Cette évolution, vitale pour beaucoup en ces temps de crise sanitaire, ne doit pas faire oublier à celui qui souhaite se lancer qu’il est important de se poser quelques questions bien pertinentes, et qui vont au-delà des précautions liées au Covid lui-même, déjà largement relayées.
La mise en place d’une activité de livraison de repas ne se fait pas au hasard. Elle nécessite de prendre garde à certaines subtilités juridiques, que l’on mette en place ce service par soi-même ou en faisant appel à une plateforme.
L’activité de restauration est soumise aux règlements du Paquet Hygiène entrés en application en 2006, et dont fait partie le règlement 852/20041. Selon l’article 6 de ce règlement, chaque exploitant du secteur alimentaire coopère avec les autorités compétentes, en leur fournissant les éléments qui concernent son activité.
C’est la fameuse “déclaration d’activité”, qui était effectuée pendant longtemps auprès des Directions des Services Vétérinaires, et se fait aujourd’hui en règle générale auprès des Directions de la Protection des Populations (sauf dans les DOM, où il faut s’adresser aux Directions de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt).
Au vu de ce texte, l’information mise à disposition des autorités compétentes doit être à jour, et toute modification significative de l’activité doit être signalée, ce qui est effectivement nécessaire lors de la mise en place d’une activité de livraison. En pratique, cette obligation pourra être remplie très facilement par voie postale, grâce à l’utilisation du cerfa n°13984*062, en cochant tout simplement l’activité de livraison. Elle pourra même être complétée directement en ligne3.
Dans le cas du lancement d’une activité de livraison, un restaurateur doit donc la déclarer. Cela permettra aux services de contrôle d’avoir un regard sur cette activité, les données de déclaration permettant de faciliter les enquêtes en cas d’incident, de type intoxication par exemple.
Il est important de vérifier que son bail commercial autorise l’activité de livraison. Si elle n’est pas mentionnée expressément, il faut examiner attentivement la clause de destination du bail.
Mais attention à ne pas se précipiter, et envisager trop vite une régularisation par la procédure dite de déspécialisation du bail. En effet, lorsque le preneur demande l’ajout d’une activité par ce biais, il s’expose à un déplafonnement du loyer par la suite, même si ce déplafonnement nécessite des conditions. Il est donc utile d'interpréter d’abord les activités mentionnées dans la clause de destination pour apprécier si la livraison peut être considérée comme une activité déjà incluse par la jurisprudence dans la destination contractuelle.
Dans la situation actuelle, l’activité de restauration étant limitée par décret à la seule livraison où vente à emporter, on verrait mal un bailleur aller contre son propre intérêt en empêchant son locataire de la pratiquer pour survivre, à moins bien sûr que cette activité ne provoque de graves nuisances. On constate même aujourd’hui un véritable changement dans les pratiques de la restauration, avec la mise en place de la livraison et de la vente à emporter, et tout porte à croire que ce changement sera durable. Il est d’ailleurs déjà possible d’apprécier de façon concrète cette évolution, ne serait-ce que par l’investissement des restaurants dans les différentes solutions digitales qui s’offrent à eux, et qu’ils ne pourront rentabiliser que sur le long terme.
Or, l'appréciation du caractère inclus d'une activité doit se faire justement en fonction de l'évolution des usages commerciaux, dont le juge tient compte. Et il se trouve que la livraison est devenue une composante de plus en plus reconnue de la restauration, sans même qu’elle soit mentionnée explicitement dans le bail.
C’est ainsi que la Cour d’Appel de Paris a tout récemment considéré que la livraison était de fait incluse dans une activité de restauration traditionnelle couplée avec une alimentation générale. Mais elle ouvre également la porte à la reconnaissance de cette activité en cas de restauration seule en affirmant :
« Il convient de tenir compte de l'évolution des usages en matière de restauration traditionnelle. Si les plats confectionnés sont essentiellement destinés à être consommés sur place, la tendance croissante est de permettre à la clientèle, particulièrement en milieu urbain, comme en l'espèce, de pouvoir emporter les plats cuisinés par les restaurants ou se les faire livrer à domicile, notamment par l'intermédiaire de plateformes. ».CA Paris, 5, 3, 17-02-2021, n° 18/07905
Il faudra suivre de près cette évolution, qui a un impact important sur la possibilité de déplafonnement du loyer en cas de mise en place de livraison.
