Le Président du Tribunal de Commerce de Paris a rendu une décision en référé - et non au fond - concernant le restaurant Le Bistrot d'à côté - Flaubert, et l'entité qui l'exploite, c’est-à-dire la SAS Maison Rostang, et non, comme on a pu le lire Stéphane Manigold à titre personnel. Le juge des référés est "le juge de l'évidence" : il n'est pas compétent pour trancher sur des débats de fond, seulement sur des débats relevant "de l'évidence", lorsqu'il n'y a pas de contestation, et s'il y a urgence.
Une affaire examinée en référé consiste ainsi à confier au Président d'une juridiction le soin de faire application des termes d'un contrat lorsque ceux-ci n'appellent aucun débat. Si un débat au fond est de mise, la sécurité juridique implique que la problématique soit tranchée par un collège de juges, et non par un juge unique.
A titre d'exemple pour permettre au lecteur de bien comprendre : si une personne ne paye pas les sommes dues à un prestataire, alors qu'elle en avait accepté le devis, et qu'elle a bénéficié de la prestation en découlant en intégralité : le prestataire peut saisir le Juge des référés pour obtenir la condamnation de son client au paiement. Si en revanche la prestation n'a pas été intégralement exécutée ou si le client démontre qu'il avait contesté la qualité de la prestation : le Juge des référés n'est pas compétent, et le prestataire devra saisir les "Juges du fond", c'est à dire le Tribunal statuant dans une forme collégiale classique, après examen de l'ensemble des éléments du litige.
Le Juge des référés est donc saisi d'une question qu'il lui appartient de trancher si celle-ci n'entraîne pas un débat au fond. Dans la décision d'espèce, le Président du Tribunal de Commerce de Paris rappelle ainsi très clairement qu'il ne lui appartient pas de trancher le débat de fond portant sur la question de savoir si un risque pandémique est assurable, mais simplement de se prononcer sur l'application d'un contrat d'assurance.
En l'espèce, le juge des référés a constaté qu'il y a bien urgence, compte tenu du déficit de plus de 200 000 euros du restaurant au jour où la justice est saisie. Alors que le groupe Axa invoque notamment en réponse que Stéphane Manigold, président de l’entreprise Sas Maison Rostang possède une fortune personnelle, le Tribunal relève que cela n'a pas à entrer en ligne de compte (et n'est pas établi) car l'on traite ici de la SAS Maison Rostang et non du cas personnel de Stéphane Manigold.
Le Tribunal se fonde ensuite sur le contrat d'assurance souscrit en l'espèce, dont il rappelle qu'il constitue "la loi des parties". Et il constate que le contrat d'assurance souscrit auprès d'Axa n'exclut pas le risque pandémique, et qu'Axa ne démontre pas qu'un texte de loi d'ordre public prévoirait le caractère inassurable d'une conséquence d'une pandémie.
Axa se défend en soutenant notamment que les conséquences d'une fermeture administrative ne sont couvertes que si la fermeture découle d'une décision du Préfet, et non du Ministre ; la Compagnie ajoute que le restaurant était en droit de développer une activité en vente à emporter et de livraison, et qu'ainsi l'arrêté du 14 mars 2020 ne l'empêchait pas d'exercer toute activité.
Autant d'arguments balayés par le Juge des référés, faute pour Axa de démontrer que les exclusions de prise en charge soulevées auraient été précisées dans le contrat ou dans un texte de loi "impératif". C'est donc sur le contrat que s’est fondé le Tribunal pour décider qu'il y a lieu à indemnisation.
L'Ordonnance rendue en faveur de la SAS MAISON ROSTANG indique qu'AXA est tenu de verser une provision sur indemnisation à hauteur de 45 000 euros. Un expert a par ailleurs été nommé pour évaluer le montant des préjudices : c'est le rapport d'expertise qui fixera le montant total de la perte d'exploitation devant être prise en charge par l'assureur.
Les 45.000 euros sont ainsi en quelque sorte une avance versée par l'assureur dans l'attente du rapport d'expertise. Quant aux suites probables de cette décision : le rapport d'expertise devrait être rendu sous quelques mois, Axa ayant la possibilité de saisir la Cour d'appel afin d'obtenir l'annulation de l'Ordonnance de référé. Il est vraisemblable que les Juges du fond seront en parallèle saisis du débat de principe portant sur l'assurabilité du risque pandémique. C’est le début d’un long combat judiciaire, sauf à ce que les parties trouvent un accord amiable.
Philosophiquement, cela s'entend, mais sur le plan juridique encore faut-il démontrer qu'un grand principe du droit permettrait par principe d'écarter la couverture des risques découlant d'une pandémie. Ce qui n'est en l'espèce pas le cas. Néanmoins, il est probable qu'AXA développera davantage sa position au fond et se raccrochera à des grands principes du droit à l'effet de faire valoir sa position. Derrière AXA, c'est l'ensemble du monde de l'assurance qui fait front pour acter de ce principe.
A mon sens, elle peut faire jurisprudence pour les restaurateurs ayant un contrat d'assurance n'excluant pas expressément le risque pandémique, similaire à celui couvrant l'établissement Le Bistrot d'à côté. Or cette exclusion est souvent expressément prévue, elle est même ancrée dans l'ADN des polices d'assurances ; il est donc surprenant qu'Axa ne soit pas en mesure de l'opposer dans le cas d'espèce... Un espoir donc, à analyser au regard du contrat d'assurance souscrit. Le conseil pour les restaurateurs : bien lire toutes les Conditions Générales et Particulières de la police d'assurance, ainsi que tous les documents auxquels elles renvoient, et vérifier si une disposition exclut - ou non - les conséquences d'un dommage survenant en raison de la pandémie entraînant une fermeture administrative.