Rémi de Balmann
Communauté

Les enseignes de restauration rapide à l'heure du Covid-19 : Vivre ou laisser mourir?

24 Avril 2020 - 3549 vue(s)
Comme le souligne Rémi de Balmann, avocat associé-gérant D, M & D Avocat, et avocat conseil des franchiseurs, le système de la franchise offre la souplesse et la réactivité nécessaires au rebond. Mais si la fermeture des points de vente conduit les chaînes à « se réinventer », encore faut-il que le plus grand nombre de partenaires survive à la pandémie. Et que le système lui-même demeure dans ses fondamentaux. D’où ces réflexions qui dessinent la franchise de demain.

 « A long terme, nous serons tous morts » disait Keynes. Et s’il est réconfortant de penser que la restauration rapide se réinvente à l’occasion de la crise du coronavirus, encore faudrait-il que les réseaux y survivent ! Devraient-ils pour cela perdre leur âme ?

Collectif et pas collectivisme ! La franchise ne doit pas être sapée dans ses fondamentaux au prétexte d’être sauvée

C’est sans perdre de vue les principes d’indépendance franchiseurs/franchisés et la juste rétribution de l’exploitation du savoir-faire et de l’assistance du franchiseur que les réseaux doivent « passer la vague » du tsunami pandémique.

S’agissant notamment du savoir-faire, les franchisés doivent plus que jamais avoir à l’esprit que les évolutions qu’impose la situation n’autorisent aucunement des expérimentations « à la sauvette » ou « dans son coin ». La survie d’un point de vente franchisé ne peut justifier la livraison de produits non agréés par le franchiseur. Imaginons que le franchisé d’une enseigne de pizzas ou de burgers se mette à vouloir écouler n’importe quel autre produit, sous prétexte de « faire du chiffre » ? Ce serait porter atteinte à l’image de marque de l’enseigne et les franchiseurs se doivent de continuer de veiller au respect du concept. Il ne saurait pas plus être question d’admettre demain que le savoir-faire deviendrait affaire conjointe du franchiseur et des franchisés et qu’au prétexte d’échanger sur les bonnes idées, le concept devienne copropriété du réseau ! Il est plus que jamais utile de rappeler aux franchisés des clauses du type : « Toutes les améliorations apportées au système par le franchisé seront la propriété absolue du franchiseur qui pourra les incorporer dans le système. Le franchisé ne pourra aucunement utiliser ces améliorations si elles n'ont pas été incorporées dans le système, ni, en tout état de cause, les déposer, enregistrer ou breveter ».

S’agissant par ailleurs des rapports franchiseurs-franchisés, des avocats de franchisés se sont empressés de suggérer une « réécriture des contrats » qui – selon eux – « parait inévitable pour intégrer ce que la crise aura imposé et révélé » (S. Meresse et O. Renaud, in Franchise Magazine, 3 avr. 2020, covid-19 et réseaux de franchise). Et d’évoquer une nébuleuse « instance représentative des franchisés » avant sans nul doute de « ressortir » l’idée d’une « instance de dialogue » qu’ils appelaient en leur temps de leurs vœux et contre laquelle la FFF s’est tant battue ! Et de demander « une révision des conditions économiques pour tenir compte de l’impact de la crise » ! Comme si la crise n’allait pas ébranler autant les franchiseurs que les franchisés. Et comme si le salut des franchisés pouvait venir d’une remise en cause du business model des têtes de réseaux.

Plus que jamais nécessaire, la solidarité n’exige nullement de modifier l’équilibre contractuel et économique de la franchise ! Et de la même façon que les scientifiques s’opposent pour savoir si tel ou tel remède ne serait pas pire que le mal, gardons-nous de tuer la franchise … en changeant son ADN…

Ne rouvrons pas non plus une guerre de Cent Ans !

En temps de paix et comme plaideur, je suis le premier à appliquer le principe selon lequel la meilleure défense, c’est l’attaque. Mais aujourd’hui la meilleure défense, c’est d’aborder les problèmes sous un angle collectif.

Premier exemple : comment faire participer les bailleurs à l’effort collectif ?