La livraison de repas peut s’envisager sous le régime de la chaîne du froid, ou de la chaîne du chaud. Une même commande peut combiner les deux systèmes. Il convient alors de mettre en place les moyens nécessaires pour assurer la sécurité alimentaire, dans tous les cas. La liaison chaude sera le système le plus courant pour la livraison de repas par un restaurateur, au moins pour le plat principal. Certains satellites qui composent la commande peuvent nécessiter un transport plutôt sous le régime du froid. Si la livraison combine la liaison chaude et la chaîne du froid, il faudra évidemment utiliser des contenants isothermes qui permettent de séparer correctement les produits. Dans l’éventualité de livraisons groupées, un contenant par client permettra d’éviter les « ruptures de charge » en cours de trajet. Et dans tous les cas, le rayon maximal de livraison devra être défini de manière à garantir que les produits arrivent à bonne température, à destination.
On constate souvent que les commandes mélangent produits chauds et produits froids, sans précaution. Bien sûr, c’est le prestataire de livraison qui en est le premier responsable et il ne peut y avoir de tolérance lorsque les produits arrivent à destination à une température « tiède » qui favorise le développement microbien.
Plus que le matériel utilisé, c’est la température relevée dans les produits qui servira de base aux éventuelles poursuites. L’infraction aux règles de température est punie par une contravention de 3e classe (maximum 450 €), définie à l’article R237-3 du code rural et de la pêche maritime. Une infraction pourra cependant être relevée pour chaque produit.
Si le prestataire de livraison est responsable en première ligne, le restaurateur lui-même ne peut fermer les yeux sur cette façon de faire, car en pratique c’est souvent la déclaration d’une intoxication qui mènera le service de contrôle à vérifier les conditions de livraison. Si celles-ci ne sont pas conformes, et que le restaurateur n’a pas posé d’exigences particulières, la responsabilité de l’incident causé pourrait être partagée. Cela pourrait impliquer aussi bien des mesures judiciaires, que des mesures administratives, et aussi un impact très négatif en termes d’image de l’entreprise.
C’est l’Arrêté du 21 décembre 2009 relatif aux règles sanitaires applicables aux activités de commerce de détail, d'entreposage et de transport de produits d'origine animale et denrées alimentaires en contenant, qui définit les températures requises pour chaque catégorie d’aliments.
En liaison chaude, le produit doit se trouver à une température d’au moins 63°C, jusqu’au moment où il est livré chez le consommateur. Si les produits sont préparés à l’avance, la liaison chaude sera difficile à maintenir pour des raisons de qualité gustative. Dans ce cas, la réfrigération devra se faire le plus rapidement possible, idéalement en cellule de refroidissement rapide.
Certains satellites qui composent la commande peuvent nécessiter un transport plutôt sous le régime du froid. Pour un produit “maison”, il faudra alors se référer au tableau de l’arrêté qui mentionne la température à cœur requise tout au long du parcours pour chaque type de produit. Pour un produit fabriqué en amont par un fournisseur (un dessert préemballé par exemple) et qui porte la mention de recommandations particulières de stockage, il faudra alors respecter la mention décidée par le fabricant, qui correspond aux conditions définies dans l’étude de vieillissement du produit. C’est en effet cette étude, réalisée dans ces conditions de conservation particulières, qui a permis de définir sa date limite.
Pour résumer, en l’absence de mention sur le produit, on se référera donc au tableau de l’arrêté. En revanche, en présence de mention particulière, c’est celle-ci qui devra primer, sous la responsabilité du fabricant.
Pas forcément. Les différents éléments qui concernent l’activité de livraison (régime choisi, type de sacoches isothermes utilisé, rayon de livraison défini, temps maximal de départ de la cuisine après préparation...) peuvent être décrits dans un document spécifique, ajouté au Plan de Maîtrise Sanitaire. Une fois ce mode opératoire défini, en tenant compte des aléas prévisibles (variation saisonnière de température extérieure…), quelques essais pourront être réalisés avec une vérification de température au point de livraison le plus éloigné. Ces essais permettront de valider la méthode, pour ensuite la reproduire en routine. Une simple vérification périodique permettra ensuite de maintenir la confiance dans le système mis en place.
Il s’agit là en réalité de valider au préalable quels sont les moyens qui permettent d’arriver au résultat imposé, à savoir une température à cœur du produit conforme au moment de la livraison.
