Gilles Fumey géographe de l'alimentation à propos du covid 19 pour snacking
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Chronique de Gilles Fumey, Quand les pangolins font la leçon

16 Avril 2020 - 2356 vue(s)
Comme dans chaque numéro de France Snacking, Gilles Fumey explore, décrypte et croque un sujet d'actualité. Pour ce nouveau numéro de France Snacking qui vous est offert en consultation gratuite ce mois-ci, le géographe évoque un sujet ô combien d'actualité, le Covid-19.

Reprenons nos esprits. Une tempête mondiale a été déclenchée sur un banal marché aux poissons à Wuhan (Chine). S’y sont vendus, en sous-mains, des animaux sauvages, notamment des pangolins. Un million de ces bêtes à écailles aux vertus (nullement) aphrodisiaques passent, en clandestinité, de l’Afrique à l’Asie. Infectés par des chiroptères qui ont perdu leur habitat à cause de l’urbanisation, trouvé refuge dans des fermes et disséminé de la salive (et des microbes) sur des feuilles, les pangolins arboricoles ont été le maillon dans ce fatal saut d’espèces.

Pourquoi ce rappel ? Parce que Paolo Giordano, romancier italien, le répète : « L’infection réside dans l’écologie ». En effet, Gaïa, la Terre souffre beaucoup de stress liés au changement climatique. Sans qu’on songe à relier les inondations et sécheresses qui se succèdent une même année dans cette province du monde, la Californie n’en finit pas de révolutionner nos modes de vie…. Et pourtant, pour les scientifiques, voici l’alerte, nous savons désormais qu’il faut faire évoluer nos modèles économiques et sociaux.

Dans le secteur alimentaire, les cris d’orfraie (« la restauration va s’écrouler ! ») ont le mérite de préparer les esprits à des bouleversements inédits. Après tout, les restaurants français sont nés parce qu’il y a eu la Révolution française. Le snacking à l’américaine est largement le fait des industries agroalimentaires, elles-mêmes développées par l’industrie chimique et les guerres mondiales.

La pandémie du Covid-19 va rebattre certaines cartes, compte tenu du fait qu’il a fallu fermer en moins de quatre heures, le 14 mars 2020, environ 160 000 bars, restaurants et hôtels-restaurants en France, selon l’UMIH. Comment vont renaître des cendres ceux qui ont été conduits à la faillite ? Et combien d’entre eux ?

La restauration rapide a baissé le rideau, pour la plupart des enseignes, deux jours plus tard. Au motif du respect de la santé des salariés et des clients. Position prise par d’autres établissements qui gardaient leur drive. Les sociétés qui livrent des repas à domicile ont pris la tangente, notamment parce qu’une partie des clients n’étaient plus au travail ou s’étaient mis à la cuisine. Et la vente à emporter ? Elle a résisté, mais pas longtemps. Reste la grande distribution aux avant-postes.

Toutes tentent d’imaginer un scénario de reprise sur des marchés qui seront difficiles à reconstituer. Que seront devenues les chaînes d’approvisionnement ? Les grossistes spécialisés ? Les producteurs, dont une part non négligeable ont été très gênés de perdre des débouchés rémunérateurs de début de saison ?

La pire des tortures est l’inconnu. Notre civilisation consumériste est née sur une maîtrise du temps que l’horloge a fabriquée depuis le XVIIe siècle.

Pour conjurer la peur inspirée par le futur, elle a bâti des plans de production en fonction des marchés réels ou potentiels. Le marketing a fait penser que les entreprises pourraient maîtriser la consommation par des études sectorielles fournies par la sociologie et la psychologie. Or, les maîtres du monde sont d’abord des consommateurs. Ce sont eux qui retourneront ou non dans les restaurants. Qui préfèreront des « solutions » rapides et prêtes-à-manger. Ils auront des standards de qualité qui se partageront entre ceux qui abandonneront les produits de qualité moyenne pour des produits moins chers et ceux qui chercheront le haut de gamme pour le plaisir, les cadeaux, une certaine image de leur santé.

Le snacking peut profiter de cette violente table rase de la pandémie. Après les comportements irrationnels liés à la peur, la raison reprend ses droits.

Les différentes formes de confinement vont engendrer de nouvelles pratiques alimentaires. Les réflexes pavloviens poussant à des stockages inconsidérés pourront revenir, car la peur sera là, au moins pour une génération. Les crises fabriquent des souvenirs : ceux qui avaient connu les pénuries de la Seconde Guerre mondiale ont voulu, « quoi qu’il en coûte », l’abondance alimentaire.

La pandémie du Covid-19 remet l’alimentation au centre des systèmes de survie. Que puis-je faire si je suis menacé dans ma capacité à me nourrir ? C’est la question d’un monde où « l’infection réside dans l’écologie ». Les mangeurs que nous sommes vont sans doute agréger inconsciemment ces deux données. Parce que la Terre le rappelle violemment avec les pangolins.

A lire de France Snacking n°57 qui est offert, ce mois-ci en version digitale et dans quelques jours dans les boîtes aux lettres des abonnées. 

Gilles Fumey est professeur de géographie culturelle, chercheur à l’unité mixte de recherche du CNRS-Sorbonne « Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe » et également auteur de nombreux ouvrages sur l'alimentation. Retrouvez ses articles pour Snacking.fr.

Gilles Fumey Géographe de l’alimentation
Commentaires (1)
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Par francoise Sule le 23/04/2020 à 21:39
une réflexion qui touche juste et parle clairement de nos responsabilités en tant que citoyens du monde
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