L’annulation des loyers serait évidemment bienvenue mais cette question sera loin de tout régler. Emprunts bancaires, fournisseurs, salaires, taxes, autant de charges qui pèsent et qu’il faudra bien financer. Le « bras de fer » contre les bailleurs n’autorise d’ailleurs pas à jeter les principes juridiques « avec l’eau du bain » ! Cette bataille se gagnera par la voie du lobbying et non devant les tribunaux. Et rien ne sert de dresser les uns contre les autres, sous couvert de la force majeure dont l’honnêteté intellectuelle oblige à rappeler qu’elle ne peut pas – pour ne pas payer – être utilement invoquée par le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée (Cass. com, 167 sept. 2004, n° 13-20306). Si le problème était d’ailleurs aussi simple et si la solution juridique s’imposait, une médiatrice ne viendrait pas d’être nommée en la personne de Madame Jeanne-Marie Prost, présidente de l’Observatoire des délais de paiements et ancienne médiatrice nationale du crédit, pour tenter de parvenir à une solution négociée…

L’arme de persuasion massive sera donc bien la solidarité. Ainsi et pour prendre cet exemple notable, le dirigeant de la Compagnie de Phalsbourg a décidé d’exonérer ses locataires du paiement des loyers à compter du 15 mars et jusqu’à la sortie du confinement, en étendant cette mesure aux restaurants « jusqu’à leur réouverture ». Autre exemple qui fera – souhaitons-le – tache d’huile : celui de la Ville de Versailles qui a annoncé qu’elle annulait les loyers des commerces dont elle est propriétaire ainsi que les taxes perçues sur les terrasses. Un manque à gagner de 500 000 euros pour la Ville et autant de gagné pour les commerces.

Autre sujet tout aussi brûlant : celui des assurances !

S’agissant de la question des assurances « pertes d’exploitation », il est légitime là aussi que les assureurs soient appelés à la rescousse. Mais c’est plus par la voie de la concertation que de la confrontation que sortira une solution pour les entreprises. Tout est là aussi d’affaire d’équilibre et – comme vient de le souligner l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) dans son avis du 21 avril – attention à préserver la solidité financière du secteur, étant observé que les pertes d’exploitation – si elles étaient intégralement couvertes – absorberaient les fonds propres des assureurs dommages (50 milliards d’euros…). En l’état actuel de notre droit, l’assurance « pertes d’exploitation » – assurance de dommages – suppose que les pertes financières soient associées à un dommage direct. Et les assureurs ont le plus souvent exclu de leur garantie « pertes d’exploitation » le risque pandémique, difficilement mutualisable puisque systémique et touchant au même moment toute la population. AXA a ainsi préféré se laisser assigner en justice par un assuré alors même que la garantie perte d’exploitation prévoyait expressément une extension « en cas de fermeture administrative imposée par les services de police ou d’hygiène ou de sécurité »

Mais, inversement, il est réconfortant de relever que – sans y être juridiquement tenues – les assurances du Crédit Mutuel et CIC Assurances ont annoncé ce mercredi 22 avril l’octroi à leurs assurés ayant souscrit une assurance multirisque professionnelle avec perte d’exploitation d’une « prime de relance ». Cette prime – d’un montant moyen de 7 000 euros – mobilisera près de 200 millions d’euros et est « fondée sur une solidarité qui privilégie la mutualisation des risques aux mesures consuméristes ». Dans la même veine, on a appris qu’une filiale de Natixis et de Covéa accorderait pour 100 millions d’euros d’indemnités à ses assurés restaurateurs, la MAAF débloquant de son côté près de 200 millions d’euros pour le secteur de l’hôtellerie-restaurant.

La solidarité financière au secours des réseaux

Songeons par ailleurs à ce que pourrait apporter aujourd’hui aux réseaux le financement participatif (crowdfunding). Des franchisés en mal de liquidités pourrait essayer de recourir à ce système qui a certes été conçu pour faire naître les projets mais qui peut se prolonger par des dons et prêts destinés à recapitaliser une entreprise viable mais confrontée à des difficultés de trésorerie.

Et en se plaçant du côté des franchiseurs – qui pour beaucoup d’entre eux ont aussi besoin de soutien financier – n’est-il pas légitime qu’ils puissent attendre des fonds d’investissement un effort exceptionnel ! JP Morgan vient d’attribuer pas moins de 500 000 euros à impact Partners dont la conviction est que « performance financière et sociale doivent se conjuguer ». Exemple à suivre là encore, les réseaux ayant peut-être plus à perdre qu’à gagner à « miser » sur l’assainissement qu’entraînerait le covid-19 en anéantissant les franchisés les moins rentables ! Singulier darwinisme économique que celui qui voudrait que le monde de demain se construise par l’élimination des plus faibles…

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