Gilles Fumey : le futur est déjà là !
Faisons un saut en arrière. Qui, en l’an 2000, pariait sur le bio qu’on trouvait cher et peu convaincant ? Qui pensait que les OGM dont les Américains voulaient nous imposer l’usage seraient bannis, et bannis définitivement ? Qui contredisait le discours sur l’inéluctable croissance de la consommation de viande, justifiant la fuite en avant des élevages industriels garants d’une abondance rassurante ? Et qui aurait imaginé que de grandes firmes mondiales de l’agroalimentaire et de la distribution se feraient titiller avec des marques locales qui, peu à peu, grignotent une part de leur capital de confiance ? En déroulant le film à l’envers, on en est que plus modestes pour regarder l’avenir…
Mais dans le film, il y avait pourtant des indices qui annonçaient des tendances autrement moins obsessionnelles que des rythmes de croissance. Sans être la panacée, le bio était très tôt plus vertueux dans l’évitement des pesticides, perturbateurs endocriniens et additifs en tout genre. La question des OGM relevait peut-être plus de la géopolitique (quelques firmes américaines confisquant le vivant) que de la biologie. Et pour la très rentable fabrique industrielle de la viande, les petites bombes à fragmentation sanitaires faisaient voler en éclat la vérité sur la condition animale. Certaines pratiques ne pouvaient pas être imaginées : l’usage d’Instagram dans la publicité pour les « super-aliments » sortis de l’anonymat, tels les baies de goji et d’açaï, les graines de chia, le « klamath », la spiruline, etc. ou encore les applications de décodage d’étiquettes comme Yuka.
Il suffit de flâner sur la place parisienne du Panthéon un jour de beau temps à midi pour comprendre ce qui se passe. Des foules d’étudiants sont assis en cercle, à même les pavés, chacun avec son repas nomade qui tient tout des cuisines du monde, notamment celles qui pratiquent l’assemblage : la chinoise, la libanaise, l’italienne, l’espagnole… On n’y voit quasiment pas de sodas, de moins en moins de bouteilles plastiques plutôt des gourdes en acier inoxydable sans BPA. Les femmes sont majoritaires à copier le système japonais des bentos où elles ont mis en boîte probablement une cuisine maison. Dans le périmètre des facultés du Quartier latin, seuls deux fast foods américains ont survécu, Häagen-Dazs s’est replié rive droite, les rois de la frite De Clercq ont tenu un an à peine. Et on entend des sociologues à la petite semaine balayer tout cela d’un « c’est pour les bobos ».
Le secteur le plus vivant de l’alimentation est bien celui du snacking où s’engagent des groupes ou entreprises qui ont fait le choix de miser sur la révolution du végétal, des start-ups de la FoodTech qu’il faut suivre parce que chaque génération invente son alimentation, tout ce mouvement brownien pourrait bien dessiner les contours de nouvelles manières de manger. Avec des voies inattendues comme l’encouragement au jeûne tel que le prix Nobel de médecine, Yoshinori Ohsumi, en a étudié les effets et qui permet, pour ceux qui le pratiquent, au moins de manière séquentielle (pendant quatorze heures) de monter en gamme dans son alimentation.
Les travaux de l’agronome allemand, Wilfried Bommert du World Food Institute de Berlin, viennent d’être traduits en français. Son livre, La fin de l’alimentation (Vuibert), n’y va pas par quatre chemins : le changement climatique pousse les jeunes à agir. Et si on fait mine de ne pas comprendre le message, les amateurs de snacking vont battre le rappel. Les entreprises doivent accepter d’être sur la brèche et sur ce fil, où beaucoup de ceux qui dansent pensent que leurs performances suffisent à éblouir et épater. Non, manger est une chose trop sérieuse pour qu’on laisse à quiconque le soin de décider. Le futur n’est plus invisible. Il est au Congrès du snacking du 4 juin (p. 46) !
Gilles Fumey, géographe, Sorbonne université-CNRS.