Gilles Fumey
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175 millions de burgers, le billet de Gilles Fumey

23 Décembre 2021 - 4732 vue(s)
Dans sa chronique pour France Snacking, le géographe de l'alimentation, Gilles Fumey, interroge sur l'avenir d'une alimentation déconnectée de la nature à l'heure des changements climatiques. Un billet à croquer, comme à chaque fois, avec gourmandise.

Les Cop se succèdent et font flop. Pendant ce temps, le changement climatique accélère, 2,5 milliards d’humains sont impactés. Selon les Nations unies, le Bassin méditerranéen va devenir d’ici quelques années « invivable » l’été, les moustiques-tigres vont se multiplier. Pour l’économiste Daniel Cohen, les vins raffinés du Bordelais vont perdre leur saveur. Partout les rendements agricoles sont amenés à baisser comme cette année où les pluies d’été ont entravé les moissons en Europe et où, au Brésil, dans l’une des fermes du monde, le gel a décimé les cultures et un dôme de chaleur grillé les épis de blé dur.

Comment le snacking peut se positionner avec des récoltes qui baissent d’environ un tiers et une population mondiale croissante, le tout faisant grimper les prix de 30 % en une génération ? Plusieurs solutions se dessinent. Une plus facile – et plus morale – : la lutte contre le gaspillage et une autre, à un horizon assez proche, la fabrication d’une alimentation déconnectée de la nature.

D’abord, le gaspillage. Les volumes de la perte de nourriture sont tels qu’on peut espérer en récupérer une bonne moitié. Des dizaines de start up ont leurs applications de récupération des invendus en fin de journée. Et les grosses entreprises ? Prenons le cas de Stop Hunger créée par le géant de la restauration collective Sodexo, aidée par de multiples partenaires. Cette fondation oriente ses campagnes avec des « femmes inspirantes » engagées pour leurs communautés et leur offre une autonomie par l’éducation et le travail. Plus de 7,3 millions de repas ont été servis par Stop Hunger en 2020. La moitié des progrès contre la faim dans les vingt dernières années, selon les Nations unies, est apportée par les femmes. Des entreprises de snacking pourraient-elles participer à cet effort par le biais de leurs fondations ? 1 200 partenaires, ONG, associations et firmes de l’agroalimentaire ayant pignon sur rue y sont déjà engagés. Si nos nourritures sont morales, le snacking peut l’être.

Une autre solution est d’achever le Néolithique durant lequel est née l’agriculture. Place à la food tech qui horripile les politiques, les éleveurs, le business de la viande, mais qui s’impose par les consommateurs sensibles au bien-être animal. Les promesses sont alléchantes : selon le Good Food Institute, une seule vache peut fournir les cellules souches qui peuvent être à l’origine de 175 millions de burgers, tout en restant vivante ! Des entreprises européennes, telles le Français Gourmey planchent sur le foie gras de canard cultivé « sans élevage ni abattage ». Ou telle autre néerlandaise sur le caviar cellulaire, voire les Californiens de Eat Just sur le bœuf de Kobé, les Israéliens sur le faux-filet, d’autres encore sur le lapin, le mouton… Elliot Swartz de Good Food Institute est formel : « Il n’y a quasiment pas de limite ». Poissons, œufs, sous-produits carnés comme les ailerons de requin, filets de poulet, abats de porcs…, tout peut être produit dans des bioréacteurs qui ressemblent à des cuves de fermentation de brasseries.

Culturellement, certains pays l’envisagent plus vite que d’autres : Israël, les Pays-Bas, les États-Unis, le Danemark ont des sociétés préparées à l’idée que l’élevage industriel doit être revu. Les religions ne semblent pas rétives : l’Islam et le judaïsme tiennent juste à des certifications halal ou casher et ils voient la viande de culture comme une solution pour le bien-être animal. Plus surprenantes, les hésitations des véganes reprochant à l’industrie d’entretenir le mythe de la viande. Cet effet « beurk » peut ralentir le développement de la production de steaks attendus chez Aleph Farms pour 2022 où l’on espère parvenir à des niveaux de prix concurrentiels avec la boucherie actuelle.

Nicolas Treich de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement prévoit qu’un tiers du marché des produits carnés sera préempté par les viandes de culture dans les vingt ans qui viennent. Brevets, publications scientifiques, tout milite pour une révolution anthropologique fondamentale : pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, les humains auront accès à des nourritures sans lien avec la terre.

Gigantesque bataille culturelle ! Le snacking a une longueur d’avance. Parce qu’il s’est violemment déconnecté de la nature. Parce qu’il doit son existence à l’hyper-urbanisation et ses consommateurs souvent compulsifs. Parce qu’il répond aux fringales, aux caprices, aux modes. Parce qu’il est superflu, décalé, provoquant. C’est ainsi que les ados l’aiment : en rupture avec les nourritures ronronnantes des parents, les conventions sociales, les diktats nutritionnels. C’est ainsi que le snacking s’instille dans les sociétés urbaines. Là où la déconnexion d’avec la nature est à son acmé avec la grande distribution et, maintenant, la livraison à domicile. Oui, le snacking profite des Cop qui flopent.

Retrouvez cet article dans le tout dernier numéro de France Snacking  FS 64 qui vient de paraître, feuilletable gratuitement en ligne dès aujourd’hui et dans la boîte aux lettres des abonnés dans quelques jours.

 

Tags : Gilles Fumey
Gilles Fumey Géographe de l’alimentation
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