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Gilles Fumey : le -Green- n’est pas un gadget

28 Mai 2018 - 2656 vue(s)

On y est ! Le Sirha est green. Une révolution qu’il faut saluer à sa mesure et son audace. La prise de conscience dans l’industrie alimentaire qu’il faut prendre un virage. Les scientifiques, en France comme partout dans le monde, sont effrayés du fossé qu’il y a entre les résultats de leurs recherches et la marche d’un monde qui irait droit dans le mur. On les traite de pessimistes, de bileux, de rabat-joie. Pourtant, les guerres mondiales avaient été annoncées. Le 11-Septembre imaginé. Et ses conséquences catastrophiques au Moyen-Orient et, par ricochets migratoires, la radicalisation de nos opinions publiques et les graves dangers que nous courons. Dans l’alimentation, combien de fois avons-nous tiré la sonnette d’alarme ?

Le pire n’est jamais sûr mais il a mis un pied dans la porte. Car l’Anthropocène qui nous vaut ouragans, inondations, vagues de chaleur, sécheresses, incendies, tous appelés à s’amplifier, nous pose la question de savoir pourquoi et comment nous en sommes venus à détruire la nature. Où puisons-nous « cette violence contre notre environnement et contre nous-mêmes » se demande le philosophe Dominique Bourg.

Nos capacités humaines ont été prolongées par des machines aujourd’hui très puissantes. Tellement puissantes que notre idéal de consommation débouche sur « une consumation de l’univers, jusqu’à la folie ». Comment avons-nous pu nier à ce point nos origines et nos besoins naturels que nous rappellent le soleil printanier, la mer estivale, la forêt automnale, la montagne hivernale ? Et nous penserions que manger n’a rien à voir avec la nature que nous pouvons maîtriser jusqu’à la malmener avec une rage destructrice. Comment penser le futur si nos réserves d’eau sont menacées, si notre biodiversité a diminué de moitié, si la température mondiale s’accroît de 2 °C.

Sur ce sombre horizon, des signaux verts comme les droits de la nature, des animaux qu’on refuse de chosifier, de faire souffrir, la promotion du végétarisme et du véganisme, chez les jeunes. L’émergence d’une sensibilité fraternelle avec le vivant. Et l’Etat qui reconnaît qu’un terrain prévu pour un aéroport est aussi une excellente terre agricole (songeons qu’il faut 100 000 ans pour faire un sol qu’on peut détruire en quelques instants au bulldozer). Et l’Europe qui bannit certains néonicotinoïdes suspectés de tuer les pollinisateurs indispensables à notre survie alimentaire.

Pour Dominique Bourg, « il faut tourner le dos à l’idée selon laquelle l’avancée des techniques débouchera sur une amélioration de la condition humaine. Il faut procéder à une vraie critique de la croissance économique car elle n’est pas extensible et nous conduit à l’impasse ». Ce qui veut dire : recycler, biosourcer, mutualiser l’usage des objets, promouvoir l’économie circulaire. Et même une sorte de permaculture humaine où chacun, à sa place, fait grandir le collectif.

Le Sirha Green est une superbe opportunité pour les entreprises et les administrations de se rendre compte que leur futur est dans cette direction. N’en faisons pas un gadget. Prenons au sérieux l’effroyable gaspillage de nos ressources, la pauvreté qu’il engendre et, par ricochets, l’exacerbation des nationalismes, des égoïsmes qui peuvent mener à la guerre.

Notre intelligence collective vaut bien toutes les manifestations que nous lui consacrerons pour une alimentation durable. Ne nous voilons pas la face. Écoutons les nouvelles générations qui imposent leur propre marque sur le monde qui vient : écologie, respect du vivant, environnement, qui ne sont pas un prêt-à-penser politique, mais bien un horizon que nous devons avoir à l’esprit.

Au Moyen-Age, le vert/green était symbole du mal, aujourd’hui il évoque la nature et la liberté. Comme les pelouses des terrains de sport, les tables de ping-pong, les tapis verts des conseils d’administration où se décide la marche de nos entreprises, le vert incarne la chance et la fortune bien avant l’invention du dollar. On lui a donné le feu vert et confié une mission de taille : sauver la planète ! Il a fallu voir le vert comme une couleur médicale (le logo des pharmacies), apaisante de la nature, de l’hygiène et du bio. Il n’est plus seulement une couleur politique (les Verts), mais notre planche de salut pour faire converger le présent et le futur vers un monde plus désirable.

Gilles Fumey est géographe (Sorbonne Université et ISCC-CNRS . Il publie un "Atlas de l'alimentation" (avril 2018) chez CHR-Editions.

Retrouvez le sommaire du tout dernier numéro de France Snacking n° 49 qui vient de paraître en format numérique.

Tags : Gilles Fumey
Gilles Fumey Géographe de l’alimentation
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