Les conditions de la collaboration entre le prestataire et le restaurant doivent définir clairement la part de responsabilité de chacun. Il ne devrait pas être envisageable d’accepter qu’un prestataire assurant la livraison, refuse de prendre en charge sa part de responsabilité dans l’éventualité d’un incident. En effet, la livraison peut être source de rupture de chaîne du froid par exemple, et le risque qui en découle devrait reposer en toute logique sur celui qui en assure la maîtrise opérationnelle.
Il convient en premier lieu de lire les conditions d’utilisation de toute plateforme avant de souscrire à ses services. Ensuite, on évitera de contracter avec des plateformes dont les conditions seraient non négociables, si celles-ci ne sont pas claires sur la responsabilité de chacun.
D’autre part, il est essentiel pour un commerce alimentaire qui prépare des denrées animales ou d’origine animale de connaître à tout moment le type de clientèle livrée. Il doit en effet adapter son propre statut au circuit de commercialisation qu’il pratique : simple déclaration quand il ne sert que le consommateur final, agrément où dérogation à l’agrément si certains clients sont des intermédiaires (entreprise, association…) et que les produits livrés le nécessitent.
Cette contrainte découle de l’article 4 du RÈGLEMENT 853/20044, autre règlement du Paquet Hygiène, qui pose le principe selon lequel les établissements qui traitent des produits d’origine animale pour les céder à un autre établissement sont soumis à un agrément, délivré en pratique par la même autorité compétente que pour la déclaration d’activité évoquée plus haut.
S’il est possible de livrer sans contrainte particulière de statut le client quand il est le consommateur final, il est donc en revanche impossible de fournir des intermédiaires, comme des entreprises par exemple, sans vérifier que cette situation ne nécessite pas la mise en place d’un agrément sanitaire ou d’une dérogation à cet agrément. Ce point, rarement soulevé, est pourtant fondamental pour être en règle.
Concrètement, cela signifie que le restaurateur doit savoir à tout moment si une commande concerne un particulier, une entreprise, une association, ou tout autre intermédiaire. Il doit pouvoir refuser de livrer une commande que son statut ne lui permet pas d’honorer.
De la même manière, la plateforme elle-même pourrait dans certains cas être considérée comme un intermédiaire au sens de la réglementation sanitaire, si son rôle excède le simple rôle d’un intermédiaire financier. La même nécessité d’agrément sanitaire devra alors être vérifiée. Seul un examen attentif des relations contractuelles mises en place permettra de déterminer le statut nécessaire.
La mise sur le marché de denrées entrant dans le champ de l’agrément, sans détenir cet agrément, est sévèrement puni, de six mois d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende (Art. L237-2 du code rural et de la pêche maritime).
A l’heure où des alternatives émergent dans le monde des plateformes, on peut constater que les conditions qu’elles proposent sont très variables. Il sera judicieux de privilégier un prestataire qui propose d’emblée des règles claires ou qui accepte de mettre ces points en discussion.
1 RÈGLEMENT (CE) N°852/2004 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 29 avril 2004 relatif à l'hygiène des denrées alimentaires.
2DÉCLARATION D’ACTIVITÉ CONCERNANT LES ÉTABLISSEMENTS PRÉPARANT, TRANSFORMANT, MANIPULANT, EXPOSANT, METTANT EN VENTE, ENTREPOSANT OU TRANSPORTANT DES DENRÉES ANIMALES OU D'ORIGINE ANIMALE (ACTIVITÉS NON SOUMISES À AGRÉMENT SANITAIRE)
3en suivant le lien : https://mesdemarches.agriculture.gouv.fr/demarches/association-ou-organisation-de/assurer-une-activite-de-76/article/preparer-ou-vendre-de-denrees-276
4RÈGLEMENT (CE) N°853/2004 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 29 avril 2004 fixant des règles spécifiques d’hygiène applicables aux denrées alimentaires d’origine animale.
Nathalie Goutaland était pendant 22 ans inspecteur dans les services vétérinaires, avant de se reconvertir pour rejoindre la profession d’avocat. En 2019, elle remporte le Concours d’Innovation du Conseil National des Barreaux avec le projet AlimSafe, qui associe un centre de formation et d’audit sur le risque alimentaire, et le réseau d’avocats AvocAlim qu’elle forme aussi sur ce thème, en vue d’assurer une meilleure défense des professionnels de l’alimentation