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La restauration cherche le Graal

9 Octobre 2019 - 2317 vue(s)
Dans sa chronique pour France Snacking parue dans le dernier numéro FS 55, le géographe de l'alimentation Gilles Fumey nous explique comment et pourquoi la restauration cherche le Graal.

On entend encore le bruit des cigales à l’apéro sous les pins. Le terroir est dans le verre et le bio est l’horizon radieux de ceux qui voient la vie en vert. Pendant ce temps, les affaires continuent dans les cuisines et les bureaux, l’industrie de la restauration vit sur une grande pente glissante où des groupes déjà gros veulent grossir encore. Parce que 200 000 établissements en restauration commerciale, c’est intenable quand on imagine le train de modernisation imposé par une jeunesse du nouveau monde startupien poussée au dégagisme.

Prenons la viande combattue par les végans, victimes d’un nouvel intégrisme pour Frédéric Denhez. Les vitrines brisées et les vidéos chocs ne font pas peur aux enseignes étatsuniennes. Carl’s Jr.Brescia Inv. va planter le drapeau Wingstop pour vendre du poulet en Provence. Des dizaines d’établissements de snacking sont programmés dans les zones aéroportuaires et touristiques. Le français Groupe Bertrand est insatiable, les succès de Burger King le pousse à grandir avec Léon de Bruxelles (plus de 80 restaurants) et Groupe Flo (plus de 150). Quant à La Boucherie, elle fait le coucou dans des réseaux de restaurants de viande.

Pendant que ça consolide comme disent les boursiers, l’emballage est sommé de remballer ses plastiques pour cause de nocivité et de pollution océanique et lacustre. Retour à l’Antiquité avec le verre qui a fait la fortune de l’Europe. D’ailleurs, les Français n’ont-ils pas copié les Vénitiens à la Renaissance pour y faire grimper sur les tables tout ce qui pouvait attraper la lumière ? Jusqu’aux bouteilles de vin qui remplacèrent les tonneaux et dont les étiquettes firent parler les vignerons et les marchands. Le pétrole ringardisa tout le bric-à-brac lourd et sonore des emballages solides. Mais voilà, le plastique est si discret qu’on le retrouve dans les lacs, les océans et jusque dans le ventre des poissons et nos estomacs. Du coup, le verre reprend du service, et les industriels sont contents de savoir qu’ils peuvent l’alléger. « C’est un matériau 100 % recyclable et parfaitement neutre, et produit localement », se réjouit Jacques Bordat, président de la Fédération des industries du verre.

Le pays où un roi aimait se mesurer au soleil dans une galerie des glaces a gardé de solides industries verrières qui viennent de se réunir à Lyon. Des dizaines d’usines tournent à plein régime pour recycler près des quatre-cinquièmes du verre utilisé. Le verre a apporté aux industries qui l’ont conservé une image de marque enviée qui va séduire la restauration rapide et le snacking consigné. Encore un effort du côté de l’énergie nécessaire pour les fours à 1600 degrés nuit et jour, et voilà un pari écologique gagné d’avance.

Autre virage à prendre, autrement, plus compliqué : la nourriture de synthèse. Voici du « thon » végétal chez Shiok Meats, à base de légumineuses et d’algues, ou d’autres « poissons » chez Wild Type, garantis sans ces redoutables polluants océaniques. Beyond Meat qui enrichit les boursicoteurs comme au temps du choc pétrolier est chouchoutée par Leonardo DiCaprio et Bill Gates. Que font les stars du cinéma et de l’informatique dans l’alimentaire ? Pour Frédéric Denhez, ils seraient les nouveaux puritains, comme le furent les promoteurs des sodas et des céréales soufflées. Pourquoi pas ? On pourrait discuter à l’infini de la marche du monde. Pencher pour le végétal plutôt que l’animal, pour le vin plutôt que les alcools forts, pour le naturel selon Michel Serres plutôt que l’artifice, pour le ciel pur des astrophysiciens plutôt que les écrans, pour la paix universelle de Kant plutôt que la guerre, rien de tout cela n’épuise nos doutes dans nos choix alimentaires.

Mais savoir que des grands esprits comme Platon, Léonard de Vinci, Einstein ne mangeaient pas de viande alors que saint Augustin, Mozart et Marie Curie l’appréciaient, voilà peut-être une boussole. Y a-t-il trop de solutions alimentaires à nos questions ? Peut-être. Mais si le Japon, l’Inde, la Provence ou Istanbul nous suggèrent des idées pour refaire le monde de nos envies de manger, songeons que c’est une expérience qu’aucune autre génération que la nôtre n’a vécue dans l’histoire de l’humanité. Voilà le motif de se réjouir de cette vitalité du secteur à trouver pour chacun d’entre nous ce qu’on appelait aux temps gothiques : le Graal.

Gilles Fumey, géographe (Sorbonne Université, CNRS). Dernière publication : Atlas de l’alimentation (CNRS)

A retrouver dans le dernier France Snacking n° 55 qui vient de paraître

 

Tags : Gilles Fumey
Gilles Fumey Géographe de l’alimentation
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