux mille bœufs qui ne verraient ni labourages ni pâturages qui sont les deux mamelles de la France depuis Sully.

Moi burger, j’en veux encore aux chefs et aux marchands d’un temple soudain très doré, comme chez les bouddhistes. Car ces princes de la cuisine avec leur tuyau de poêle blanc sur la tête ont pensé m’acheter pour mieux me faire disparaître. Voici que je serais paré de toutes les qualités, enrubanné, piqué de fleurs synthétiques, de petits drapeaux pour raconter une histoire nationale voire locale. Combien de fois devrai-je répéter que je suis mon-di-al ?

Mais finalement, moi burger président des NCM (nourritures carnées du monde), qui fascine aussi bien les chefs que les plus pauvres des mangeurs, les artistes que les philosophes, les scientifiques que les comptables, je propose qu’on vote pour que je sois inscrit sur la liste du Patrimoine de l’humanité.

 

Gilles Fumey est géographe (Sorbonne-Universités) et dirige le pôle Alimentation, risques et santé de l’ISCC-CNRS (Food20 Lab). Il vient de publier avec son équipe « L’alimentation demain. Cultures et médiations » (CNRS-Editions) et « Tsukiji, le marché aux poissons de Tokyo » (Akinomé).

A retrouver dans France Snacking n°43, consultatble en ligne dès aujourd'hui et dans votre boîte aux lettres dans quelques jours

Gilles Fumey Géographe de l’alimentation
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