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Génie français du snacking

12 Décembre 2017 - 2040 vue(s)

En tombant sur des notes d’un épisode de Cantina à Prague en 2007, je retrouve la diapositive de conclusion qui avait laissé l’assemblée avec une moue dubitative : « L’avenir du snacking, c’est le terroir. Et le premier terroir français, le voici : le Clos de Vougeot en Bourgogne ». Dix ans ont passé. Les réticences de l’industrie sur un modèle français de snacking autour de la trilogie fermentée pain/vin/fromage sont tombées. Et ont été même dépassées. Les légumes frais, les salades, les fromages au lait cru, voire le vin en mini-flacon accessible dans certains libres-services, tout cela est possible grâce à cette révolution silencieuse de l’emballage qui n’a, heureusement, pas été gênée par l’affaire du bisphénol. Depuis l’étranger, notre snacking est apprécié comme « français », certes moins exportable que les fish and chips, les burgers, les pizzas, les sushis et les nems, mais au moins, il porte la signature d’un peuple attaché à son histoire, les fermes paysannes, les jardins maraîchers dont le modèle versaillais de La Quintinie est l’un des phares de la culture française.

Ce que l'on appelle les « tendances », dessinant un avenir culinaire appétissant s’est renforcé avec cette culture du local qui relève aujourd’hui quasiment du fétichisme. Le local serait la garantie d’une qualité : la géographie au service du goût. Ne perdons pas de vue qu’il est d’autant plus apprécié que les omnivores que nous sommes peuvent le mettre en musique avec tous les lointains du monde. Et là, ce qui viendrait d’Amérique nous rappelle l’étrange transhumance de ces torsades de pain que sont les bagels new-yorkais. Ce qui arriverait du Liban ou d’Espagne enrichirait nos pratiques apéritives. Ce qui aurait migré des marchés flottants d’Indochine ou du très tokyoïte Tsukiji, tout cela et mille autres propositions se sont donc incrustées aussi bien dans nos déjeuners sur le pouce, nos repas pris en voyage que nos pique-niques sans façon. Il nous faut réaliser qu’aucune culture ne peut dominer l’autre et que toute proposition géoculturelle conquérante par des multinationales alimentaires est vouée à l’échec si elle ne respecte pas les cultures locales.

Fournil et café

L’exemple du muesli qui s’est mêlé aux céréales du petit-déjeuner venues des grandes villes américaines, est éloquent. Voici un produit de santé, issu de l’imagination d’un pharmacien suisse, qui s’est confondu avec l’univers très rigoriste des mixtures céréalières américaines mises au point par des sectes quakers – entre autres, pour prévenir l’alcoolisme –, il serait devenu l’alpha et l’oméga du repas conseillé aux jeunes. Trente ans ont passé et, en dehors des magazines financés par une publicité complice, le petit déjeuner « américain » part en capilotade. L’on s’inquiète de ce que cette séquence matinale soit bâclée par les millennials et on pense que les boulangeries vont pouvoir suppléer à ces défaillances domestiques. Grave erreur ! C’est confondre le fournil et le café. La boulangerie française peut, certes, muter, s’agrandir, s’ouvrir au monde du snacking mais à courir deux lièvres à la fois, elle risque dans quelques années un rejet violent qui surprendra tous les tendanceurs.

Tropisme italien

Hors de cette injonction à faire des provisions de calories le matin lorsqu’on se réveille, il faut comprendre comment les nouvelles sociabilités numériques évoluent vers une « latinisation » de nos modes de vie. On s’oriente vers la valorisation d’un repas non plus bourgeois autour d’une table où des pères et mères fouettards exerceraient la police des mœurs sur leur progéniture, mais vers quelque chose de déstructuré, d’indéfinissable dans les choix qu’Internet démultiplie comme le numérique a fait exploser la tranquillité des chaînes de télévision de grand-papa. Là, l’offre de snacking est immense et fabrique une sorte de vaste séquence vespérale, proche d’un repas italien. Lequel, lorsqu’il est copieux, fait sauter mécaniquement, le petit déjeuner qui suit quelques heures plus tard. Le café, le ristretto, le capuccino ont de beaux jours devant eux.

En hommage au génie français du snacking paysan, son pain, ses fromages, ses charcuteries, je craque devant la toute nouvelle tartine du schnackala découverte en Alsace. Le schnackala, kesako ? Dans une miche de pain de seigle bio grillée, glissez une mousse de hareng fumé à la crème fraîche bio, ajoutez un lit de choucroute crue bio à l’huile de noix ou de colza et parsemée de carvi. Bourrée de vitamines, calcium, magnésium et potassium, la choucroute est le « légume » diététique moderne. Quant au hareng venu des Pays-Bas qui lui doivent leur survie au Moyen Âge, il est parfait sur le plan nutritionnel. Voici comment la gastronomie régionale française enrichit notre panthéon culinaire. Le snacking « français » n’a pas dit son dernier mot. Découvrons les talents et faisons de nos nourritures des coups de folie ou de génie qui nous ressemblent farouchement.

 

Découvrez l'interview de Gilles Fumey au sein de la rubrique Invité dans notre numéro France Snacking n° 46 de Décembre 2017/Janvier 2018 ainsi que nos autres rubriques.

Gilles Fumey Géographe de l’alimentation
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