Faut-il encore savoir vendre un prix en restauration rapide !

10 Avril 2014 - 3768 vue(s)

Que les enquêtes sont dures à avaler ! Celle qui vient de stigmatiser des prix trop élevés pour les enseignes du snacking confirme la règle. Elle pose la question au consommateur de savoir comment il interprète les prix qu’on lui soumet. Naïveté de chercheur qui ignorerait les impitoyables règles comptables et financières ? Que non ! Mais pour lui, après avoir été le produit d’une règle impitoyable, un prix est un signal perçu par un client qui doit en déchiffrer le sens. Les économistes ont beau inventer les explications les plus savantes, comparer des modèles, expliquer les cycles, la spéculation, la déflation, le prix perçu est souvent un mur d’ignorance. On pense paresseusement que le client va se faire à la proposition. Que le marché va l’aiguiller. Que les comparateurs vont dire la vérité. Et puis non ! Quand le prix bloque, le scénario bogue. Fuite en avant : le responsable devient alors la crise, ou le ministre et ses fichues taxes…

Dans l’alimentation, la vérité impose de dire que chaque mangeur a sa doxa, fixe ses règles en fonction de son budget du jour, de la semaine ou de ses lubies du moment. Un budget consenti de manière très aléatoire et composé de paramètres contradictoires qui s’annulent et reviennent dans la décision jusqu’à la dernière seconde. Les sciences cognitives peuvent bien connaître les zones du cerveau, classer les types de comportement, il y a une part importante du comportement qui nous échappe.

Mais il y a quelque chose qui n’échappe pas au client, c’est le prix du service. Le dit-on assez ? Qu’un excellent produit sans un bon service est condamné. Dans les écoles, on a l’embarras du choix pour les études de cas auprès des étudiants… Le différentiel de service entre un pays d’Asie et un pays d’Europe comme le nôtre est flagrant. Là-bas, les produits ne sont pas toujours bons, mais le service est impeccable. Ici, c’est plutôt l’inverse. Et l’effet… désastreux.  

Les professionnels du snacking savent que la décision d’un achat doit être parfois très rapide. Mais que le prix, même acquitté, fait l’objet d’une analyse après l’achat. Une analyse qui passe par une phase de doute : « Et si on m’avait trompé ? Et si je m’étais emballé ? »  Cette rétractation est gommée lorsque la transaction s’est faite par un service de qualité. Autrement dit, l’impensé du service, ce qui par définition ne se mesure que par l’empathie suscitée par la transaction, octroie cet indice de satisfaction gage d’une nouvelle transaction, d’une opinion favorable qui nourrit le très précieux bouche à oreille.

Ainsi donc, les professionnels seraient avisés de former, encore former ceux qui sont au contact avec les clients. Internet a haussé le degré d’exigence des clients qui sont informés, avisés et tiennent la dragée au marchand. Dans l’alimentaire, une déception est une grave atteinte à l’image d’une entreprise.

Alors, les prix ? Il faut savoir vendre un prix. Ne jamais penser qu’un prix d’un produit est « juste ». Ce qui est juste – ou perçu comme tel –, c’est son service. Si notre alimentation raconte notre rapport au monde, si nous sommes réellement ce que nous mangeons, selon la formule du vieil Hippocrate, le consommateur est en droit d’attendre qu’un bien qui satisfait sa faim, qui fabrique une histoire, celle qui se déroule au moment de la transaction, respecte ce qu’il est. L’exemple de Naples montre que les sociétés d’honneur insistant sur le respect des personnes sont celles qui sont les plus méprisantes avec les individus.

Les ingénieurs, les cuisiniers, les marketteurs pourront faire les meilleurs plats, les plus délicieuses gourmandises, les plus appétissants en-cas, les plus géniales des boissons, si la chaîne de valeur est cassée à la vente par un prix non conforme au service, tout le modèle est à revoir.

Satanés prix ? Ils nous rappellent que dans nos rapports aux autres, et surtout dans ce qu’on appelle une société de consommation, le prix ne saurait être autre chose qu’un indice de satisfaction. Jugé inadéquat comme aujourd’hui, il nous impose les questions les plus décapantes sur nos modèles.

 

Gilles Fumey est professeur des universités, spécialiste de l’alimentation, à Paris-Sorbonne et au CNRS. Sa dernière publication : Le roman du chocolat suisse (Belvédère).

 

 

 



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