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En restauration, l’offre et la demande ce n’est pas l’œuf et la poule

22 Décembre 2015 - 7976 vue(s)

Il y a quelques jours, je demandais à mes étudiants du Cordon Bleu de citer les facteurs susceptibles d’influencer la stratégie de prix d’un restaurant. Tous ont cité le coût matière (Food Cost), la concurrence (Competitors) et beaucoup d’entre eux la demande (Demand). Ah ? C’est marrant, je l’avais oubliée la demande. Hem… Venant de tous les pays du monde, ces 15 étudiants ont-ils tous plongé dans l’économie des XVIII et XIXe siècles, sont-ils tous fans d’Adam Smith et de Ricardo ? J’en doute.

NE DEMANDEZ PAS AU CONSOMMATEUR CE QU’IL SOUHAITE CAR IL NE LE SAIT PAS 

Personnellement, je ne crois guère à la force de la demande, tant elle est imprévisible et peu motrice finalement. J’adhère beaucoup plus volontiers au point de vue de Steve Jobs qui disait : « ne demandez pas au consommateur ce qu’il souhaite car il ne le sait pas ». Effectivement, comment exprimer une demande pour un produit qui n’existe pas ? Il n’y a jamais eu de manifestation de masse pour que le premier iPhone soit lancé, pourtant il s’en est très vite vendu des millions. Ce n’est qu’une fois le produit mis sur le marché que la demande peut s’avérer forte, les ventes décoller voire exploser et puis l’attente se faire forte pour la seconde génération et les suivantes. Autre exemple auquel vous n’avez pas pu échapper, Star Wars VII : une demande phénoménale, 38 années après la sortie du premier épisode, du jamais vu !

LES START-UPS ONT CREE UNE DEMANDE INEXISTANTE AUPARAVANT

A l’opposé, lorsqu’un produit n’est pas bon ou devient obsolète il sera vite oublié et retiré du marché quand il ne mettra pas l’entreprise en péril. C’est ce qui est arrivé au numéro un mondial des pellicules argentiques, Kodak, qui n’a pas vu venir la déferlante numérique alors que c’est un ingénieur maison, Steve Sasson, qui a inventé le premier appareil photo utilisant cette technologie révolutionnaire en 1978. Un comble ! L’iPhone et Star Wars tout comme Kodak, à un autre titre, sont des exceptions qui marqueront l’histoire. Et pour Uber, AirBnB, et tant d’autres start-ups de l’économie collaborative, ne sont-elles pas celles qui ont créé une demande inexistante auparavant ?

 L’OFFRE PRECEDE LA DEMANDE MEME S’IL EXISTE DES EXCEPTIONS

Venons-en à la restauration. Là aussi, la plupart du temps, c’est l’offre qui précède la demande. Lorsqu’un concept, un produit a du succès et laisse présager d’importants volumes de vente, il est immédiatement copié, dupliqué, démultiplié et l’offre ne cesse de croitre. C’est le cas des sushis, des food trucks ou des hamburgers. Certains observateurs se posent alors la question de saturation du marché ou d’un risque de voir la demande fléchir. Pour les concepts émergents, on parle de marchés de niche qui peuvent grandir, stagner ou disparaître si la demande n’est pas au rendez-vous. Par exemple les chaines de pâtes à emporter en box,  hot-dogs, de crêpes ou de toasts.

UNE FOIS L’OFFRE EN PLACE, LA DEMANDE SUIT

Donc, s’il y a de la demande pour un produit c’est que l’offre est là. Y avait-il une forte demande pour les hamburgers en 1980, date de création de la première chaîne en France ? Et pour les sandwiches chauds, pour les sushis, pour les bagels, les soupes, les salades ? L’histoire se répète : tout au plus quelques rares indépendants qui ont créé un embryon de marché anticipant ainsi une demande, sans offre concurrentielle importante, sans perspective du volume de vente et du succès. Mais qui étaient ces pionniers ? Eh bien, les mêmes que ceux qui, aujourd’hui, sont à l’origine du lancement du dernier segment en vogue, le gourmet burger : des jeunes qui ont découvert un « concept » aux Etats Unis lors d’un voyage et l’ont importé. Une fois l’offre en place, la demande suit, elle ne la précède pas.

LA NOTORIETE D’UNE MARQUE, D’UN PRODUIT CREE LA DEMANDE

Contre-exemple : il existe au moins un cas où la demande a précédé l’offre, vous l’avez deviné, il s’agit de Burger King. Un phénomène relativement unique car cette demande a deux sources : les Baby Boomers nostalgiques de la trentaine de BK parisiens disparus en 1997 et les voyageurs qui ne peuvent manquer un restaurant de l’enseigne dans tant de gares et aéroports dans le monde. La notoriété crée la demande, un sujet que McDonald’s connaît bien.

Autre exemple où la demande devance l’offre qui a fait l’actualité récemment, la viande halal. Si une vingtaine de Quick l’ont proposée vers 2005 c’est parce qu’ils étaient implantés dans des zones de chalandise où la population en était demandeuse. Dans ce cas, c’est l’offre qui s’est adaptée à la demande.

AUCUN CLIENT NE COMMANDERA UN PRODUIT QU’IL NE VOIT PAS

Pour finir, un mot sur l’aspect micro économique, la carte du restaurant. Dans tous les établissements, les produits se répartissent en best sellers, prometteurs, has been ou loosers selon leur niveau de vente et leur contribution au revenu total. C’est le précieux résultat du modèle d’analyse que je nomme Menu Mix Management, très proche du Revenue Management. Pour les produits en perdition, il n’y a guère d’autre solution que de les remplacer. Dans l’objectif de maintenir les plus rentables à leur niveau et faire décoller ceux qui ont du potentiel, misez sur leur valorisation sur la carte, au menu board, en PLV, dans les suggestions du personnel. En merchandising aussi, c’est l’offre qui déclenchera la demande. Aucun client ne commandera un produit qu’il ne voit pas ou dont on ne lui parle pas.  

Nous avons vu qu’en restauration, comme dans la plupart des secteurs économiques, l’offre précède la demande dans la majorité des circonstances. Et cette demande sera d’autant plus soutenue que la notoriété de la marque ou de l’enseigne est forte que la visibilité, l’image, l’attrait, et l’envie d’un produit sont élevés. Bref, l’offre et la demande ce n’est pas la même histoire, la même problématique insolvable que celle de l’œuf et la poule. 

 

Par Thierry Poupard, Restaurant Marketing. www.service-attitude.com

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