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Haro sur les emballages..?

5 Juin 2020 - 2140 vue(s)
Comme dans chaque édition de France Snacking, Gilles Fumey explore, décrypte et croque un sujet d'actualité. Pour ce nouveau numéro 58 qui vous est offert en consultation gratuite ce mois-ci, le géographe se penche sur la question des emballages.

Après un siècle de bons et loyaux services, les emballages sont en mauvaise forme. Désirés et adulés, ils ont été de grands séducteurs. « Boîtes cylindriques uniformes aux couleurs sobres, modestes parallélépipèdes de carton, tubes au galbe timide, objets dépourvus de toute ergonomie, sages typographies : c’est pourtant sur eux que s’est concentré le désir de consommation le plus intense de l’Histoire » fait mine de s’étonner Philipe Garnier (1). « Ils ont marqué des sensibilités encore vierges, fascinés par la production de masse et les premières séductions du packaging. Grâce à ces petits cylindres de carton ou de fer blanc, la marchandise a cédé la place au signe, l’être humain s’est transformé en consommateur frénétique ».

Pourtant, la magie semble s’être rompue. Non pas que la Vache qui rit nous refuserait sa langue pour ouvrir notre portion de fromage fondu. Ni que le tube de dentifrice n’offrirait plus cette sensation moelleuse quand nos doigts le torturent. Ni encore que tel paquet de biscuits dorés au beurre ne rappellerait plus les sortilèges d’une grand-mère bretonne. Non, d’un point de vue animiste, les emballages ont été courageux. Ils ont eu des vies de chien. Entre l’usine qui les a fabriqués et le rayon où ils paradaient, ce fut pour eux palette, conteneur, bateau, train ou camion qui ne leur ont pas ôté leur enveloppe pimpante, prête à nous en remontrer.

Pourtant, leur destin avait, dès le début de leur histoire, quelque chose de tragique. Depuis les Trente glorieuses de l’abondance, à peine leur office terminé, déchirés, cisaillés, éreintés, ils étaient sommés de disparaître. Leur fin de vie dans la poubelle est aujourd’hui, pour Marie Kondo, notre planche de salut. Ceux qui nous ont résisté sous leur blister, dans leur coque d’aluminium, leur gangue de verre sont regardés avec défiance. La bakélite de Gainsbourg, le polychlorure de vinyle, le polyéthylène et le propylène et leur culture du tout jetable ont emballé une machine devenue infernale. Et maintenant ils prennent de plein fouet l’estocade écologique : la production annuelle de polyester émet autant de gaz à effet de serre que 149 millions d’automobiles.

L’Atlas du plastique calcule que l’industrie a produit depuis 1950 plus d’une tonne de plastique par habitant sur la planète. Du plastique à emballage unique dont le dixième seulement a été recyclé. Le reste, très mobile, perfide enjôleur, finit sa vie dans les océans : l’équivalent d’un camion chaque minute qui passe. Dans les sols, c’est une « pollution quatre à vingt-trois fois plus élevée » que celle des océans. Dans l’air, dans la neige de la banquise, dans nos estomacs : nous en avalons cinq grammes par semaine, l’équivalent d’une carte de crédit. Ne cherchons plus d’où viennent les polluants que notre laboratoire d’analyses a repérés. Bienvenue aux molécules d’hydrocarbures, aux additifs, aux perturbateurs endocriniens. Pour l’Atlas, les femmes sont plus exposées, « accumulant des substances chimiques liposolubles comme les phtalates ».

Homo sapiens peut-il désintoxiquer les industries chimiques multinationalisées qui prévoient de construire encore plus de trois cents usines ? Côté consommateurs, le zéro déchet des gourdes, vracs et shampoings solides gagne des points. Un effort voué à l’échec si les politiques européennes ne freinent pas la boulimie des industriels. Le succès de la directive sur les plastiques uniques de juin 2019 annonce d’autres textes sur l’économie circulaire. Il est temps : chaque Français consomme encore trente-deux kilos par an de plastique.

Puisqu’Amazon est devenu le premier hypermarché sans contact, il faudra encore et toujours emballer pour distribuer. L’instantanéité de l’achat peut suffire à envelopper de désir ce qu’on veut tout de suite. La sécurité sera-t-elle garantie ? Qui sait si la découverte d’une paire de ciseaux dans un sachet d’amandes pilées ne va pas nous dissuader de nos vertus écolos ? Peut-être finirons-nous par favoriser des circuits de distribution numériques valorisant le vrac. En attendant, la pandémie du Covid a stimulé le click & collect… et ses emballages.

Et notre désir ? Philippe Garnier se demande pourquoi les oiseaux chantent. Parmi les réponses, on pencherait au chant « pour la lumière de l’aurore et clamer leur joie d’exister ». Si les marques chantent, pépient à leur façon, alors il faut veiller à ne pas éteindre ce concert. Faute de quoi, sous l’œil d’Horus, dieu-faucon de l’Égypte ancienne, nous risquons un collapsus symbolique. Car nous avons besoin des matières, des lignes, du galbe, des couleurs, du graphisme, des images des emballages. Cruel dilemme !

 

Retrouvez cet article dans le tout dernier numéro de France Snacking  FS 58 qui vient de paraître, feuilletable gratuitement en ligne dès aujourd’hui et dans la boîte aux lettres des abonnés dans quelques jours.

Gilles Fumey est professeur de géographie culturelle, chercheur à l’unité mixte de recherche du CNRS-Sorbonne « Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe » et également auteur de nombreux ouvrages sur l'alimentation. Retrouvez ses articles pour Snacking.fr.

(1) Fondation Heinrich Böll.

Gilles Fumey Géographe de l’alimentation
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